LE JOURNAL :

 

A.H.M.E.

LE CRI DU HARTANI N° 7/8 (avril-septembre 2003)

 

LE CRI DU HARTANI

TRIMESTRlEL ÉDITÉ PAR L'ASSOCIATION DES HARATINE DE MAURITANIE EN EUROPE :
"Lutte contre l'esclavage en Mauritanie"

 

Editorial

Dans ce numéro double, nous vous livrons deux articles:

Le premier est relatif au racisme anti-haratine. Deux affaires vont illustrer cette forme de racisme. Elles témoignent des pratiques du racisme d'Etat et du racisme des populations en Mauritanie.

Le second traite de questions conceptuelles. En effet l'usage du mot hararine prête à confusion suivant les utilisateurs. Nous tentons dans cet article d'apporter une clarification à ce sujet.

Enfin, un petit récit dans lequel II y a un ensemble d'idées reçues sur les comportements des différentes tribus maures. Ces idées constituent désormais des proverbes. La connaissance de ces proverbes (éducation) permet d'éviter les pièges dans la vie quotidienne entre tribus. Ils peuvent également servir de sujet de plaisanterie entre Maures. Comme dit le pro-verbe maure : 'ta vérité se dit dans la plaisanterie".

Mohamed Yahya Ould Ciré Président de AHME

LE RASCISME ANTI-HARATINE

L'AFFAIRE

Elemine Ould Taleb

Ahmed :

Un Hartani de Mauritanie

Elemine Ould Taleb Ahmed appartient à la communauté Haratine, connue pour être victime de l'esclavage en Mauritanie.

Au cours des années 1970, il vint à Bissau (capitale de la Guinée-Bissau) où réside une forte communauté maure dont l'activité principale est le commerce de détail. A son arrivée, il commença par de petits boulots tournant autour du commerce (porteur de marchandises, aide-boutiquier etc.). De fil en aiguille, il parvint à créer sa petite boutique et devint ainsi commerçant détaillant. Une relative prospérité, ultérieure, lui permit d'acheter une maison. Celle-ci était construite sur un lieu stratégique d'un point de vue commercial et abritait un

bar. II en taisait, ainsi, un lieu d'habitation et de commerce.

A la fin des années 80, un Bissau-guinéen, accompagné d'un policier, vint le voir et lui Intima l'ordre de quitter la maison dans de brefs delais car, lui dit-il, l'achat de sa. maison était irrégulier.

Derrière cette opération, il y avait en réalité l'ancien Ministre du commerce de Guinée-Bissau, Louis Sanca qui agissait par personnes interposées.

Elemine Ould Taleb Ahmed fut contraint par la police de quitter sa propre maison. Suite à cela, il porta l'affaire devant la justice bissau-guinéenne.

Par un premier jugement, celle-ci lui donna raison. La personne qui accompagnait le policier était, en fait, un parent de Louis Sanca et fit appel de la décision. La justice, dans un second jugement, confirma la première décision. Ce jugement ne tut jamais exécuté à cause des interventions répétées de Louis Sanca.

Le Consulat de Mauritanie inter-vint dans cette affaire et la porta à la connaissance du Ministère des Affaires Etrangères du pays d'accueil. Cette initiative ne fut guère couronnée de succès.

Entre temps, Elemine devint aussi dépourvu qu'au moment de son départ de la Mauritanie. En effet, non seulement il ne faisait plus de commerce mais, à force de payer des avocats, il était démuni de tout. Pour remarque, il avait une famille composée de son épouse et de ses cinq enfants.

Nommé Consul Général de Mauritanie en Guinée-Bissau le 12 août 1992, moi, Mohamed Yahya Ould Ciré, je suis entré en fonction le 3 septembre de la même année. Ainsi, (héritai de cette affaire et je décidai d'en faire part au Ministre des Affaires Etrangères de Guinée-Bissau. Ce dernier me promit d'évoquer l'affaire auprès de Louis Sanca. Cette promesse n'eut pas de suite. Je sollicitai donc une visite de courtoisie auprès du Ministre du Commerce Louis Sanca puis je profitai de l'occasion pour évoquer ce contentieux. L'intéressé me promit une rencontre, dans son bureau, entre Elemine et son avocat, son protégé et son avocat, en ma présence. Cette promesse ne fut jamais tenue.

En novembre 1992, le Consulat de Mauritanie à Bissau fut informé de la visite officielle qu'allait effectuer le chef de l'État, Sidi Ahmed Ould Taya dans le pays du 9 au 12 décembre. La délégation présidentielle comprenait entre autre le Ministre des Affaires Etrangères Mohamed Abderrahmane Ould Moine, Wedad Ould Louleïd, Directeur de cabinet du chef de l'État, Abderrahim Ould Hadrami, Directeur du département Afrique au Ministère des Affaires Etrangères.

Dès le premier jour de la visite, j'informai

formai Ould Moine de l'affaire Elemine Ould Taleb Ahmed. Je lui demandai d'en faire cas à son homologue biseau-guinéen et de la nécessité d'évoquer cette question au sein de la commission mixte qui allait réunir les deux chefs de LEtat et leur suite. Ould Moïne me dit, en hassania, "Men boume Ehlou", ce signifit en français : "qui sont les parents d'Elemine Ould Taleb Ahmed?" La portée de cette question mérite explication :

Cette question a pour but d'identifier le père et accessoirement la mère de l'interessé et ce compte tenu du système patriarcal en Mauritanie. II faut noter que cette question ne peut être posé pour un homme de libre condition, c'est à dire non esclave.

En effet, pour un homme libre, on demande qui est son père, sa tente au sens de sa grande famille, sa tribu parce que cela constitue son identité. En revanche pour un esclave ou un enfant on demande ses parents (Ehlou), à comprendre ici au sens dé celui qui exerce l'autorité sur lui, parce que l'esclave et l'enfant n'ont pas l'identité propre, la seule à laquelle ils peuvent pré-tendre est celle du maître d'esclave pour l'esclave et celle du père pour l'enfant.

En fait ce que voulait savoir Ould Moine est, qui étaient les maîtres d'Elemine. ' Dans la logique maure, un esclave est un mineur à vie. Ce sont ses maîtres qui doivent parler à sa place.

Ma réponse à sa demande parti-culière a été : Je ne connais ni ses parents ni sa tribu, mais il a la nationalité mauritanienne et il est immatriculé au Consulat."

La visite du chef de l'État n'a pas permis de régler ce litige. Au niveau de la grande commission mixte, la question ne fut guère évoquée. Dans la réunion de la sous commission relative aux affaires consulaires, j'ai personnellement évoqué l'affaire Elemine Abderrahime Ould

Hadrami n'a pas soutenu ma requête, ne serait-ce que verbalement. Du côté de la Guinée-Bissau, la sous commission était composée du directeur de protocole du chef de l'État, du directeur de la coopération internationale au Ministère de la Coopération puis du directeur du département Moyen-Orient et Maghreb au Ministère des Affaires Etrangères. Du côté mauritanien, il y avait Abderrahim et moi-même.

 

L'AFFAIRE DES DEUX MAURES DE LA TRIBU EHEL SIDI MAHMOUD

En 1996, une affaire de droit commun éclata en Guinée-Bissau, elle impliquait deux Maures d'une trentaine d'année chacun. Les deux intéressés avalent une boutique et étaient de serieux clients d'un grossiste portugais. La confiance aidant, celui-ci fournissait aux deux Maures des marchandises de première nécesssité comme le sucre, l'huile etc : et donnait un délai d'un mois pour son paiement. Cette pratique était courante entre grossistes et détailllants.

Le prix des marchandises s'élevait à 200 000 francs français. Les deux Maures quittèrent la Guinée-Bissau sans payer la somme dûe au grosslste.Trahis par un autre Maure qui était au courant de leurs intentions qui les dénonça, ils furent arrêtés à la frontière entre le Sénégal et la Guinée-Bissau. Ils furent ramenés dans la capitale guinéenne puis emprisonnés.

II convient de rappeler que Ould Moine était, en 1992, Ministre des Affaires Etrangères de Mauritanie. En 1996, il était ambassadeur de Mauritanie au Sénégal. Comme le Consulat de Mauritanie en Guinée-Bissau dépendait de la circonscription diplomatique de l'ambassade de Mauritanie au Sénégal, je fus soumis à de fortes pressions de la part de Ould Moine pour libérer les

deux Maures, coupables d'escroquerie et de délit de fuite.

Ould Moine était en contact permanent avec l'ambassadeur de Guinée-Bissau à Dakar, celui-ci intervenait par le canal de son Ministère des Affaires Etrangères. Ould Moine me disait au téléphone : "Je subis des pressions du Président de l'Assemblée Nationale, du Ministère des Affaires Etrangères, de celui de l'Intérieur, du Directeur de la Caisse Nationale de Sécurilé Social. Faites tout ce qui est en votre pouvoir pour les libérer" Une comparaison entre ces deux affaires va nous révéler la nature raciste et esclavagiste du système politique en Mauritanie.

Dans l'affaire Elemine Ould Taleb Ahmed, un mauritanien subi une injustice en Guinée-Bissau et n'est pas défendu par son État. Dans l'affaire des deux Maures escrocs, tout l'appareil de l'État a été mobilisé pour leur libération.

En conclusion, En Guinée Bissau la règle de droit n'est pas respecté. Les Bissau-guinéens en sont victimes tout autant que les étrangers établis dans ce pays.

En Mauritanie, il i a deux traitements, l'un réservé aux Maures qui sont défendus même s'ils ont tort et l'autre est réservé aux Noirs en général et aux Haratine en particulier. Les fortes pressions exercées sur la Guinée-Bissau ont fini par la libération des deux escrocs, au bout d'un seul mois d'emprisonnement. Ils ont de nouveau fui sans payer la somme dûe au commerçant portugais.

Les Haratine sont victimes d'un double racisme : un racisme lié à la couleur de leur peau car ils sont noirs et un racisme lié à l'esclavage. Ils constituent la majorité de la population mauritanienne.

Elemine a disparu de la Guinée-Bissau en 1994, affecté par le sort subi et personne ne peut dire avec certitude là où il se trouverait actuellement. Certains disent qu'il

timidement, au MND (Mouvement National Démocratique) sa position qui le poussait à prendre l'esclavage comme une question secondaire par rapport à l'avènement du socialisme et de la lutte contre le néocolonialisme français. Malgré cette erreur d'analyse, le MND a contribué à la prise de conscience et à la formation poli-tique d'une grande partie de la jeunesse mauritanienne dans les années 60-70.

Les Noirs américains devenus, aujourd'hui, Africains-américains avaient choisi le mot négro (nègre). Pourtant le mot négro avait une charge négative destinée à créer un complexe d'intériorité des Noirs américains à l'égard des Blancs. Le choix du mot n'était pas Innocent parce qu'il s'agissait de décomplexer le Noir par rapport au Blanc en se réappropiant le mot nègre. C'est pourquoi en 1974, à l'École Nationale d'Administration de Mauritanie, conformément aux réflexions antérieures sur la question de l'esclavage, Bilai Ould Worzeg et moi avions crée ce qui allait devenir le pemier noyau du mouvement d'Élhor (Organisation de Libération et d'Émancipation des Haratine). Nous avions choisi le mot Haratine pour désigner à la fois les esclaves (Abid) et les affranchis (haratine). Outre le fait de prendre un nom qui correspond au mot utilisé par les martres d'esclaves, il y avait deux autres raisons pour jus-

Hartani est le masculin singulier tiller ce choix:

du mot haratine.

• Dans la réalité, il n'y a pas de différence de statut entre un esclave (Abd) et un affranchi (Hartani) parce que le supposé affranchi

Hartanyat est le féminin pluriel. demeure toujours exploité, dominé d'une manière Indirecte. La différence se situe entre un esclavage direct et un esclavage Indirect. Ce dernier coûte moins cher au maître d'esclave. Dans certaines régions de Mauritanie le mot Haratine est utilisé pour désigner, à la fois l'esclave et l'affranchi. Tel

 


est le cas dans la région d'Atar, qui est celle du chef de L'État actuel, Ould Taya.

• Le mot esclave, dans la société maure, renvoie à l'idée d'une photo figée, or la notion d'affranchi renvoie à une perspective parce que la libération, la liberté et l'émancipation sont des objectifs encore à atteindre.

Le mot Haratine a été choisi, par nous, d'une part, pour décomplexer les victimes de l'esclavage en assumant un nom qui a une charge négative et d'autre part, offrir un horizon de sortie du statut d'esclave.

Plusieurs formes d'écriture et de prononciation du mot sont utilisées par ceux qui écrivent ou par-lent de la question Haratine : Haratin, Hratin etc. II n'est pas ici question de condamner les différences mais il serait juste de reconnaître la paternité de l'usage de ce terme à ceux qui ont osé réfléchir, les premiers, sur la question et qui sont à l'origine de la fondation d'Elhor. La volonté de franciser ce mot ne doit pas conduire à le déformer.

S'agissant de ceux qui mettent un 's' au nom Haratine pour marquer le pluriel, nous nous y opposons parce que le mot haratine est déjà un pluriel en Hassania. Si on acceptait le mot Hartani comme le masculin singulier du nom haratine alors on devrait accepter le mot Haratine (pluriel) sans y ajouter un "s".

Aujourd'hui, nous choisissons d'enrichir le vocabulaire Haratine par les mots suivants:

haratiniser : Créer une prise de conscience en vue de l'affranchissement de l'esclavage arabo-berbère, conduire quelqu'un vers l'émancipation et la libération.

 

Vieux malade, il appelle son fils le plus âgé et lui dit ceci : "N'oublie pas ta foi en l'Islam c'est la meilleure religion révélée. Je ne te parlerai pas des tribus arabes et guerrières parce que tu les connais. Elles obtiennent tout ce qu'elles veulent par la force. Elles sont comme la foudre. II vaut mieux ne pas être sur son chemin. En revanche, je vais te mettre en garde contre les tribus maraboutiques (berbères), notamment trois parmi celle-ci.

II ne faut jamais avoir comme. ami un membre de la tribu Kunta. Pourquoi ? Parce que son amitié s'achète. Il vivra sur ton dos et tu seras obligé de l'entretenir toute sa vie. Jamais il ne te rendra service. C'est un peu comme ce qu'on dit à propos de la tribu Oulad Deïmane : "lla Jak, Jechi, wila jeïtou, magechi" (s'il vient te voir, quelqu'un d'important est arrivé, si tu viens le voir personne est arrivé). Donc, méfie-toi de cette tribu.

II ne faut jamais prendre une dette auprès d'un membre de la tribu Tajëkant. Pourquoi ? Parce que quelques minutes après avoir eu cette dette, il viendra te demander de la payer. Puis, il te harcèlera jusqu'au moment où tu t'acquitteras de celle-ci. Puis, tout le monde saura que tu es dans le

la haratinIté : Nom féminin-singulier, ensemble de valeurs de la communauté haratine de Mauritanie et de sa diaspora. Par extension le mot désigne l'ensemble de la communauté noire victime de l'esclavage dans le monde arabe.

Pour définir ce mot nous nous sommes inspirés du grand poète sénégalais Leopold Sédar Senghor qui définissait la négritude comme 'l'ensemble des valeurs du monde noir".

La haratinisation : C'est le processus de prise de conscience de sa condition d'esclave et de la nécessité de lut-ter contre ce fléau qu'est l'esclavage.

Le Haratinisme est l'ensemble des études relatives à l'esclavage arabo-berbère en Mauritanie et dans le monde arabe.

Mohamed Yahya Ould Ciré Président de AHME

A.H.M.E. -Association des Haratines de Mauritanie en Europe - 3, allée Fernand Lindet - 93 390 Clichy-sous-Bois
A.H.M.E a été créee le 13 billet 2001 et déclarée au Journal Officiel Français n°32 1aôut 2001 sous le 0°2136.
L'A.H.M.E. peut-être consultée sur le site internet : www.journal-officiel.gouv.fr

 

 Retour