PRESSE 14 :

A.H.M.E.

 


 

 Le calvaire de YAHYA OULD BRAHIM

Esclave mauritanien, devenu immigré sans papier en France

Né esclave en 1976, à ses dires, de parents esclaves nés eux aussi de parents esclaves, il était esclave jusqu’à ce jour de l’année 1999 où l’amour pour sa mère, la volonté d’être homme, le désir de liberté l’obligent à prendre la route pour fuir loin de son maître gagner la France, pays des droits de l’Homme.

Yahya Ould Brahim arrive un jour de décembre 2003 à Paris. « Le froid [lui] glaçait jusqu’à la moelle ». Le voilà désormais, esclave en fuite, immigré sans-papier dans un pays qui a aboli l’esclavage depuis des siècles. De liberté, il en rêve toujours. Sa grande crainte est de se voir refouler chez lui, en Mauritanie, où tout indique que son maître le récupérerait et le punirait en exemple « pour montrer aux deux millions d’esclaves domestiques ou anciens esclaves qu’ils sont encore dominés ».

Il n’a point la vigueur d’un jeune homme de 23 ans, sans doute épuisé par plus de 20 ans de servitude et des jours de faim et de soif sur la longue route d’errance vers un espoir incertain de liberté. Son regard hagard ne se pose sur rien. Vous avez l’impression de croiser ses petits yeux, mais ils scrutent un horizon encore lointain. Il s’appelle Yahya Ould Brahim, vit en France depuis 5 ans. Sans papier, sans espoir et dans l’atroce inquiétude d’un « retour vers l’enfer » comme il le dit lui-même. Il parle « un peu français mais préfère sa langue maternelle pour mieux s’exprimer ».

Son cas est aujourd’hui porté devant l’opinion internationale par la Commission nationale mauritanienne des droits de l’Homme (CNDH) et l’Association des Haratines de Mauritanie en Europe (AHME). Ces deux organisations ont animé mardi dernier une conférence pour prendre à témoin la presse internationale sur le cas de Yahya Ould Brahim mais aussi celui plus général de la situation en République islamique de Mauritanie, un des pays où l’esclavage a toujours cours malgré une loi votée en août 2007 par le Parlement criminalisant la pratique sur toute l’étendue du territoire national.

En octobre 2008, Biram Dah Abeid de la CNDH se trouvait devant le groupe chargé des droits humains au Forum humaniste européen de Milan où il dénonçait la « connivence des pouvoirs publics et judiciaires avec les segments tribaux et claniques » se traduisant par « la poursuite des pratiques esclavagistes d’une manière massive et revêtant plusieurs formes » dont l’esclavage domestique, l’esclavage agricole et l’esclavage sexuel sont les plus manifestes. L’association, en partenariat avec SOS-Esclaves a recensé une quarantaine de cas avérés qu’elle a présenté aux autorités nationales depuis la promulgation de la loi d’août 2007. « Jusqu’à ce jour encore, nous attendons que des sanctions soient prononcées contre les auteurs », déclare M. Abeid.

Déjà en 1981 une première mesure gouvernementale n’a pas connu le succès attendu, en tout cas par les opposants à la pratique et défenseurs des droits de l’Homme. « Cette loi n’a jamais eu de décret d’application et pour cause. Le premier article abolit l’esclavage et le troisième demande que les anciens maîtres qui affranchissent soient dédommagés », souligne M. Mohamed Yahya Ould Cire.

L’ancien diplomate, aujourd’hui président de l’AHME affirme : « En Mauritanie, les autorités décident de ces dispositions justes pour calmer le jeu. Ils n’ont aucune considération de l’opinion publique ; nous ne disposons pas encore d’une société civile qui dispose de réels pouvoirs de pression. C’est avec la presse étrangère et les partenaires occidentaux qu’on arrivera à les faire bouger sur la question ».

Si le cas de Yahya Ould Brahim, esclave agricole est aujourd’hui mis devant c’est que l’immigré clandestin, se trouve dans une situation ubuesque devant les autorités administratives françaises qui ont refusé le droit de réfugié à un esclave en fuite. Seule la solidarité de la communauté mauritanienne lui permet encore de croire en un probable avenir de liberté.

« En Mauritanie, quand on est enfant d’esclave, on naît esclave et on le reste jusqu’à ce que le maître décide de vous affranchir. J’ai ma sœur et mon frère qui sont encore esclaves du frère de mon maître. Mes parents étaient esclaves des parents de mon maître. Pour tout dire ma famille est esclave de statut depuis toujours au service la famille de mon maître » . Avec ce témoignage poignant d’une réalité crue il espère plus que la solidarité.

« J’ai fui lorsqu’en 1999 mon maître m’a refusé le droit le plus simple de me rendre au chevet de ma mère malade et aussi parce que quelques animaux se sont égarés pendant que je les conduisais au pâturage et qu’il m’a battu pour cela alors qu’en plus de 20 ans je suis à son service. Alors j’ai pris mon courage à deux mains en me disant que je ne pourrais vivre rien d’autre de plus indigne et de plus atroce que ce que j’ai vécu jusqu’ici. Je suis resté dans la peur dans le ventre en Mauritanie où j’ai travaillé comme vendeur d’eau pendant deux années. Je n’ai pas hésité un seul instant de tenter ma chance, le jour où je suis tombé sur un groupe de candidats à l’immigration. Avec mes économies, j’ai cotisé comme les 25 autres compagnons pour payer une pirogue pour l’Espagne. En décembre 2003, je suis arrivé en France. J’ai fui en désaccord total avec ma famille. J’ai fui parce que j’avais peur d’être reconduit chez mon maître. Aujourd’hui cette même peur me tenaille toujours » . La peur d’être reconduit à la frontière, livré à lui-même, à la honte et au « déshonneur » vis-à-vis des siens, au mépris et à la fureur de son maître.

C’est donc pour briser cette chaîne de la peur que les organisations anti-esclavagistes se battent sur le plan national et international pour exiger « une enquête nationale afin d’éclaircir la situation » trouver une solution au profond problème de mentalité et rendre leur dignité et leur fierté aux 500 000 esclaves domestiques et au 1,6 millions d’anciens comme l’estime M. Abeid qui lie intimement l’esclavagisme à la nature féodale de la société mauritanienne et surtout au socle islamiste du code judiciaire en vigueur. Pour le défenseur des droits de l’homme, « la religion musulmane qui n’a jamais interdit l’esclavagisme constitue aujourd’hui son terreau fertile et les pays arabes n’aident pas la Mauritanie dans sa lutte contre ce système », le pire, avilissant pour la race humaine.

Le 06/04/09

Source : Oussouf Diagola

 Site : www.jamana.org

 

 

 

 

 

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