A.H.M.E.

INTERVIEW 54:

 

                  img4.gif                               Interviews de M. Boubacar Ould Messaoud     

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 Mauritanie-Boubacar Messaoud: Le Manifeste des Harratines, un appel pour que ce pays avance dans la paix (Interview)



ALAKHBAR (Nouakchott)-En Mauritanie, les Harratines (descendants d’esclaves) ont publié, le 29 avril 2013, un MANIFESTE Pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines au sein d’une Mauritanie unie, égalitaire et réconciliée avec elle-même.
Le document est «un appel aux Mauritaniens qui veulent que ce pays avance dans la paix», a déclaré Boubacar Ould Messaoud, président de SOS-Esclaves et signataires du Manifeste, dans cette interview accordée à Alakhbar.
ALAKHBAR: Pourquoi la publication d’un manifeste des Harratines ?

Boubacar Ould Messaoud : C’est un appel aux Mauritaniens qui veulent que ce pays avance dans la paix. Un appel à la bonne volonté des gens pour qu’ils sachent que ce que les Harratines posent tous les jours mérite d’être entendu. Nous ne pouvons plus vivre l’indifférence de ceux qui prétendent que nous sommes leurs concitoyens, alors que nous estimons être des citoyens de seconde zone.

ALAKHBAR : Qui a, ou qui ont été à l’origine de ce manifeste?

Boubacar Ould Messaoud : C’est le courant harratine qui existe depuis les années 50. En 1978, nous avons créé le mouvement  El Hor qui  a été à l’origine de l’abolition formelle de l’esclavage avec la déclaration le 5 juillet  1980 et sa promulgation le 9 novembre par les mêmes colonels qui nous ont gouvernés sans interruption pendant une trentaine d’années. Cet esprit, cette volonté de rompre totalement avec l’esclavage d’une part et, d’autre, de se positionner comme des citoyens à part entière dans ce pays  habite beaucoup de Harratines.  À l’origine de ce manifeste, il y a des amis, des gens dont la seule différence est qu’ils appartiennent à des groupes différents mais qui sont des Harratines. J’y ai contribué au titre de président de SOS-Esclaves comme d’autres leaders d’ONG de défense des droits de l’Homme ou de partis politiques, de mouvements sociaux ou syndicaux. Vous les connaissez; nous n’avons pas besoin de dire: «Tel ou telle est le chef de file ou en est l’initiateur».

ALAKHBAR : Qu’est ce qu’il faut retenir d’essentiel dans ce document ?

Boubacar Ould Messaoud: Tous les points sont essentiels dans ce document. Les Harratines vivent la discrimination et la marginalisation dans tous les secteurs de la vie nationale: l’Armée, la Police, la Justice, l’Enseignement et, surtout, la  Garde. Des retraités appartenant à la communauté arabe blanche, si on peut l’appeler entre guillemets, sont promus président de conseil d’administration et continuent ainsi à percevoir des rétributions conséquentes quand d’autres crèvent dans la misère.  En revanche, combien de Harratines sont nommés président de conseil d’administration ? Combien de Harratines travaillent dans des banques ? Combien sont-ils à avoir un rôle important dans ces institutions. Il n’en existe presque que pas. Ils sont plutôt des balayeurs, des plantons dans les sociétés
Il y a certes une élite Harratine qui s’en sort peu à peu, mais qui reste marginalisée par rapport aux autres.

ALAKHBAR : Est-ce qu’il a été possible de recueillir toute la problématique harratine dans un seul document ?

Boubacar Ould Messaoud : Nous n’avons pas eu de difficultés à regrouper la problématique harratine dans un document. Nous avons la chance d’avoir des éléments dans tous les secteurs. En fait, nous avons très rapidement recoupé les informations nécessaires.

Ce document a été pratiquement fini depuis quelques mois. Mais il fallait qu’il soit présenté à tous les leaders harratines, à toutes les parties qu’il pourrait intéresser, qu’elles soient signataires ou pas. Aujourd’hui, aucun leader harratine ne peut valablement dire qu’il n’a pas été consulté.

ALAKHBAR : Pourtant le président de IRA, Birame, a boudé la cérémonie de publication du manifeste. Pensez-vous alors que tous les cadres harratines sont d’accord sur la formule ?

Boubacar Ould Messaoud: Birame s’était retiré de la salle. Je devais le revoir par la suite, mais je n’ai pas eu la chance de le faire, parce qu’il est parti en Europe. Il a certainement vu quelque-chose qui l’a heurté. Mais, il est solidaire de ce document qui recoupe toutes les préoccupations des Harratines.

ALAKHBAR : Vous avez parlé d’un retard de publication de quelques mois. Mais le problématique harratine date des années. Pourquoi avoir attendu jusqu’au 29 avril 2013 pour publier ce manifeste ?

Boubacar Ould Messaoud : La problématique harratine date des années, de plusieurs siècles même. Mais elle se développe. Il y a 10 ans, 15 ans, 20 ans, nous n’étions pas au même état d’esprit ni à la même compréhension de la situation. Les Harratines étaient très divisés-Ils le sont d’ailleurs actuellement-  divisés par leur appartenance tribale, régionale et par le fait qu’en Mauritanie, on n’a jamais vraiment uni les gens. Les gens sont divisés par ethnie, par tribu et par la race. Et les Harratines esclaves, anciens esclaves ou assimilés suivent le courant de la tribu à la quelle ils pensent appartenir. Aujourd’hui, ils s’en dégagent. Et grâce à l’émergence d’une élite harratine, opprimée comme le reste,  les gens sont devenus mûrs à poser leurs problèmes de manière concertée, claire et sans équivoque. C’est cette élite qui a décidé de poser le problème de la marginalisation des Harratines. Car le constat est que quelque soit leur niveau, universitaires, ingénieur ou autre, les Harratins sont partout marginalisés et disqualifiés par rapport à d’autres qui, parfois, n’ont de référence que le nom de famille.  

ALAKHBAR : Est-ce que des Harratines du parti au pouvoir ont participé à ce manifeste ?

Boubacar Ould Messaoud : Oui. Il y a des Harratines qui sont membres du parti au pouvoir qui ont participé à toutes les étapes de rédaction et de publication.

ALAKHBAR : Qui par exemple ?

Boubacar Ould Messaoud : Mon rôle ce n’est pas de donner des noms. Il ne s’git pas d’une enquête policière. Ou bien, vous participer à la promotion de ces gens-là, ou bien, vous les indiquez à la  vindicte des autres. De toute façon, des registres, sur lesquels les signataires ont mentionné leur nom et fonction, seront publiés certainement. Vous y référez. Je ne peux pas vous dire: « Tel Monsieur dans tel parti politique est avec nous ».

ALAKHBAR: Peut-on savoir quelle a été la réaction des acteurs politiques?

Boubacar Ould Messaoud : Très sincèrement, je n’ai pas encore rencontré d’acteurs politiques pour en discuter avec eux. J’avais des réunions en enfilade avec des partenaires européens qui ne sont repartis qu’aujourd’hui (mercredi). Mais je sais que dehors (après la cérémonie de publication), j’ai rencontré des amis, qui appartiennent essentiellement à l’opposition, qui ont exprimé leur satisfaction et qui estiment que c’est un évènement positif et important.

ALAKHBAR: Quelle réaction attendez-vous quand même de la part de ces acteurs politiques ?

Boubacar Ould Messaoud : Nous attendons d’eux une ouverture réelle vis-à-vis de notre action. Nous, ONG de droit de l’homme, dénonçons l’esclavage en tant que pratique et séquelles et nous avons besoin de mobiliser l’opinion nationale et internationale sur le phénomène. L’esclavage est l’un des grands maux que vivent les Harratines, mais il est escamoté, nié, ignoré et souvent pas pénalisé malgré qu’il existe une loi qui l’incrimine depuis 2007. Nous avons souvent des esclavagistes qui sont amenés à la Police, au Parquet ou devant les tribunaux, mais qui finissent par être libérés, parce qu’on estime qu’ils ne sont pas des esclavagistes, ou bien on crée des conditions de leur libération par une mise en liberté provisoire qui ne finit jamais. Et parfois le contrôle judiciaire n’est qu’une manœuvre  mettant fin à toute poursuite, le présumé ou la présumée esclavagiste est mis ou mise en liberté effective et s’évanouie dans la nature.

ALAKHBAR: Pouvez-vous, au moins, nous dire la réaction de Messaoud qui est un des leaders historiques de la cause harratine ?

Boubacar Ould Messaoud : Je n’ai pas besoin d’aller chercher la réaction de Messaoud, je la connais. Messaoud considère que les Harratines sont profondément marginalisés. C’est sa conviction et le sens de sa lutte. Il lutte contre la marginalisation des Harratines et pour le développement harmonieux de toutes les composantes de ce pays.

ALAKHBAR: Le manifeste publié, qu’est ce qui va suivre ?

Boubacar Ould Messaoud: Nous poursuivrons la revendication de nos droits dans l’ensemble des secteurs que ce soit du point de vue des syndicats des travailleurs, ouvriers, dockers et des cadres diplômés harratines qui chôment ou même qui travaillent mais marginalisés. Nous mettrons en relief notre manifeste. Nous continuerons à réclamer l’application de la loi criminalisant l’esclavage de manière effective et généralisée dans le pays. Nous continuerons à demander une véritable discrimination positive en faveur des Harratins qui sont les plus exclus dans ce pays.

 Je voudrais, pour terminer, dire que je suis très inquiet à la volonté de certains  de réduire la composante négro-africaine et les Harratines à des proportions inférieures à la composante des «maures blancs ». Il ne faut pas l’enrôlement à l’état civil biométrique soit instrumentalisé pour réduire artificiellement certaines composantes de la population en privilégiant des régions peu peuplées par rapport à celles qui le sont plus. Imaginez, que des villes de 5 à 11 mille habitants ont deux députés, deux sénateurs alors que d’autres de 25 mille habitants n’ont qu’un député et un sénateur.

On dit également dans le pays que des Touareg de l’Azawad (Mali) et des Sahraouis (Sahara Occidental) sont enrôlés facilement. Ce, parce que tout Maure est considéré par certains comme Mauritanien, ce qui n’est pas normal. Si on considère que tout Poular n’est pas un Mauritanien, ce qui est vrai, tout Maure aussi n’est pas un Mauritanien non plus. Le Maure peut être Malien, Sahraoui, Marocain ou Algérien. Il faut avoir une position juste et équitable vis-à-vis de tous les non mauritaniens qu’ils viennent d’Afrique du Nord, du Sahara, du Mali ou d’Afrique sub-saharienne.

D’une manière générale, seule une attitude juste et équitable permettra aux mauritaniens honnêtes de s’entendre et à la Mauritanie de surmonter ses contradictions et de connaitre un véritable développement économique et social.

Le 05/05/2013

 

Interview de Boubacar Ould Messaoud président de SOS-Esclaves-Mauritanie

 

Des militants africains des droits de l’homme ont été conviés en France, jeudi dernier, pour discuter de la question des droits de l’homme en Afrique dans le cadre du cinquantenaire des indépendances africaines que la France célèbre depuis quelques mois. Parmi eux, Boubacar Ould Messaoud, qui est haut fonctionnaire de son pays engagé dans la lutte contre l'esclavage. le Mauritanien pointe un index accusateur sur l’esclavage et les inégalités sociales dans son pays.

Wal Fadjri : Et en Mauritanie, quel est aujourd’hui l’état des droits de l’homme ?


Boubacar Ould Messaoud: L’état des droits de l’homme est relativement difficile à décrire parce que nous en sommes demandeurs, très affamés et nous attendons beaucoup des droits de l’homme, de ceux qui nous gouvernent pour l’application des lois pour que les droits de l’homme soient respectés et que le progrès économique du pays profite à tout le monde. Tant que les droits de l’homme ne sont pas respectés, le progrès ne profite qu’à une infime partie de nos populations. Mais nous pensons que, d’une manière générale, par rapport aux indépendances, nous avons fait du chemin. Et ce chemin, c’est celui de la lutte qui a pu nous permettre d’exister en tant qu’organisation, comme contre-pouvoir. Ce contre-pouvoir est à considérer comme un aspect positif généré par nous-mêmes. La société civile mauritanienne, comme la société civile africaine, ce sont des sociétés qui sont créées par la lutte sur le terrain.
Je pense qu’il faut lutter pour l’égalité entre tous les citoyens.

On sait que la question des droits de l’homme se pose à travers l’esclavage en Mauritanie. Des progrès ont-ils été réalisés dans ce domaine ?


Boubacar Ould Messaoud : C’est une question difficile en Mauritanie. Elle est inexistante ailleurs parce qu’elle n’y a pas été posée alors qu’elle y existe aussi. Toujours est-il qu’en Mauritanie, c’est une question difficile parce que le problème, c’est l’application des lois et l’accompagnement des victimes pour leur insertion dans la mesure où nous avons voté en 1981 une loi abolissant esclavage. Nous avons obtenu en 2003 une loi criminalisant la traite des personnes. Et en 2007, nous avons obtenu une loi sur l’esclavage par ascendance qui est l’esclavage traditionnel qui sévit en Mauritanie depuis des siècles et que l’on trouve aussi dans d’autres pays. Sur ce plan, nous estimons qu’il y a un progrès parce que la Mauritanie a toujours nié l’existence de l’esclavage. Et elle continue à le nier en ne se référant qu’aux séquelles de l’esclavage. Nous estimons que ces concessions qui sont faites par les
dirigeants du pays ont apporté du crédit à la lutte que nous avons menée. En faisant des lois contre l’esclavage, c’est une reconnaissance de fait de son existence. Mais nous avons du travail à faire. Nous avons à faire de la sensibilisation et du plaidoyer auprès des parlementaires et auprès des autorités judiciaires pour que la loi soit appliquée.

Comment faire pour lutter contre l’esclavage par ascendance quand on sait qu’il s’agit d’un problème plutôt de conscience ?


Boubacar Ould Messaoud : On doit sensibiliser les gens, déconstruire l’idéologie sur laquelle repose l’esclavage. L’esclavage est mis dans la tête des gens par l’instrumentalisation de la religion musulmane. Alors que la religion n’a rien avec l’esclavage, même s’il y a des esclavagistes musulmans. Ils ont voulu asseoir leur autorité en faisant croire aux esclavages que leur paradis dépend de leur soumission à leur maître. Aujourd’hui, nous travaillons pour faire comprendre aux gens que ceci est faux. Nous faisons comprendre aux imams, aux gens de bonne foi, de faire des prêches pour déconstruire cette idéologie sur laquelle repose l’esclavage et les inégalités sur lesquelles repose la société africaine. Ces inégalités sont souvent justifiées dans la société musulmane africaine par une pseudo-référence à la religion. Une référence qui n’est pas juste parce que l’Islam est une religion égalitaire et prêche
l’égalité des hommes et le bonheur pour tous.

Vous avez dit durant la conférence de presse qu’il était inimaginable, il y a quelques années, qu’un descendant d’esclavage soit président de l’Assemblée nationale, comme c’est le cas aujourd’hui. Pourquoi ?


Boubacar Ould Messaoud : Nous avons pris conscience. Il y a une remontée des descendants d’esclaves et des personnalités mauritaniennes appartenant à d’autres couches, comme la couche dite noble, qui sont contre l’esclavage et qui ont lutté en créant des associations, qui ont créé des partis et réclament le pouvoir au nom de la liberté et de l’égalité pour tous. Le président de l’Assemblée nationale est le président d’un parti. Tout ça s’est créé avec la lutte qui nous a amenés à ces lois-là. En 1980, nous avons été mis en prison. C’est à la suite de cet emprisonnement, de ces procès, que nous avons obtenu la loi abrogeant l’esclavage. En 1993, on a aussi arrêté pour avoir créé Fr3 dans un Paris-Dakar. Il y a quelques progrès, même s’ils sont minimes.

Et la répression militaire qui a envoyé en exil beaucoup Mauritaniens ?


Boubacar Ould Messaoud : C’est un aspect très important que nous avons dénoncé et que nous continuons de dénoncer. En Mauritanie, il n’y a pas que l’esclavage. Il y a aussi la discrimination raciale et l’exclusion. Et cette exclusion des Négro-Mauritaniens, nous la dénonçons. Le problème n’est pas totalement résolu. Les rapatriés ne sont pas dans des conditions idéales. Le passif humanitaire n’est pas encore résolu.



Propos recueillis à Paris par: Moustapha BARRY- Walfadjri

 


 
Boubacar Ould Messaoud, président de SOS Esclaves


"Hanevi est victime de la détestation où le tiennent certaines personnalités influentes au sommet de l’Etat "

Le directeur de publication du site électronique "Taqadoumy" Hanevi Ould Dehah détenu depuis 7 mois vient d’être condamné à deux ans de prison. Pour Boubacar Ould Messaoud, président de SOS Esclaves, Le cas de Hanevi témoigne d’une volonté manifeste de la part du pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz de confisquer les libertés qui semblent menacées surtout au regard de la nouvelle loi antiterroriste qui crée, à l’en croire, Les conditions d’une violation systématique des droits élémentaires de la personne. Entretien.


Le Rénovateur Quotidien : Hanevi Ould Dehah vient d'être condamné à deux ans d'emprisonnement ferme. Quelle appréciation en faites-vous?

Boubacar Ould Messaoud
: Je suis surpris. Je n’en crois pas mes oreilles ni mes yeux. Hanevi a purgé sa peine de 6 mois et a été maintenu en prison illégalement depuis le 24 décembre 2009 pour se faire condamner par une cour d’appel, autrement composée, de nouveau à 2 ans d’emprisonnement ferme après une procédure entachée d’irrégularités selon la défense. Il semble s’agir bien plus d’un règlement de comptes tant ce journaliste de talent déplait et dérange par son courage et sa détermination à pourfendre les tabous de la Mauritanie ancienne.

Le Rénovateur Quotidien : Malgré les pétitions, les appels de libération lancés par-ci et par-là, Hanevi n'a pas recouvré sa liberté. Peut-on penser qu'il s'agit là d'un acharnement gratuit sur ce dernier dès l'instant qu'il a déjà purgé sa peine?

Boubacar Ould Messaoud : Hanevi est victime de la détestation où le tiennent certaines personnalités influentes au sommet de l’Etat, dans le commandement des forces armées, de la police et aussi parmi les hommes d’affaires ; son journal, Taqadoumy tient une ligne éditoriale très libre, un peu trop sans doute en Mauritanie.

Hanevi, dans ce système d’impunité et d’entente criminelle entre les tribus, est appelé à vivre en prison ou en exil. Le pays ne protège pas des gens comme lui mais les expose à la persécution parce qu’ils dérangent l’entente tacite entre les groupes qui dirigent et se partagent la richesse nationale.

Le Rénovateur Quotidien : Faut-il craindre pour la liberté d'expression et de presse qui sont deux règles garanties et reconnues par la constitution?

Boubacar Ould Messaoud
: Au delà de la liberté presse d’expression et de presse, toutes les libertés semblent menacées de confiscation, surtout au regard de la nouvelle loi antiterroriste qui crée les conditions d’une violation systématique des droits élémentaires de la personne. Sans doute par ignorance, la plupart de nos députés l’ont adoptée. Oui, au-delà du cas Hanevi, je suis pessimiste sur l’avenir de l’Etat de droit en Mauritanie.

Propos recueillis par Babacar Baye Ndiaye- LE RÉNOVATEUR QUOTIDIEN


 


 Boubacar Messaoud à Biladi 

 

“Le putsch perpétue l’esclavage, le racisme et la prédation clientéliste” Boubacar Messaoud est le président de S.O.S Esclaves, une ONG très présente dans la lutte en faveur des droits de l’Homme en Mauritanie.

Engagé, depuis la première heure, contre le coup d’état qui renversa, en août dernier, Sidi Ould Cheikh Abdellahi, l’homme qui fut victime d’une agression de la part des éléments de la police, et qui, selon lui, avait frôlé la mort, a bien voulu répondre aux questions de Biladi.

Biladi : Lors de la manifestation de la CFD, organisée il y a un peu plus de deux semaines, et à laquelle ont pris part plusieurs leaders politiques, syndicaux, seul Boubacar Messaoud attira l’attention de l’inspecteur Ould Nejib qui lâcha plusieurs éléments de l’anti-émeute sur sa personne.

Pourquoi selon vous, la police a accordé une attention particulière au président de S.O.S esclaves ? Avez-vous le sentiment que les ordres viennent d’en haut ?

Boubacar Messaoud
(B.M) : Je ne peux affirmer ce que je ne saurais prouver. Mohamed Ould Nejib a bien pu être envoyé par un de ses multiples supérieurs pour régler le compte au président de SOS-Esclaves. Cela peut tout aussi bien relever de l’initiative personnelle de l’homme médiocre d’extraction féodale et policier zélé pour mon activisme contre l’esclavage et toutes les formes de violations des droits de l’homme. Mes dénonciations des attitudes discriminatoires et racistes dérangent au point de vouloir ma peau.

Biladi : Certains organismes n’ont pas hésité à monter au créneau pour appeler à ce que des poursuites soient engagées contre l’inspecteur Nejib. Souscrivez-vous à leur démarche ?

Boubacar Messaoud (B.M) : Bien sûr que j’y souscris ! J’ai été victime d’une agression sauvage gratuite et j’ai reçu, à la nuque et sur le reste du corps, des coups qui m’ont fait perdre connaissance. Le coup sur la nuque, donné par des spécialistes bien entraînés, aurait pu être fatal, ainsi m’a expliqué le médecin.
Se plaindre des policiers, des gendarmes et mêmes des juges qui violent la loi, qui abusent de l’autorité et qui portent atteinte à l’intégrité physique et moral des citoyens doivent être poursuivis et sanctionnés c’est un devoir minimum pour le défenseur des droit de l’homme une pédagogie pour faire comprendre à nos populations que ces individus quelques soit leur grade ou leur fonction ils ne sont pas au dessus de la loi qui une pour tous.

Biladi : Pensez-vous qu’une plainte contre lui peut aboutir ?


B.M : Dans un Etat de droit avec une justice indépendante cela ne ferait aucun doute. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et ce constat d’impuissance est l’un des enjeux du combat que je mène, avec les autres camarades de SOS Esclaves, depuis longtemps déjà.

Biladi : Le département d’Etat américain de même que plusieurs organisations de droits humains s’inquiètent du recul des libertés publiques. Pensez-vous qu’il y a un net recul des libertés publiques depuis l’avènement du coup d’état ?

B.M:
Oui il y a réel recul des libertés publiques et l’illustration la plus flagrante réside dans la faculté, pour un général, de renverser un président élu, de prendre le pouvoir par les armes, de convoquer un scrutin à sa guise et de s’y faire «élire». Il n’y a pas plus évidente violation des droits de l’Homme que le détournement de la volonté du peuple aux fins du plébiscite d’un officier, sous contrôle et caution de la contrainte militaire.

Biladi : Depuis le 6 aout on a peu entendu parler du dossier de la lutte contre l’esclavage, avez-vous le sentiment que la junte en a fait une préoccupation secondaire, comme le pensent bon nombre d’observateurs ?

B.M : C’est le moins que l’on puisse dire.

Biladi : Jusqu’où Boubacar Messaoud est aujourd’hui prêt à aller pour contribuer à faire échec au coup d’état.

B.M :
Je suis un défenseur des droits de l’homme par conviction et l’engagement que j’ai pris, sur depuis plus de 30 ans de contribuer à l’émergence d’un Etat démocratique par des moyens pacifiques ne connaîtra que les limites de la non-violence. L’écheque du coup d’état est aujourd’hui un acte incontournable pour l’ancrage de la démocratie ; sur cette voie, ma propre vie est peu de chose.

La réussite du putsch consacrerait, sans nul doute, la résurgence et le renforcement du bloc historique qui perpétue l’esclavage, le racisme anti-noir et la prédation clientéliste en Mauritanie. Je dis ici et partout ailleurs, à Ould Nejib et à ses commanditaires : la vie de Boubacar Ould Messaoud est peu de chose, prenez-la mais la lutte débouchera sur la disparition de l’espèce sociale à laquelle vous appartenez, avec ses valeurs de supériorité, son mépris du faible et l’arrogance de sa confiance en son immunité envers la loi.

Le 19/04/09
Propos recueillis par Samba Camara                                                                                                          

 Source : Biladi (Mauritanie)


 

Boubacar ould Messaoud: Il ne suffit pas d'une loi pour combattre un phénomène pareil

 


 
Monsieur Boubacar ould Messaoud, vous êtes le président de l'association SOS esclave, quelle est votre impression sur la loi qui vient d'être votée à l'unanimité à l'Assemblée Nationale criminalisant l'esclavage?

    Nous sommes satisfait de cette loi dans la mesure où elle constitue une de nos principales revendications. L'avant projet était squelettique et le projet fut insuffisant, nous pensons que le travail de l'obbying que nous avons fait, et notre action auprès de la société civile pour apporter des amendements nécessaires à cette loi ont été payants parce que la majeure partie de nos amendements figurent aujourd'hui dans la loi.

    Néanmoins, elle n'est pas suffisante en elle même. Il ne suffit pas d'une loi pour combattre un phénomène pareil, bien que ça soit un passage obligatoire. Jusque là, les pratiques esclavagistes persistent à cause de l'impunité dont profitent les esclavagistes. Et le fond du problème c'est que les autorités et ceux qui dirigent notre pays sont essentiellement composés des descendants d'esclavagistes. Ils sont à l'origine du mur de silence qu'on arrivait pas à percer.



    Par ailleurs, nous sommes satisfaits, parce que notre objectif n'a jamais été de provoquer une confrontation, mais plutôt que les mauritaniens jugent nécessaire d'entreprendre ensemble une démarche commune pour enrayer ce phénomène qui est un crime contre l'humanité.

    Ce qui est intéressant dans cette loi, c'est qu'elle a été votée à l'unanimité à l'Assemblée Nationale par des maîtres d'esclaves qui conviennent que l'esclavage existe. Donc aujourd'hui nous avons dépassé la guerre des mots. Puisqu'avant on disait que l'esclavage n'existe pas. Et que ce qui existait n'est que les séquelles de l'esclavage. Nous sommes satisfaits mais restons réservés quant à la sincérité de ceux qui nous dirigent, bien que la volonté politique qui était nécessaire s'est exprimée par le vote de cette loi…on ne peut que féliciter le président de la république.

Quel bilan faites vous de votre lutte anti-esclavagiste?

    Pour nous la lutte ne fait que commencer car le problème est reconnu par tout le monde et surtout par l'opinion internationale. Cette loi est une preuve de l'existence de l'esclavage. Elle est venue après plusieurs tentatives qui n'étaient en fait que des leurres. On dit que la Mauritanie a aboli trois fois l'esclavage. Ce qui est faux ! Elle ne l'a fait qu'une fois. On a promulgué une ordonnance abolissant l'esclavage, mais du point de vue juridique, elle le légalise car elle prévoyait la compassassions des maîtres. Ce qui veut dire qu'elle reconnaissait à certaines personnes le droit d'avoir une propriété sur d'autres.

    Notre blocage c'est la culture et la mentalité de tous les mauritaniens qu'ils soient du sud ou du nord, noirs ou blancs. Ils ont tous tendance à croire que l'esclavage est un phénomène normal, ordinaire et banal, reconnu par la religion musulmane, donc tout à fait légitime alors que ce n'est pas vrai ! La compassassions des maîtres tenait compte d'un droit reconnu…mais reconnu par qui ? En tout cas pas par l'islam !

    Aujourd'hui, nous dénonçons l'instrumentalisation de la religion musulmane. A l'étranger, on s'étonne qu'il y ait l'esclavage en Mauritanie. Certains journalistes étrangers appellent la Mauritanie : le pays des esclaves consentant. Alors qu'en effet ce n'est pas vrai ! C'est plutôt une éducation transmise de père en fils et qui est considérée comme une fatalité. Nous disons que ce n'est point la volonté de Dieu mais celle des hommes.
    Aujourd'hui à la veille de cette promulgation, j'ai vu des cadres soninkés qui ont fait des révélations que tout le monde savait mais pas assez. Ils affirment qu'il existe une exclusion quasi totale du descendant d'esclaves aussi bien sur le plan politique, social que spatial. 

    C'est dire qu'actuellement dans les milieux négro africains les gens acceptent d'en parler. Ce qui est donc une victoire mais la véritable victoire c'est l'acceptation de tous les Mauritaniens à vouloir dépasser ce problème sans faire de procès à personne. Nous sommes une société en perpétuelle mutation et l'esclavage disparaîtra un jour. Mais s'il disparaît sans qu'on le combatte ensemble, il fera place à la haine et créera la division. Il n'y a rien de plus généreux que de restituer à un esclave sa dignité. Nous travaillons pour l'unité nationale et non pour la division. C'est cela notre combat !

Vous disiez plus haut que l'esclavage est encré dans nos habitudes profondes, alors que faudrait-il d'autres pour appuyer les mesures législatives ? 

    Une campagne de sensibilisation à long terme est indispensable. Et le fer de lance de celle-ci doit être les oulémas, les imams et les gens de religion afin de sensibiliser les populations. Cette campagne doit être urgente, sérieuse et engagée. Elle doit se tenir dans toutes les mosquées et à la télévision nationale. Il faudrait faire une grande sensibilisation dans les médias.

    En plus, d'autres reformes foncières s'imposent pour que les terres cultivées reviennent aux anciens esclaves et que cela ne soit pas l'objet des chantages. En effet, certains d'entre eux ne veulent pas quitter leurs maîtres parce qu'ils sont pris à la gorge par le biais des champs. Il y a eu une reforme en 1983 portant sur le partage des terres et à la révocation des propriétés collectives sur les terres. Ce qui n'a permis que la spoliation des terres des negro-africains par des commerçants et des hommes d'affaires maures.

    En fin, il faudrait scolariser le milieu des anciens esclaves. Car, pauvres, ils n'ont pas les moyens d'envoyer leurs enfants à l'école. Et une discrimination positive serait également la bienvenue comme ce fut le cas pour les "arabisants" par rapports aux "francisants".

 

 TELEGRAMME HEBDO-SOURCE CRIDEM

 

 

 

 

Mauritanie | BOUBACAR OULD MESSAOUD, SG “SOS ESCLAVES” :

 

 "La solution des problèmes de la Mauritanie passe par la résolution du passif humanitaire"

LA SENTINELLE

     

    African Global News : Quelle est votre position par rapport à la loi criminalisant l’esclavage qui doit bientôt être adoptée ?

    Boubacar Ould Messaoud : Par rapport à cette loi, je suis très optimiste. En tout cas, je suis très encouragé par cette décision qu’avait prise le Président de la République. Il s’agit en outre du respect d’un engagement électoral pris par Sidi Ould cheikh Abdallah alors candidat à la Présidentielle. Je pense que l’adoption d’une loi criminalisant l’esclavage est un acte incontournable aujourd’hui, dans la mesure où notre but est que cette pratique cesse, et que par la suite, on commence à traiter le phénomène. L’esclavage ne dépend pas seulement
    d’une loi la criminalisant. Il y a un ensemble de mesures d’accompagnement qui doivent être prises. Depuis plus de vingt ans, depuis la promulgation de l’abolition de l’esclavage, cette loi devait être prise. A défaut de prendre un décret d’application de l’abolition de ce phénomène. Cette loi nous intéresse dans la mesure ou elle pourrait permettre aux militants des droits de
    l’homme de poursuivre leurs activités de sensibilisation et de permettre aux esclaves d’avoir des recours.

    Après la promulgation de cette loi, je pense que les autorités n’auront pas de difficultés à écouter les plaintes des victimes de l’esclavage. Et quand j’ai eu à le voir et à en discuter, je me suis rendu compte qu’elle est relativement floue dans des passages de certains articles. Dans ce cadre, notre organisation est en partenariat avec d’autres organisations telle que
    l’Amdh, le Gerddes, et l’Association des Femmes Chefs de Famille. Elle a organisé une journée de réflexion sur ce document et nous avons préconisé des amendements utiles. A la suite de cela, nous avons également organisé une journée de plaidoyer en direction des parlementaires (députés et sénateurs) auxquels nous avons exposés nos amendements
    qu’ils ont discuté avec nous. Nous avons bon espoir que ces amendements auront une influence positive sur le parlement qui va en tenir compte.

    A. G. N : Et si jamais le Parlement n’en tient pas compte ?

    B. O. M : Je pense qu’on n’est pas sûr d’avoir raison en tout. Mais je ne pense pas qu’il puisse ignorer l’ensemble des amendements que nous avons demandés. Et s’il ne devait pas en tenir compte, nous continuerons la lutte. Nous pensons quand même que cette loi est une nouvelle étape dans la reconnaissance de l’existence de l’esclavage. Vous savez qu’on se bat depuis des années, que nous avons toujours été maltraités, calomniés par des gens qui disent devant nous que l’esclavage est une invention de gens qui essayent d’en tirer des bénéfices. Nous pensons toutefois que cette loi n’a pas été conçue pour rien. Elle suit une demande répondant à une réalité. L’esclavage existe dans ce pays, il y’a également ses séquelles. Il y a des gens qui vivent les séquelles et d’autres qui vivent les pratiques esclavagistes. Si les parlementaires ne tiennent pas compte de nos amendements, nous continuerons la lutte.

    Notamment la référence au « prétendu esclave ». Des termes de ce genre qui rendent le texte totalement flou et incompréhensible parce qu’il n’y a pas de « prétendues victimes ». On n’a pas à prouver qu’on est esclave. C’est aux pouvoirs publics de prouver la culpabilité des gens. Tant que cette culpabilité n’est pas prouvée, ils sont présumés innocents. Maintenant, vouloir dire qu’il y’a des « prétendus esclaves » c’est comme prétendre qu’il y a des gens qui inventent l’esclavage. Nous avons constaté que dans la version arabe, qui était l’originale, le terme prétendu n’était pas mentionné.

    De ce point de vue, nous pensons que nos amendements seront pris en compte au moins en ce qui concerne par exemple la dimension religieuse de l’esclavage. Il n’est pas normal qu’on puisse parler de l’esclavage sans introduire la référence religieuse. L’esclavage a été maintenu dans ce pays, car on a instrumentalisé la religion musulmane qui, elle-même, est contre l’esclavage. Nous pensons que la référence religieuse fait que l’abolition de
    l’esclavage soit conforme à la charia. Et l’enseignement de l’islam doit être très précis.

    Pour nous, il n’ y a pas de délit d’esclavage, car l’esclavage est un crime. Il y’a des personnes qui considèrent que l’esclavage est une tare et qui veulent se contenter de ce terme.
    L’esclavage est un crime reconnu internationalement. Il y a des conventions internationales auxquelles la Mauritanie a souscrit. Nous souhaitons que la population mauritanienne, à travers cette loi, comprenne que l’Etat a décidé d’en finir avec l’esclavage. Il n’est plus permis d’exercer des pratiques esclavagistes. Nous voulons que l’impunité cesse, mais nous ne cherchons nullement à attaquer quiconque. Nous souhaitons que l’on crée des agences pour aider les anciens esclaves à s’insérer, devenir autonomes et travailler pour leur propre compte au lieu de travailler pour leur maître comme ils le faisaient auparavant.

    A. G. N : Selon vous, est-ce que l’esclavage, pratiqué dans le milieu maure, est comparable à celui que l’on trouve dans le milieu négro africain ?

    B. O. M. : Le lien qui existe entre les deux communautés, c’est que d’abord, dans les deux sociétés, on adhère à l’esclavage comme une valeur. L’esclave existe dans toute les communautés (poulaar, wolof, maure, soninké…). C’est une réalité. C’est quelqu’un qui est exclu, discriminé. Maintenant la différence réside au niveau de la pratique. La différence, c’est que certains n’exploitent plus directement leurs esclaves alors que d’autres les exploitent et les font travailler. Mais tout ceci, de mon point de vue, c’est une question de temps.
    L’esclavage est très ancien dans le milieu négro-africain. C’est presque devenu une caste. Il y a des esclaves qui se reconnaissent comme tels et d’autres qui vivent loin d’eux. Chacun vit dans son propre milieu. L’esclavage en milieu maure est beaucoup plus vivant. On peut être affranchi chez les maures.

    Une fois qu’on est affranchi, on a un nouveau statut. On peut épouser une femme affranchie et les enfants sont réputés être affranchis, libres de naissance, alors que j’ai l’impression que chez d’autres, sans pouvoir les citer, on est esclave, fils d’esclave ; donc on reste esclave de réputation. La grande différence, c’est qu’en milieu maure, il y a une grande dénonciation qui est toujours exprimée. Des gens dénoncent leur situation et se révoltent. En milieu négro-africain, la dénonciation est toujours cachée. Ils ne veulent pas nous rendre compte de ce qui leur arrive, sauf dans l’intimité la plus absolue. Pourtant, nous avons une organisation qui considère que l’esclavage existe dans toutes les communautés mais nous n’avons presque pas de plaintes de la part des négro-africains. Mais en fait, l’esclavage est un phénomène caché dans toutes les sociétés. Les maîtres comme les esclaves n’avouent pas cela. Il n’y a que des gens réellement libérés qui en parlent. Moi par exemple, je suis libre. Je
    n’ai pas le complexe d’en parler, mais combien de gens comme moi sont capables d’en parler ? Pour finir, je dis que l’esclavage est un problème qui se pose surtout aux femmes et aux enfants, car ils sont les principales victimes.

    A. G. N : Etes vous optimiste par rapport à cette situation là ?

    B. O. M : Aujourd’hui, je préfère cette situation parce que nous venons de loin. Si vous vous rappelez bien, la période de Ould Taya, le sujet était tabou. On parle aujourd’hui ouvertement de l’esclavage. Tout le monde peut en parler. C’est un pas. Je crois qu’aujourd’hui, on est rentré dans une phase où on ne peut qu’aller de l’avant. C’est pour cela que je suis optimiste. La solution aux problèmes de la Mauritanie passe par la résolution du passif humanitaire, et la liquidation de l’esclavage. Ce combat ne se mène contre personne. C’est notre société elle-même qui doit participer de manière consciente à sa mutation, parce que les changements sont inéluctables. Nous voulons que la société change pacifiquement et que chacun y participe de son coté. C’est qu’on ne doit pas laisser simplement aux fils d’esclaves le soin de se révolter, de se révolter contre leur statut, leur stigmatisation. Il faut accompagner leur mutation et je voudrais appeler tout le monde à y participer. Il n’y a pas de vengeance, nous n’avons aucun contentieux à régler. On veut évoluer et il faut accompagner cette évolution.

 

Entretien réalisé par Birome GUEYE

 

  

Boubacar Ould Messaoud, président de SOS Esclaves:

 

«Les jours de l'esclavage et des pratiques esclavagistes sont comptés»


Au Niger comme en Mauritanie, l’esclavage est un crime. Les lois criminalisant ce phénomène datent des années 60 pour ce qui concerne la République du Niger. En 1981, en Mauritanie, une loi abolissant l’esclavage avait été votée sans connaître trop de succès.

Pour corriger les imperfections de cette loi, les députés ont encore voté en 2007 un texte qui vient renforcer cette criminalisation. Nous avons voulu avoir l’avis du président d’une association qui vient en aide aux victimes de l’esclavage à propos de la condamnation du
Niger par une cour supranationale.

La cour de justice de la CDEAO vient de prendre une décision condamnant le Niger à verser 10 millions de FCFA à une citoyenne victime d’esclavage. Que vous inspire cette décision ?

Cette décision est une nouvelle victoire remportée sur plus de cinquante ans de dénis de l'esclavage et contre ceux, autorités publiques ou autres esclavagistes inavoués qui continuent de le nier. C'est une autre preuve que la pratique de l'esclavage n’est pas un phénomène banal dans certains pays et justifie pleinement la création en 2007 de notre Réseau de Lutte Contre l’Esclavage en Afrique de l'Ouest, regroupant des organisations mauritaniennes, nigériennes et maliennes. J’en éprouve une profonde satisfaction.

Une pareille décision est-elle envisageable au sein de l’UMA dont fait partie la Mauritanie?

En Mauritanie jusqu'ici, la justice n'a jamais fait suite aux plaintes des victimes de l'esclavage, nous avons le cas des enfants de Tarba, le cas de Barakatou et bien d'autres.

La loi 2007 est venue renforcer davantage la criminalisation de l’esclavage. Quelles sont les avancées qu’a permises cette loi ?

On n'est bien tenté de dire que La loi de 2007 n'a permis aucune avancée car ceux-la mêmes qui sont chargés de l'appliquer, policiers, gendarmes, magistrats et/ou ministres refusent de reconnaître les pratiques esclavagistes qui leur sont soumis. Cependant, il faut souligner que les victimes prennent de plus en plus conscience de leurs droits. La loi y est certes pour quelque chose. Aussi les jours de l'esclavage et des pratiques esclavagistes sont maintenant comptés.

Propos recueillis par MOD

 Le 04 /11/08          

Source : Le Quotidien de Nouakchott
Tiré de www.cridem.org

 

 

 

«Pour lutter efficacement contre la persistance de pratiques de l’esclavage et ses séquelles cette loi a manqué jusqu’ici à l’arsenal juridique du pays»

 

    La Tribune : Une Loi sur la criminalisation de l’esclavage passe bientôt devant le parlement. Considérez-vous que c’est le couronnement d’un combat ?

    Boubacar Ould Messaoud : Une Loi criminalisant l’esclavage revêt une importance capitale dans la lutte contre la persistance de pratiques esclavagistes. Encore faut- il qu’elle soit opérationnelle pour rompre avec les actes qui l’ont précédée telle que l’ordonnance
    d’abolition du 9 novembre 1981 qui est restée jusqu’ici lettre morte. Pour lutter efficacement contre la persistance de pratiques de l’esclavage et ses séquelles cette loi a manqué jusqu’ici à l’arsenal juridique du pays. Les antiesclavagistes mauritaniens à travers les partis politiques,  les organisations de la société civile et les personnalités indépendantes demandent une loi caractérisant et criminalisant l’esclavage depuis plusieurs décennies. Une Loi, même la meilleure du monde, ne suffit pas pour éradiquer un phénomène de société dont les origines remontent à la nuit des temps. Elle requiert des mesures d’accompagnement aptes à promouvoir les victimes du phénomène et à instaurer la justice sociale. Ceci dit la loi est un acte majeur incontournable et en ce sens c’est pour moi un couronnement.

    La Tribune : Que rapprochez-vous à ce projet ?

    Boubacar Ould Messaoud : Je trouve dans ce projet de loi du gouvernement a beaucoup de lacunes. L’exposé des motifs ne mentionne pas les autres pratiques analogues à l’esclavage. Son titre devrait être libellé comme suit : «Projet de loi portant incrimination et réprimant
    l’esclavage et les pratiques analogues à l’esclavage.»

    En fait la Mauritanie est débitrice d’obligations positives d’application de deux conventions relatives à l’esclavage, celle de 1926 et celle de 1956. Elles contiennent respectivement les qualifications de l’esclavage et des pratiques analogues à l’esclavage ; L’absence de référence à la religion Islamique est dommageable car elle aurait armé, ou du moins réconforté les militants anti-esclavagistes ; aidé psychologiquement les victimes à se promouvoir et les maîtres à se conformer à la loi. L’absence de renvoi aux expériences des autres Etats, à la charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est également regrettable. C’est pour tout cela que des modifications substantielles de «l’exposé de motifs» sont requises.

    Concernant les dispositions de la loi, pour éviter toute ambiguïté dans l’interprétation l’article 2 doit reprendre les termes exacts de la convention de 1926 relatives à l’esclavage :
    «L’esclavage est l’état ou condition d’un individu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux». Il faudrait y ajouter les dispositions prévues dans la convention supplémentaire de 1956.

    L’esclavage est un crime contre l’humanité et ne pourrait en aucune manière être considéré comme un délit. L’intitule de chapitre 2 devrait être rédigé ainsi : «Chapitre deuxième : Du crime d’esclavage et des délits commis à l’encontre des victimes des pratiques esclavagistes».

    Au niveau de l’article 3, il serait juste que la discrimination soit considérée sous toutes les formes quelles qu’en soient les victimes. A l’article 4. Les peines prévues pour cet article sont moins sévères que celles prévues par le code pénal pour des infractions moins graves que
    l’esclavage et les pratiques analogues à l’esclavage qui sont pourtant constitutifs de crimes contre l’humanité. Cet article n’invoque ni la complicité, ni la récidive. Et la tentative y est punie de la moitié de la peine applicable à l’infraction commise.

    Dans l’intitulé «Section deuxième : Des délits d’esclavage», la création de «délits
    d’esclavage» va a l’encontre des obligations de la Mauritanie en vertu des conventions internationales qu’elle a ratifiées en la matière et qui, toutes, définissent l’esclavage comme un crime.

    Un nouvel intitulé doit être attribué à la section 2. Soit : «Section deuxième : Des délits commis à l’encontre des personnes  victimes d’esclavage». A l’article 5, la notion de «prétendu» esclave est grave de conséquence. Elle constitue une négation de la qualité de victime. Il ne s’agit aucunement d’une qualification juridique. Et d’ailleurs le terme «prétendu» n’est à aucun moment utilisé dans le code pénal pour qualifier les victimes.

    La qualification de «prétendu victimes» n’aurait jamais été adoptée dans ce code. Cette qualification sous-entend une inversion de la charge de la preuve en ce qu’il appartiendrait à la victime de prouver sa qualité.

    La qualification de «prétendu» doit être supprimée et remplacée par «victimes de l’esclavage ou de pratiques analogue à l’esclavage». Ceci est valable pour tous les articles qui utilisent cette qualification. Cette observation étant valable pour tous les articles qui utilisent cette qualification, au niveau de l’article 7, priver un enfant de l’accès à l’éducation ne doit pas être incriminé de la même manière que l’enlèvement d’un enfant : ces deux faits doivent être incriminés de manière distincte l’un de l’autre.

    A l’article 9, relativement au mariage forcé, en se référent aux dispositions du Code du statut personnel, en l’absence du consentement le mariage est nul. Toutes relations sexuelles dans le cadre d’un tel mariage doivent être punies de la même manière que le viol.. En ce qui concerne l’article 15 le fait de pouvoir dénoncer les pratiques esclavagistes et d’assister les victimes ne répond pas à la demande des organisations de défense des droits  de l’Homme puisque ce sont des activités qu’elles exerçaient déjà. En revanche, il est indispensable que nos associations puissent se constituer  parties civiles et assister les victimes devant la justice.

    La Tribune : «Séquelles», «Pratiques», cette guerre des mots a-t-elle un sens pour vous ?

    Boubacar Ould Messaoud : Aujourd’hui plus que jamais chaque mot a son importance. Devant la justice chaque mot a un sens précis. Il se rapporte à faits précis. Entre esclavage et séquelles de l’esclavage, il y a une différence. Ce qui est juste, c’est que dans notre pays nous avons des personnes qui subissent l’esclavage et vivent dans des conditions serviles. Nous avons également des anciens esclaves qui se confrontent aux séquelles du phénomène à des degrés divers. Au niveau d’une loi, il est important que le crime d’esclavage soit bien caractérisé et que les pratiques esclavagistes soient définies avec précision. C’est primordial. Il y va de la crédibilité de la démarche et de la sincérité des engagements pris par le président de la République. L’esclavage existe. Ses séquelles aussi. Dire que l’esclavage
    n’existe pas, c’est être de mauvaise foi et refuser délibérément de le combattre. Les séquelles doivent être traitées. Quant à la pratique elle-même, elle doit être réprimée. Notre objectif est que tous les deux soient éradiqués. Ceci doit être le but de tous les mauritaniens sans exclusive…

    La Tribune : Ne craignez vous pas que cette image d’extrémiste vous colle encore plus ?

    Boubacar Ould Messaoud : Je voudrais bien que vous puissiez me décrire cette image. Si être extrémiste c’est insister pour qu’il y ait plus d’équité et de justice sociale dans mon pays et vouloir que les torts soient reconnus, nommés tels quels, puis criminalisés, alors je crois que ceux qui pensent que je suis extrémiste peuvent continuer à avoir de tels raisonnements maladroits. Mais moi je suis un homme convaincu.  

    La Tribune : La Mauritanie d’aujourd’hui comporte quand même des notes d’espoir… Messaoud O. Boulkheir, president de l’Assemblée, loi incriminant l’esclavage, SOS-esclaves convié à tous les forums…. Qu’en pensez-vous?

    Boubacar Ould Messaoud : Déjà l’on peut dire que l’espoir né au lendemain du 3 août avec le départ de Maaouiya n’a pas été déçu, Ely Ould Mohamed Vall a respecté ses engagements. Enfin comme vous le soulignez l’élection de Messaoud O/ Boulkheïr comme Président de
    l’assemblée Nationale et la présence de SOS-Esclaves avec d’autres à tous les forums
    d’importance ainsi que la constitution d’une commission pour le retour des déportés atteste bien de cela. Je pense que cette situation devrait être le gage de la promulgation d’une Loi apte à incriminer et réprimer l’esclavage et les pratiques analogues à l’esclavage . C’est  bien un engagement et l’expression de la volonté politique de résoudre le problème de la pleine citoyenneté et de la  justice sociale dans le pays déclaré par les principaux candidats aux élections présidentielles. Il a été confirmé solennellement par Monsieur Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi dans son dernier discours à la Nation après son élection à la présidence de la République.

    Source: La Tribune  N° 359 

 

  Interview de M.Boubacar Messaoud: «Il faut mettre en place une structure pour coordonner la lutte contre les diverses pratiques esclavagistes»

 

Gulnara Shaninian  rapporteur spécial de l’Onu sur les formes contemporaines de l’esclavage, a effectué tout récemment une mission en Mauritanie à l’issue de laquelle elle  a indiqué lors d’une conférence de presse tenue le 3 novembre  que la législation de 2007 criminalisant l’esclavage  n’est pas correctement appliquée dans les faits.

«Les victimes ne sont pas incitées à dénoncer publiquement les abus subis» avait-elle annoncé. "Il existe en Mauritanie toutes les formes d’esclavage: travail des enfants, travail domestique, mariages d’enfants et trafic d’être humains", a-t-elle dit en invitant les pouvoirs publics à étoffer l’arsenal législatif existant par des lois spécifiques propres aux pratiques en matière de travail, de citoyenneté et d’immigration. M.Boubacar Ould Messaoud, président de SOS Esclaves, s’était  réjoui des conclusions du rapporteur spécial des Nations unies. «Le fait qu’elle reconnaisse ces réalités est un motif de satisfaction pour nous. Cela nous aidera à convaincre les autorités de lutter contre ce problème». M. Ould Messaoud précise dans cette interview, ce qu’il attend des autorités.

Entretien
 
 
Tahalil Hebdo : Comme le souhaitaient les militants des droits de l’Homme, le rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de l’esclavage, vient de séjourner en Mauritanie afin qu’enquêter sur les formes contemporaines de l’esclavage. Quelles sont les raisons qui ont poussé les organisations de droits humains et S.O.S Esclaves à faire  recours à l’ONU ?

Boubacar Ould Messaoud: Les militants des droits de l’homme ont certainement souhaité la visite de la rapporteuse spéciale des NU en Mauritanie pour qu’elle se rende compte sur place de la situation de l’esclavage dans notre pays, se faire une idée  juste et vivante des différentes formes qu’il revêt et évaluer les solutions préconisées et ou mises en œuvre pour son éradication. Ceci relève de son mandat et les vœux des organisations comme la notre sont tout à fait légitimes. Il s’agissait également de connaitre quelles seraient aujourd’hui les conclusions d’un représentant des nations unies sur la question, le propos de Madame répare une injustice vieille de vingt cinq ans ; en 1984, le rapport d’un certain Marc Bossuiyt expert du groupe de travail sur les formes contemporaines d’esclavages affirmait, qu’en Mauritanie, le phénomène avait disparu au point de ne laisser subsister que quelques séquelles ; il venait alors de forger l’argument massue auquel recourront les différents régimes pour relativiser ou nier l’actualité et la densité de cette pratique dans l’espace mauritanien, retardant ainsi, par ce temps perdu en polémiques stériles, le travail de l’indispensable réparation.
 
TH : Puisque le parlement avait adopté une loi criminalisant l’esclavage  n’est-il pas plus judicieux de demander à l’ONU de faire pression pour que cette loi soit appliquée, plutôt que de lui demander de fournir des recommandations qui risquent de rester sans suite ?

BOM. Qu’est-ce qui vous fait dire tout cela ? Si vous avez bien écouté nous avons aussi bien demandé l’application de la loi que l’élaboration et la mise en œuvre des mesures d’accompagnement de cette loi aptes à promouvoir l’émancipation effective des victimes et de leurs descendants, structurellement cibles de discriminations. L’accent sur la mise en œuvre de la norme juridique fait partie des recommandations prévisibles, de sorte que votre question manquerait d’objet, je le crains.
Nous avons dit - et continuons à le clamer qu’un  programme pour l’éradication des séquelles de l’esclavage - est une bonne chose si les victimes des séquelles sont connues et bien identifiées et à condition qu’il ne soit pas semblable aux programmes de « lutte contre la pauvreté » par quoi les maîtres et les anciens maitres s’enrichissaient en toute impunité. La dictature de Ould Taya recevait régulièrement des offres de bailleurs de fonds soucieux d’éradiquer le phénomène mais elle se refusa toujours à accepter le traitement ciblé et différencié au profit exclusif de la tranche de population concernée.
Aujourd’hui encore les projets sont dirigés par des personnes issues de milieux esclavagistes s’ils ne sont pas tout simplement propriétaire d’esclaves ; aussi, les appellations de « triangles » ou de « rectangles » de la pauvreté ne signifient rien ; ces fonds publics profitent toujours aux notabilités traditionnelles ; la domination s’accentue d’autant  sur ceux là que l’on prétend émanciper.
Parallèlement aux solutions préconisées pour les séquelles – souvent d’ordre symbolique-moral, il faut mettre en place une structure pour coordonner la lutte contre les pratiques esclavagistes qui sont différentes des séquelles par le contenu, le choix des lieux, la période de  traitements   et surtout le suivi périodique des effets.


T H : Après le 6 août 2008, on a peu entendu les autorités aborder l’épineux sujet de l’esclavage. A S.O.S Esclaves, comment est perçu le fait qu’elles aient donné leur aval à une enquête diligentée par l’ONU sur les formes contemporaines? Un gage de bonne volonté ou de la poudre aux yeux?

BOM :  Effectivement le Président Med Ould Abdel Aziz n’a pour ainsi presque jamais rien dit sur cette épineuse question; après la conférence de presse du Rapporteur Spécial des NU où elle a confirmé, entre autres, combien l’esclavage est encore pratiqué dans le pays sous de multiples formes y compris traditionnelles par ascendance, le Commissaire aux Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire et à la Société Civile, sur la chaine Al Jazeera – bien entendu, le lendemain du départ de son illustre hôte, dira, en substance, qu’en Mauritanie seules les séquelles de l’esclavage subsistent aujourd’hui et l’Etat s’attellerait à leur éradication. Il s’exprimait en Arabe et visait ainsi la consommation locale ; son propos a sonné comme un démenti pour rassurer les esclavagistes de tous bord : « rien n’a changé - semblait-il signifier - nous sommes toujours maîtres de la situation, les Mahmoud,  M’bareck, El Keir, Mabrouk, Messoud, Tarba, Tamrazguent et Imijine dépendront toujours de nous, ils ne parviendront jamais à devenir maîtres de leur destin! ».
Cette duplicité ne nous surprend pas, pour autant, c’est la règle de comportement de la part des agents organiques du système de discrimination et d’impunité ; aux institutions internationales, l’on sert un peu de soupe de tolérance, de compétence universelle et de disponibilité à suivre les standards internationaux en matière de droits humains ; à peine le visiteur encombrant tourne-t-il le dos et la réalité du mépris et de l’injustice reprend le dessus, comme le naturel du cheval qui revient toujours au galop.
La lutte se poursuit contre la servitude par naissance et, Dieu merci, le nombre des mauritaniens de toute race de toute ethnie engagés dans cette lutte ou la soutenant augmente tous les jours.

11/11/2009
 

Propos recueillis par Samba Camara
La source : www.journaltahalil.com

 

 

07 juillet 2007 : Interview de Boubacar Ould Messaoud, Président de SOS Esclaves Interview réalisée par Camara Mamady  

 

    Depuis plus d’une dizaine d’années, Monsieur Boubacar Ould Messaoud va en croisade contre la pratique de l’esclavage et des esclavagistes. Mais cette pratique étant vue par ses coreligionnaires comme conforme à la pratique de la Sainte religion de l’Islam, sa lutte n’a jamais  été une partie de plaisir. Son chemin a été souvent parsemé d’embûches. Mais devant toutes ces difficultés, il a tenu bon, très bon même. Car l’Etat vient de prendre une loi incriminant la pratique de l’esclavage en Mauritanie.

    « 
    Au contraire SOS esclaves va coopérer avec l’Etat, pour sortir de ce rapport conflictuel avec l’Etat. Mais nous serons des partenaires encore beaucoup plus proches. Parce qu’il est entrain de réaliser le programme pour lequel, on a créé cette organisation » 

    Que pensez-vous de la nouvelle loi qui incrimine la pratique de l’esclavage en Mauritanie ?

    La loi qui incriminerait l’esclavage en Mauritanie est pour moi un acte attendu, souhaité et revendiqué par tous les militants anti-esclavagistes mauritaniens, tous les hommes de progrès à travers le pays et à l’extérieur. Ce n’est pas la seule  mesure nécessaire, mais au stade actuel, elle est indispensable. Mais elle n’est pas l’unique mesure.

    Elle devrait être accompagnée de mesures suffisamment claires pour permettre aux esclaves de s’en sortir. Parce que l’esclavage n’est pas simplement un problème de droit, de justice, de tribunaux ou de crime. Mais il y a également des conditions économiques et sociales des individus, leurs cultures. Tout ceci demande des interventions. Nous pensons que la loi doit être accompagnée, par exemple par une institution étatique, vers laquelle toute personne ayant des difficultés dans ce domaine puisse retourner et avoir une assistance nécessaire. Parce que les causes de l’esclavage sont très vieilles et elles sont difficiles à combattre.

    Nous pensons également que cette institution doit entreprendre des projets et des actions orientées vers les descendants d’esclaves et les esclaves eux-mêmes pour qu’ils puissent être réellement insérés dans la vie économique, du reste et devenir totalement autonomes. Que cette institution veille à ce que qu’ils aient leur lopin de terre et qu’ils puissent de manière autonome utiliser cette terre pour cultiver, une partie de cette terre pour leur permettre de vivre de manière autonome. Il y a également le problème de culture et de l’aliénation.

    L’esclavage, s’il a perduré, c’est parce que les Mauritaniens considèrent que c’est la volonté de Dieu, et que c’est conforme à leur religion. Les esclaves n’admettent en général leur affranchissement que lorsqu’il est prononcé par le maître. Donc, il s’agit de faire la sensibilisation et d’amener les imams dans les mosquées à reconnaître que l’abolition de
    l’esclavage est conforme à la charia, que personne n’a aujourd’hui le droit au nom de la religion de mettre l’autre en esclavage. Donc les missions de sensibilisation doivent être ouvertes à tout le monde, et elles doivent être menées dans tous les medias. Ces émissions de sensibilisations doivent être dans toutes les langues nationales. Voilà pour nous un peu les éléments, peut-être dit de manière amalgamée. Mais des solutions qu’il faut apporter à
    l’esclavage.

    En fait pourquoi cette loi, parce qu’il faut finir avec l’impunité de la pratique esclavagiste. La loi va pourchasser ceux qui continuent délibérément à  spolier les esclaves ou les descendants d’esclaves. Ceux qui continuent à séquestrer les enfants ou à enlever les enfants de leur famille pour les mettre à leur service, de les partager entre leur imam et leur famille. Ce qui les empêchent d’aller à l’école comme les autres enfants. Ceux qui peuvent posséder une femme parce qu’elle est leur esclavage et abuser d’elle et ne pas d’ailleurs reconnaître sa progéniture le plus souvent. Ceux qui sont capables d’amener des filles pour faire le baby-sitter. Et elles restent les baby-sitters. Jusqu’à la fin de leurs jours dans les familles comme domestiques.

    L’esclavage chez nous a une réalité, c’est que c’est un travailleur non rémunéré. Il ne l’est jamais que ça soit dans l’agropastoral ou dans la domesticité. Pour ça, il faudrait faire la différence, il ne faut pas faire croire aux gens que c’est une notion un peu vague, non. Ce sont des gens qui ne sont pas payés. Ce sont des gens qui peuvent être vendus. Ils peuvent être donnés et légués. Et ça, il faut le dire. Il y a également les séquelles, et nous pensons que cette loi, aussi, pourra non seulement criminaliser les actes  des victimes d’esclavage, mais les délits aussi. Dans ce cadre aussi, il y a la stigmatisation et les insultes. Nous pensons qu’il y a les insultes d’ordre racial, d’ordre d’ethnique, d’ordre castal. Quand on vous traite de griot, de forgeron, ça vous rabaisse. Des insultes qui vous traitent de sale blanc ou sale nègre, pour nous c’est la même chose. Tous ces gens doivent être poursuivis et doivent répondre devant la loi.

    Si on sait que le Président Haïdalla avait en son règne pris une loi abolissant la pratique de l’esclavage en Mauritanie, pensez- vous qu’une nouvelle  loi peut vraiment mettre fin à cette pratique coutumière esclavagiste sur le sol mauritanien ?

    Bon, je pense qu’aucune loi ne peut mettre fin à une pratique surtout que c’est une pratique traditionnelle sociale, mais elle fait partie de l’arsenal nécessaire pour combattre  le phénomène. Pour parler de l’insuffisance des lois en tant que telles par rapport à ce phénomène, nous pensons que toutes les lois, qui ont été prises jusqu’ici, n’ont pas été en mesure de participer à la lutte contre l’esclavage. Parce qu’elles n’étaient pas des lois prises de manière sérieuse. Elles ne reflétaient pas de réelles volontés politiques c'est-à-dire elles ne traduisaient pas la réelle volonté politique de combattre l’esclavage.

    Quand vous parlez de la loi prise par l’ancien Président Haïdalla en 1981, je vous dirai  que cette loi était tout simplement un moyen de faire croire aux gens, que l’esclavage est fini. Mais en abolissant l’esclavage, on s’est précipité pour réconforter les esclavagistes, en disant
    qu’ils doivent être indemnisés. On a prévu un décret d’application qui n’a jamais été pris. Donc cette loi, enfin de compte, n’a jamais eu aucun effet. Il y a eu une deuxième loi, parce que vous ne l’avez pas cité, je vais la citer, qui parle des personnes. On la cite souvent maintenant comme étant prise pour combattre l’esclavage. Moi, je dirai qu’elle n’a pas été prise pour combattre l’esclavage traditionnel tel que nous le connaissons dans le pays.

    Cette loi concerne la traite des personnes. Elle se limite essentiellement au trafic des enfants, des organes et la vente des organes, au travail des enfants, à l’enrôlement des enfants dans
    l’armée, à la prostitution forcée. Ces choses qui sont connues et sont pratiquées aujourd’hui dans pas mal de pays, qui correspondent à la notion de l’esclavage moderne. Ce que nous partageons avec beaucoup d’autres pays, c’est  la traduction de la loi sur convention sur la traite des personnes. Mais les Mauritaniens se sont bien gardés de prendre en charge toute cette convention dans toute sa dimension.

    Parce que la convention parle également de l’esclavage et des pratiques assimilées, je vous informe, que quand on a fait cette loi en 2003, le pouvoir mauritanien a enlevé de sa loi la référence à l’esclavage. C’est pour dire qu’il ne cherche pas à combattre l’esclavage qui est chez lui. Il laisse l’opinion nationale et internationale dans l’ignorance totale d’abord du phénomène qu’il pratique chez lui, qu’il continue à décrire, à identifier et à désigner par le terme séquelles. Moi, je dirai tout de suite à tous ces gens-là qui parlent de séquelles, que les séquelles ne se criminalisent pas. Les séquelles se traitent. Quand on criminalise, cela veut dire qu’il y a des faits, des éléments, des crimes et des délits commis. Ce sont ceux qu’on criminalise.

    Donc pour moi, la loi n’est pas suffisante. Même la nouvelle loi, qu’on va prendre. Jusqu’ici,
    j’ai toujours été réconforté par le discours de la déclaration de politique générale du Premier Ministre devant l’Assemblée Nationale, quand il a stigmatisé l’esclavage. Il a clairement parlé de l’intention de prendre une loi contre l’esclavage pour le criminaliser. Mais je vous avoue aujourd’hui que ces discussions auxquelles, j’ai assistées, qui se voulaient une concertation sur l’avant-projet de la loi, n’étaient pas une concertation. C’était tout simplement une information. On n’a pas recueilli, ni synthétisé le débat pour en ressortir un document consensuel.

    Cet exercice qui a été fait le 25 juin au Palais des Congrès ne me paraît pas encourageant.
    D’autant plus que le résultat a été tout de suite le lendemain présenté en conseil des ministres et approuvé dans une forme que j’ignore encore. Mais en tout cas, j’attends de voir, mais je pense quand même que la criminalisation de l’esclavage, c’est une bonne chose, si elle est réellement faite pour parler de l’esclavage, et pas simplement de ses séquelles.

    Pensez-vous que l’esclavage en Mauritanie est l’apanage d’une seule composante ethnique ?

    Pas le moins du monde, je ne pense pas que l’esclavage est l’apanage d’une seule ethnie en Mauritanie. Je pense que l’esclavage est un problème de société mauritanienne dans toutes ses composantes ethniques et nationales, à savoir qu’il y a ceux qui s’appellent les Arabes, les Soninkés, les Wolofs et les Poulars. Dans tous ces milieux, on pratique l’esclavage et on le tolère, c'est-à-dire culturellement on l’accepte comme rapport humain. Il est plus spectaculaire quand il s’agit des Maures, des Arabes, parce que souvent il met en relation les noirs et des blancs, et les esclaves sont en général noirs. Ce qui n’exclue pas, qu’on ne trouve pas des esclaves blancs en milieu maures. Mais les esclaves sont essentiellement noirs. Et entre les noirs Poulars, Soninkés, tout le monde se confond.

    Par ailleurs dans toutes ces communautés, personne n’avoue être esclave ou avoir des esclaves. Cela est une caractéristique de nos populations. En réalité le mal, le mauvais, c’est toujours le voisin. Ce n’est jamais moi, ce n’est jamais ma famille, ce n’est jamais ma tribu, ce n’est jamais mon ethnie. Pour moi, en tout cas, pour mes amis militants de droits de l’Homme et anti-esclavagistes, nous savons et nous le disons en haute voix partout que l’esclavage
    n’est pas simplement une affaire de blancs et de noirs. C’est une affaire de société et nous savons qu’il y a encore des sociétés qui sont esclavagistes. Ce qui n’est pas nécessairement  applicable à l’Etat. L’Etat n’est pas esclavagiste. L’institution de l’esclavage n’est pas reconnue par l’Etat mauritanien. Et aujourd’hui, l’Etat mauritanien est entrain de se dégager, parce qu’il essaye de prendre des mesures aptes à combattre ce phénomène de société.
    C’est cela son droit.

    Moi, je vais aller plus loin par rapport à votre question. L’esclavage n’est pas seulement en Mauritanie. J’appelle nos amis de la sous région et de la région à se voir en face, nous ne sommes pas une îles dans le désert, ni dans la mer, nous sommes entourés des mêmes populations. Quand nous parlons de Maures, on en trouve au Sahara, au Mali. Quand nous parlons de Peulhs, on en trouve au Mali, au Sénégal et en Guinée. On trouve des Wolofs chez nous, au Sénégal. On trouve des Touaregs au Mali, au Niger. Ces sociétés sont encore esclavagistes. Cela, je le soutiens, je n’ai jamais dit que c’une affaire d’ethnie ou de race. C’est une affaire de société

    Est-ce que les structures officielles de l’Etat vont prendre le relais de SOS Esclaves dans sa lutte ?

     

    Je vous ai dit tout à l’heure au début, de toute façon pour nous la loi n’est pas suffisante. La loi n’est pas un élément nécessaire pour lutter contre l’impunité. Elle a un caractère pédagogique. Elle va montrer à tout un chacun que l’Etat ne cautionne plus l’esclavage, que les autorités ne cautionnent pas l’esclavage. Cela peut à notre avis faire reculer la pratique de l’esclavage. Mais ce n’est pas suffisant de combattre l’esclavage. Parce que l’esclavage est également une culture aujourd’hui. Ce sont des rapports de dominations multiples. Il y a une multiplicité de formes de dominations. Il y a des dominations économiques, culturelles, sociales…Et tout ceci demande des traitements, et donc des mesures d’accompagnement.
    J’en ai parlé tout à l’heure, c’est justement une organisation, une structure qui pourrait s’occuper des anciens esclaves, de leur insertion.

    Une équipe dynamique peut engager des projets, des structures de formation, un travail autre que manuel, qui permet d’insérer ces gens-là, qui sont en général  des bergers, des agriculteurs, des domestiques. Il faudrait qu’ils puissent faire autre chose que cela, qu’ils puissent pleinement bénéficier de tous les droits qui doivent provenir de l’Etat et de la communauté. Ils doivent bénéficier d’une certaine discrimination positive pour les ramener au même niveau que les autres. C’est ça le traitement de l’esclavage, c’est ça le traitement des séquelles de l’esclavage. Une fois que l’esclavage aura été interdit et pénalisé, nous pouvons parler des séquelles de l’esclavage. Aujourd’hui parler des séquelles de l’esclavage sans
    l’avoir combattu par une loi,  pénaliser les gens et sanctionner des gens qui le pratiquent. En le faisant le rôle de l’Etat devient encore plus important, quand il prend une loi qui incrimine
    l’esclavage, cela veut dire qu’il s’engage plus dans le combat contre.

    Si toutes vos doléances sont faites par l’Etat, quelle sera alors la nouvelle raison d’être de SOS Esclaves ?

    Moi, je vous dirai que la nouvelle raison d’être de SOS Esclaves, quand l’Etat commencera à prendre en charge l’esclavage dans toutes ces dimensions, la société civile comme nous sommes une partie, un élément de cette société civile. Elle aura toujours son rôle à jouer, parce que l’esclavage ne peut pas être à plat en un jour, un dix jours, ni en dix ans. Donc, je pense que le travail de l’éducation, de sensibilisation, parce qu’il faut créer la citoyenneté. Il faut accompagner cet effort de sensibilisation d’émancipation, nous avons tous notre rôle. Et SOS Esclaves est une organisation des Droits de l’Homme, nous ne nous limitons pas depuis que nous sommes créées, il y a une dizaine d’années.

    Nous ne sommes jamais limités uniquement aux problèmes d’esclaves. Nous parlons de tout, nous avons la discrimination à combattre, nous continuerons également à nous mettre au côté des victimes, de ceux qui sont sujets à des arrestations arbitraires, à des procès inéquitables, à des tortures. Si on est militant de Droit de l’Homme. Maintenant l’esclavage, nous savez qu’il existe l’esclavage moderne, il faut continuer à le combattre. L’esclavage traditionnel, il faut également continuer à le combattre. Ces pratiques ne vont pas disparaître en un jour. Moi, je ne pense pas pourquoi SOS Esclaves disparaît dès lors que l’Etat commence à s’occuper de l’esclavage.

    Au contraire SOS esclaves va coopérer avec l’Etat, pour sortir avec ce rapport conflictuel avec l’Etat. Mais nous serons des partenaires encore beaucoup plus proche. Parce qu’il est entrain de réaliser le programme pour lequel, on a créé cette organisation.      

    Maghreb Quotidien.



 

  M. Boubacar Ould Messaoud, Président de SOS esclave de la Mauritanie : "l’esclavage existe encore au 21è siècle" 

 

Le Républicain du Mali - 24 avril 2007

    Tombouctou a abrité du 7 au 8 avril 2007 un forum sous-régional contre la pratique de
    l’esclavage en Mauritanie au Niger et au Mali. Cette rencontre était organisée par la communauté Tamacheck noire du Mali regroupée au sein de l’association Temedt. En marge des travaux, nous avons rencontré le président de l’association SOS esclavage de la Mauritanie

    M. Boubacar Ould Messaoud. Il nous parle ici du combat de son organisation contre cette pratique multiséculaire sur le plan national et sous-régional.

    Le Républicain : Peut-on croire aujourd’ hui en ce 21e siècle que l’esclavage existe encore dans nos sociétés ?

    Boubacar Ould Messaoud : Oui, l’esclavage existe encore au 21e siècle. On le croit et on peut le voir. Chez nous en Mauritanie, on trouve des esclaves et je crois qu’on en trouve ailleurs. Si j’en crois l’association Temedt et ses militants, l’esclavage existe également au Mali. Il existe aussi au Niger au moins.

    Le Républicain :Depuis quand votre organisation existe alors ?

    Boubacar Ould Messaoud :Notre organisation existe depuis 1995 en tant que organisation autonome, indépendante.

    Le Républicain :Quelles sont les formes et manifestations de l’esclavage de nos jours ?  

    Boubacar Ould Messaoud :L’ esclavage existe dans les milieux ruraux comme dans les milieux urbains. C’est une main d’œuvre. C’est une personne qui est propriétaire d’une autre personne, qui en abuse et qui en dispose à sa guise. Il les (esclaves) fait travailler sans salaire, il a toute l’autorité sur eux. Ils ont besoin de son assentiment pour se marier. Qu’ils soient hommes ou femmes. Il peut les léguer à sa mort à ses enfants. Il peut les vendre, bien que la vente soit très rare. Parce qu’elle a été enrayée depuis très longtemps, depuis le temps colonial. Il était déjà très difficile au moment de l’indépendance. Mais il existe encore de nos jours.

    Le Républicain :Quels sont les fondements de ce phénomène ?  

    Boubacar Ould Messaoud :A l’origine, c’est la violence, les guerres tribales, les razzias et la misère. L’esclavage s’est surtout consolidé quand les maîtres d’esclaves ont développé une idéologie esclavagiste qui a réussi à enchaîner les esclaves à leurs maîtres. Ils ont réussi à leur faire croire que leur situation, que leur condition de vie sont voulues par Dieu. Et qu’il serait grave de leur part, voir inadmissible, de se rebeller contre leur maître. Et que leur admission au Paradis dépend entièrement de leur soumission à leur maître. Ce sont des fondements pseudo-religieux.  Car je pense que la religion musulmane ne justifie pas
    l’esclavage comme nous le connaissons
    aujourd’hui. L’esclavage a précédé la religion et l’islam a mis en place des principes et des règles qui auraient permis la disparition de l’esclavage dans le premier siècle de l’Hégire, si les gens avaient été honnêtes. Dans notre religion et notre tradition, il est dit qu’un musulman ne peut pas mettre en esclavage un autre musulman. Cependant dans nos pays, souvent ce sont des musulmans qui sont esclaves des musulmans. Et ceci, à notre avis, et de l’avis de tous les Ulémas que nous avons rencontrés, n’est pas acceptable et est tout à fait contraire à l’enseignement de
    l’islam.

    Le Républicain :Pouvez vous nous parler du parcours de votre organisation ?  

    Boubacar Ould Messaoud :SOS esclave a été créée à la suite de certains événements survenus en Mauritanie. Ces événements sont essentiellement dus au fait que la Mauritanie a aboli l’esclavage en 1981 et que, au cours d’une décennie, nous avons constaté que cette abolition n’a donné lieu à aucun effet. Le seul effet qui a été produit c’est que certains cadres Haratines qui avaient posé la revendication ont été promus à des postes importants de l’Etat. Ils sont devenus soit : Premier Ministre, secrétaire général de ministère, directeur général des sociétés d’Etat. Mais l’esclavage continue et on s’est rendu compte qu’il fallait s’organiser et se mettre à la disposition des victimes pour pouvoir les aider et réussir à avoir leurs témoignages pour rendre visible la pratique de
    l’esclavage. Car, je vous dis que l’esclavage est invisible dans nos sociétés. Parfois il est esclave de blanc et lui il est généralement noir ou blanc, mais il peut être aussi esclave de noir. Et on peut être aussi un homme libre et noir. Donc ce n’est pas toujours la couleur de la peau qui détermine qu’on est esclave ou pas. Ce qui détermine qu’on est esclave, c’est les rapports réels de travail
    qu’on a avec les personnes, les rapports réels de la vie qu’on a avec les autres. Et ceci, on ne peut les reconnaître que s’ils sont reconnus par ceux qui les subissent comme tels. Si
    l’esclave ne reconnaît pas qu’il est esclave et ne le dit pas, vous ne pouvez pas l’affirmer au risque de passer pour un affabulateur. Et on va toujours chercher à vous présenter comme un menteur si vous ne prenez pas les précautions nécessaires. On a donc créé SOS esclavage sachant que nous sommes d’abord intéressés par la défense des droits de
    l’homme. Si vous vous souvenez, dans les années 1989, à la suite d’un incident entre la Mauritanie et le Sénégal, en Mauritanie il y a eu beaucoup d’exactions contre les noirs Wolof, Pouhlard, et Soninké. Dans ces exactions, les Haratines ont été les principaux acteurs utilisés par les Maures qui les ont dressés contre les autres noirs. Et ce conflit a fait beaucoup de pertes en vies humaines. Il y a eu des déportations. C’est dans la dénonciation de ce drame qu’il y a eu la création de plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme en Mauritanie. Il y a l’association mauritanienne des droits de l’homme, qu’on appelle AMDH comme chez vous ; il y a le GRDS, qui est un groupement d’étude et de recherche pour la démocratie et le développement économique et social. Il y a aussi le comité de solidarité avec les victimes de la répression. A l’époque, on a inventé plusieurs coups d’Etat, plusieurs tentatives de coup d’Etat pour éliminer les noirs, les réduire en Mauritanie. Dans la mouvance de la création de ces associations, les Haratines comme moi ont décidé de créer cette organisation de défense des droits de l’homme qui a au centre de son action, le problème de
    l’esclavage.

    Le Républicain :Quelles sont vos activités ?  

    Boubacar Ould Messaoud :Nous somme une organisation de défense des droits de l’Homme qui s’occupe des victimes d’arrestations arbitraires, d’emprisonnement, de détention, de procès inéquitables. Nous luttons également contre l’impunité des juges et la torture des policiers. Dans ce contexte, nous avons choisi d’appeler notre organisation SOS esclave parce que nous voulons frapper l’imagination de tout un chacun, du monde entier. Quand on dit SOS esclave, nous mettons l’accent sur l’esclavage, nous le dénonçons immédiatement. Nous nous considérons comme des gens qui sont venus assister des esclaves en détresse. Nous avons souvent des individus qui viennent nous demander de les assister et nous les assistons. Qui a son enfant qui a été retenu par son maître comme esclave domestique, sa fille qui a été mariée sans son avis ou donnée comme domestique à la fille du maître. Qui, à la mort de son père, se voit dans l’incapacité d’hériter de ce dernier. Car le plus souvent, c’est le maître qui vient prendre les biens et ainsi de suite. Donc, toutes ces formes de pratiques esclavagistes font très rarement l’objet de réclamation. Ce sont des cas isolés qui nous permettent de mettre en visibilité l’esclavage. Parce que nous accompagnons nous-mêmes la victime chez l’autorité qui est obligée de reconnaître qu’il y a un cas de pratique
    d’esclavage. Et nous l’obligeons à assister l’individu. Malheureusement, jusqu’à présent, ce que nous constatons c’est que l’autorité aide l’ individu à récupérer ses biens ou son enfant mais ne fait aucune démarche, aucune action pour punir les esclavagistes. Et ça, c’est une forme de connivence, de complicité que nous combattons. Nous ne sommes pas encore parvenus à résoudre ce problème parce que nous manquons de cadre juridique. Le code pénal mauritanien ne permet pas de poursuivre ou de punir les esclavagistes sous prétexte qu’il n’y a pas de loi criminalisant l’esclavage. Dans le code pénal, rien de relatif à l’esclavage n’est prévu. Ça fait partie de notre revendication au stade actuel bien que nous savons aussi qu’il peut il y avoir une loi, mais que les gens peuvent ne pas l’appliquer. C’est ce qui se passe aujourd’hui au Niger. Mais avoir la loi est nécessaire. Nous continuons à exiger cela. Tout dernièrement, nous avons obtenu des derniers candidats qui étaient passés au deuxième tour de l’élection présidentielle qu’ils nous promettent qu’après leur élection, ils vont faire voter une loi définissant l’esclavage, le criminalisant dans le code pénal. Ils ont accepté et d’ailleurs nous pensons que dans les premiers mois qui suivent, nous allons présenter un projet de loi aux autorités pour avoir cette loi.

    Le Républicain :Quelles sont les réactions des autres communautés face aux actions de votre organisation ?  

    Boubacar Ould Messaoud :La communauté des classes supérieures qui sont les maîtres
    d’esclaves nous regarde avec un air de mépris et de dérision. Ils considèrent que l’esclavage
    n’existe pas et que nous sommes en train d’en faire un fonds de commerce à l’extérieur parce que nous n’avons rien. Que nous vivons sur la misère des gens alors qu’il n’y a pas d’esclavage. Les esclaves eux-mêmes ne sont pas toujours convaincus de la rigueur de notre combat parce les rapports de domination qu’ils ont subis et qu’ils continuent de subir sont tels qu’ils ne croient pas encore à ce que nous faisons. Les autorités, elles, sont en général influencées par les classes dominantes qui sont complices des pratiques esclavagistes, car ils en tirent souvent profit.

    Le Républicain :Est-il possible, selon vous, d’éradiquer le phénomène ?  

    Boubacar Ould Messaoud :Bien sûr qu’il est possible. Nous travaillons à cela. Toute ma vie, je la consacre à la lutte contre ce phénomène. J’ai personnellement créé cette organisation avec des amis pour ça. Tout le long de notre parcours, nous avons exigé que nous soyons pris comme des interlocuteurs de cette communauté.

    Le Républicain :Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?  

    Boubacar Ould Messaoud :Nous n’avons pas de moyens économiques. On parle de leur libération, de leur émancipation. Mais leur émancipation est fonction de leur autonomie sur le plan économique. Alors que dans nos pays, notamment en Mauritanie, la terre appartient encore aux tribus. Et ce sont les maîtres qui en ont encore le privilège. Et les esclaves ne sont que les exploitants. Ils peuvent rester exploitants tout le temps que les maîtres sont encore contents d’eux. Et aujourd’hui quand ils refusent de voter du côté des maîtres, ils sont renvoyés des terres. Leur attachement à la tribu est dû à des raisons d’ordre économique, à la tradition et à l’habitude etc. Même dans les garages et les ateliers, ce sont les mêmes maîtres qu’on retrouve là-bas. Car c’est eux qui ont bénéficié des prêts et subventions de l’Etat depuis une quarantaine d’années.
    Aujourd’hui, il ne suffit pas d’avoir des lois qui interdisent l’esclavage ou des lois le criminalisant. Il faudrait que l’esclave lui-même puisse avoir les moyens de survivre indépendamment de son ancien maître. Il faut faire des projets économiques ciblés. Faire de la discrimination positive en faveur des anciens esclaves est incontournable. Il y a également le problème de changement des mentalités des uns et des autres pour éradiquer le phénomène. Nous sommes au 21e siècle, déjà les gens ne sont plus enchaînés, ils ne sont pas frappés nécessairement ou enfermés, mais ils sont aliénés par leur éducation, par leur tradition, leurs parents, et tout leur environnement. Les conditions de vie et surtout l’enseignement traditionnel religieux participent à leur soumission. Il faut une sensibilisation volontariste faite par les autorités, la société civile pour parfaire leur émancipation. Il faut que dans des prêches les Imams parlent de l’esclavage et qu’on "déconstruise" son fondement pseudo-religieux. Et en ce moment, nous pensons qu’on rentrera dans une situation normale. Cette situation normale veut également qu’on enseigne les droits de
    l’Homme à l’école, à l’université. Et que les Haratines ainsi que les autres communautés noires qui ont subi l’esclavage soient réhabilités. Qu’ils puissent être partout. Qu’on en trouve des magistrats. Car chez nous, 90% des magistrats sont des maures blancs, et 75 % des préfets appartiennent également à cette communauté. Il en est de même dans l’armée et la douane.

 

Propos recueillis par Abdoulaye Ouattara


 
 

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