A.H.M.E.

INTERVIEW 48:

 

                 img4.gif                                           Interviews de  Mohamed Ould Maouloud   

                                                                                                                  



 

     

    Dans cette interview Ould Maouloud Président de l’UFP refait la même erreur
    d’analyse sur la question nationale qu’au moment du Mouvement National Démocratique (MND), années 60-70. Pour lui comme pour Kamara, la question nationale se résume à l’affrontement entre Négro-mauritaniens et Maures. En aucun moment, ils ne parlent dans ce cadre de la question des Haratine ; or l’esclavage constitue le noyau de la question nationale car lié à la question noire. La solution de la question nationale dépend de l’abolition de l’esclavage. Ce sont des Noirs qui sont esclaves en Mauritanie et les Haratine sont des Noirs.

 

Ould Ciré

Président AHME

 

La Tribune n° 272 du 19 août 2005

 

Ould Maouloud (président de l’UFP)
“Pourquoi exagérer ? Il suffit qu’il y ait deux réfugiés mauritaniens au Sénégal pour que cela vaille la peine que tous se mobilisent pour réclamer leur retour …”

 

Cheikh Saad Bouh Kamara :

“Je suis persuadé que les Mauritaniens (...) sont en mesure de poser les problèmes concernant le passif humanitaire, les dérives des décennies passées et retrouver des solutions correctes dans le contexte socioculturel mauritanien.”

 

Docteur Sidi O. Salem :

“Le problème à résoudre est l’édification de l’Etat. Il faut bannir tout discours raciste, toute vision archaïque ou manipulation de notre vie anthropologique.”


 

Ould Maouloud (président de l’UFP)
“Pourquoi exagérer ? Il suffit qu’il y ait deux réfugiés mauritaniens au Sénégal pour que cela vaille la peine que tous se mobilisent pour réclamer leur retour …”

 

Qu’est-ce que la question nationale ?

Pour ce qui est de la
question nationale Ould Maouloud rappelle que c’est une terminologie utilisée pour la première fois dans notre pays en 70 pour conceptualiser le problème de la coexistence pacifique entre communautés culturelles différentes en précisant que cette définition du MND ne faisait que reprendre un problème très connu dans l’histoire du monde : la question nationale telle qu’elle s’est posée à l’origine dans des pays où il s’agissait de construire un état national sur la base non pas de communautés culturelles homogènes mais de communautés culturelles différentes, notamment dans les Balkans ou en Russie au début du siècle. C’est donc pour lui une question théorique et politique qui a connu différentes approches comme l’approche française jacobine et assimilationniste qui fait que ce qu’on peut appeler la nation française résulte d’un processus d’assimilation qui s’est imposé à toutes les communautés différentes du modèle national. Ce qui explique les problèmes des Bretons, des Corses, etc. Au niveau des colonies cette approche s’est traduite par les tentatives d’assimilation des populations locales et elle se prolonge aujourd’hui dans l’intégration par rapport aux immigrés traduisant comme un refus du multiculturalisme.
Une autre approche accepte la différence : une nation peut se construire avec une diversité culturelle ; selon Ould Maouloud la théorie la plus libérale sur la
question nationale est celle développée par le mouvement socialiste mondial et suivant laquelle, les communautés culturelles sont acceptées avec le droit de s’épanouir dans leur identité culturelle : modèle dans l’ex URSS et dans les états socialistes, cas de la Suisse en Europe avec pas moins de trois langues officielles…
En Mauritanie on se heurte selon Ould Maouloud à une difficulté, celle de la définition même du problème. A son avis c’est plutôt un problème de formation de jeunes Etats qui ont tout à définir.

Historique de la question

En Mauritanie, si l’on en croit Ould Maouloud le problème a été posé en décembre 1961 à l’occasion d’un congrès constitutif du PPM ; le président Daddah à l’époque a préféré renvoyé dos à dos les notables et des leaders arabes qui réclamaient l’officialisation immédiate de l’Arabe comme langue
nationale et les leaders négro africains qui réclamaient des garanties contre la dictature de la majorité, un poste de vice président et même un système fédéral. Daddah prônait alors le concept de Mauritanie trait d’union entre le monde arabe et l’Afrique noire. Par la suite les événements de 1966 sont survenus avec comme point de fixation l’officialisation de l’arabe par un décret qui déclenchera des grèves des élèves négro africains contre l’arabisation et les malheureuses et sanglantes confrontations raciales à Nouakchott. Tout ceci n’était cependant que l’aspect apparent du problème. Après ces événements, le régime a banni officiellement toute référence à l’ethnie ou à la tribu pour prôner l’intégration nationale et adopté le bilinguisme. A la même période, le mouvement des enseignants arabes dont le syndicat luttait pour exiger l’égalité dans le traitement par rapport aux enseignants francophones devenait le vecteur d’une certaine mouvance du nationalisme arabe qui aura son répondant dans la naissance d’une mouvance nationaliste négro africaine. Pour Ould Maouloud les deux mouvements perdent du terrain à partir de 1968 après le massacre de Zouerate qui déplace le problème : pour la jeune élite il s’agissait moins d’un problème entre arabes et négro africains que d’un problème entre le peuple mauritanien d’un coté et le système politique néocolonial. Cela a permis de poser le problème autrement et d’intégrer la question nationale dans une approche globale qui est celle de la libération du peuple mauritanien. Désormais les langues des minorités négro africaines, étaient prises en compte dans les revendications du mouvement à telle enseigne que dans la réforme de 1973, le PPM renforçait la place de l’arabe et préconisait pour la première fois officiellement, l’étude et la valorisation des autres langues nationales. C’est à la fin du régime du PPM et après l’éclatement du MND en 1975/1976 que la question nationale se repose encore en termes antagoniques avec le ton des revendications qui verse dans l’excès ; le courant nationaliste arabe quelque peu en recul se réveille et riposte à partir de 1986 avec l’offensive des Flam et le Manifeste du Négro Mauritanien. Une riposte va être brutale surtout à partir de 87 après la tentative de coup d’état des officiers noirs qui va, à la faveur de la peur que cela provoque au sein du régime déboucher sur un chauvinisme qui se transformer en une véritable répression raciste.
Mais le drame pour Ould Maouloud, c’est que toutes les réponses des nationalistes d’un camp comme de l’autre sont des réponses exagérées, disproportionnées. De son point de vue lorsqu’une vérité , est exagérée outre mesure elle se transforme en mensonge ; ainsi quand les nationalistes négro africains disaient qu’il y a un problème de la situation des noirs en Mauritanie ils posaient un problème juste car tout le monde sait que sur le plan culturel, la culture des négro africains n’est pas prise en considération même si sous l’influence du MND les militaires avaient procédé à la réforme de 1979 avec l’engagement d’intégrer les langues nationales dans l’enseignement au bout d’une transition de six ans et décidé la création de l’Institut des Langues Nationales. Mais en parlant d’apartheid, ils exagéraient. Nos Etats sont tous des produits du système colonial français qui a donné partout les mêmes formules de gestion des affaires des communautés culturelles et il n’y a pas beaucoup de différences entre les Etats de la sous région sous ce rapport. Au Sénégal ce sont les Wolofs qui ont la position dominante, au Mali, les Bambaras ; etc. au Mali les gens de l’Azawad tenaient le même discours que les Flam en termes de système racial au Mali. En fait les systèmes hérités de la colonisation ne sont pas des systèmes démocratiques ; ce ne sont pas des systèmes qui tiennent compte des différences culturelles ; ils sont le produit du système français qui est assimilationniste ; ce qui se passe en Mauritanie n’est pas spécifique à la Mauritanie, on le trouve dans toute la région qui a hérité de cette administration jacobine. La vérité exagérée devient un mensonge ce qui est valable pour les nationalistes arabes lorsqu’ils soutiennent que dans tous les pays du monde, la langue de la majorité doit être la seule langue de l’Etat. Le problème est de concevoir que la différence est enrichissante et que le droit de chacun est de s’épanouir dans sa langue et dans sa culture. En résumé c’est la façon dont les nationalistes des deux camps expriment la
question nationale qui la déforme et la pose très mal. Enfin pour Ould Maouloud pour régler le problème de la question nationale il faut commencer par le poser correctement et pour le poser correctement il faut politiquement savoir que la bonne approche c’est l’approche qui reconnaît les différences, qui reconnaît que ce qui nous unit est beaucoup plus important que ce qui nous divise et que l’intérêt global doit être préservé

Que faire ? En parler ou attendre ?

Pour Ould Maouloud, aujourd’hui nous avons la chance de repartir dans la perspective de régler la
question nationale de façon sereine et calme, la priorité c’est de régler les séquelles, les plaies héritées de cette période sombre de l’histoire du pays : il y a des veuves, des réfugiés des ayants droit. Il faut qu’il soit mis fin à ces souffrances pour créer un climat propice à la réconciliation. Il faut que les gens reviennent. Il faut qu’il y ait la reconnaissance des crimes commis à leur égard. Il y a un aspect de la question qui est l’aspect politique de la question. Pourquoi on en est arrivé là, pourquoi il y a eu cela ? Comment cela s’est passé ? La vérité sur ce qui s’est passé. C’est un problème assez lourd pour la période de transition et qui demande plus de temps et une certaine sérénité. La commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud a été précédée d’abord d’un accord politique et de la transition. Il faut créer le cadre durant cette phase de transition; il faut régler les problèmes des réfugiés, le problème des victimes, des gens qui souffrent et laisser pour l’après transition le règlement de tous les autres aspects lourds de la question nationale qui requièrent beaucoup plus de débats et plus de temps. On se trompe si on veut tout régler durant la phase transitoire. Cette phase de transition a pour enjeu fondamental de définir les règles du jeu entre les acteurs politiques. C’est le rôle du CMJD. Quand le jeu politique sera transparent, il reviendra alors aux forces politiques de rentrer dans ce débat et à travers leurs programmes de proposer des solutions.
Il faut continuer à lui demander ça. Nous ne sommes qu’au début de la transition et tout le monde a demandé de créer les conditions pour le retour des déportés Il y a la
question des réparations, des massacres de militaires négro africains ; toutes ces questions sont douloureuses mais il ne faut pas que les forces politiques cherchent à les capitaliser pour en faire un fonds de commerce.
Il faut que toutes les forces politiques en parlent. Mais il faut en parler avec l’objectivité et la responsabilité nécessaires. Il faut savoir par exemple quelle est- la situation des réfugiés. Y en a-t-il qui sont rentrés? Quel est leur problème réel ? Par exemple en 1997 il y a eu une opération de retour organisée par le HCR et le CRM qui a porté sur 35000.sur les 60000 recensés par le HCR. Continuer à dire qu’il y a 120000 réfugiés au Sénégal c’est perdre toute crédibilité. Pourquoi exagérer ? Il suffit qu’il y ait deux réfugiés mauritaniens au Sénégal pour que cela vaille la peine que tous se mobilisent pour réclamer leur retour. D’autre part le gouvernement a une certaine frilosité qui rappelle la frilosité de l’ancien régime. Quand un problème est réel, il faut en parler, il faut le poser, il faut le régler. S’il n’est pas réel, il faut dire qu’il n’est pas réel. On ne peut pas reconnaître qu’il y a un problème et vouloir le régler en catimini. C’est du reste ce que l’ancien président a fait en 1997 en autorisant le HCR de ramener des déportés sans reconnaître officiellement qu’il y avait des déportés. Le résultat c’est que politiquement c’est comme si rien n’avait été fait. C’est cette honte à affronter la réalité qui pose problème. L’Etat doit reconnaître les fautes. Il ne faut pas que notre pays soit l’otage des fautes commises dans le passé. Il faut organiser le retour des déportés pour deux raisons : une
question de droit. Quelqu’un ne peut pas revenir sans aucune garantie et aussi pour une question de sécurité nationale. On ne peut pas ouvrir les frontières à tous ceux qui prétendent être des réfugiés mauritaniens et il ne faut pas non plus que ce soit un retour «en cachette» comme en 97…

Cheikh Saad Bouh Kamara : Professeur Honoraire de Sociologie à l’Université de Nouakchott, Expert consultant international, le professeur Cheikh Saad Bouh Kamara est un fervent militant des droits de l’homme.

 

“Je suis persuadé que les Mauritaniens (...) sont en mesure de poser les problèmes concernant le passif humanitaire, les dérives des décennies passées et retrouver des solutions correctes dans le contexte socioculturel mauritanien.”

 

La Tribune : Est-il opportun, sinon pertinent, de penser la question nationale en termes de conciliation entre les différentes communautés de la Mauritanie?
Cheikh Saad Bouh Kamara :
Je crois qu’il y a lieu de faire une clarification. Il est opportun, en cette période de transition, de parler de tous les problèmes de la Mauritanie. Et il faut poser cela en termes objectifs dans une approche à la fois consensuelle et visant l’atteinte d’un Etat de droit.
A ce propos la
question nationale revient sans cesse comme une question récurrente. Et le fait de la poser signifie, à mon avis, qu’il y a quelque part, malentendu, des interprétations diverses et certainement des positions en rapport avec ces interprétations. Pour ma part, je pense qu’il faut inscrire la question nationale dans le cadre d’un Etat de droit, dans une société de droit. Il est normal que les droits de tous les citoyens mauritaniens, quels qu’ils soient, soient strictement respectés. Il est aussi normal que tous les mauritaniens, quels qu’ils soient, s’acquittent de leurs devoirs.
A mon sens, la
question nationale a été attaquée sous différents angles qui déforment le prisme de la réalité. Si tous les droits des mauritaniens sont respectés, si nous avons une Constitution qui, dans son application, est conforme aux standards internationaux, il y a de fortes chances qu’on ne pourra plus poser la question nationale en tant que telle. Il y a eu des injustices dans ce pays, des cas de violations de droits de l’homme. En ont été victimes aussi bien des populations négro-africaines que des populations arabes. Vouloir tout de suite, maintenant et présentement résoudre la question nationale, c’est une utopie. Poser le problème de la réconciliation, c’est comme si les communautés étaient fâchées entre elles. Il y a eu certes et assurément des cas d’extrémisme. Des extrémistes arabes et des extrémistes négro-africains qu’il faut renvoyer dos à dos. A mon avis, il faut voir la solution de ces malentendus et, si éventuellement il y a des problèmes, les résolutions, les mesures, en faveur de la démocratie, d’un Etat de droit et d’une société de droit.

 

La Tribune : D’un point de vue sociologique, est-ce à dire que les mauritaniens ne sont pas assez préparés pour se confronter à un traitement des questions sensibles à la manière sud africaine ou marocaine ?
Cheikh Saad Bouh Kamara :
Je ne crois pas qu’il y ait des peuples matures et prêts à aborder des problèmes et que d’autres ne le soient pas. Je suis persuadé que les mauritaniens à l’image d’autres peuples, comme les marocains et d’autres, sont en mesure de poser les problèmes concernant le passif humanitaire, les dérives des décennies passées et retrouver des solutions correctes dans le contexte socioculturel mauritanien. Je m’explique : contre l’impunité, contre les violences qu’ont subies les mauritaniens, il y a une démarche en cinq étapes qu’il faut à mon avis assurer et poursuivre. La première étape c’est un devoir de mémoire. Je le répète souvent, il ne faut pas oublier. Mais il ne faut pas se rappeler pour se venger ou attiser le feu et mettre l’huile sur le feu. Au contraire, il faut se rappeler pour que cela ne se reproduise plus.
La deuxième étape, c’est le devoir de vérité. Il faut atteindre la véracité, la fiabilité des faits; il ne faut pas les déformer.
La troisième étape, c’est un devoir de justice. Il faut juger sereinement les personnes qui ont commis des dérives graves. Je rappelle en passant que certains faits comme les crimes de torture, les crimes de génocide sont imprescriptibles : avis donc à ceux qui croient qu’à travers une loi d’amnistie, il peuvent arriver à faire oublier des crimes de violation graves contre les droits de l’homme.
La quatrième étape est la réparation. Il faut restituer aux ayants droits leurs droits. Il faut d’abord une réparation. En plus de cela il faut que les personnes qui ont été spoliées puissent recouvrir leurs biens.
Enfin la cinquième étape. C’est la réconciliation. Puisque nous nous sommes souvenu de ce qui s’est passé de façon correcte et fiable, nous sommes passés en justice - cela prend du temps on ne finira pas d’épuiser les contenus de ce passif humanitaire -, nous avons réparé les droits de ceux qui avaient été spoliés, nous en arrivons à la réconciliation. Et là, il y a plusieurs formules. Il y a effectivement des commissions vérité et réconciliation, mais il y a également d’autres formules, d’autres démarches en faveur d’une véritable solution, d’une cicatrisation, dirais-je de ces différents fléaux. Mais, je répète encore une fois qu’il ne faut pas voir le problème en antinomie entre populations négro-africaines et populations arabes. Il faut le voir en termes de rapports aux valeurs, pas de jugements de valeurs mais de rapport aux valeurs. A savoir qu’il faut identifier les maux et trouver les mots pour pouvoir les résoudre. Mais surtout dans le cadre des règlements pacifiques d’un certain nombre de violations de droits de l’homme. A mon avis, c’est cela la solution pacifique, raisonnable, durable.

La Tribune : Présentement que peuvent réussir le CMJD et son gouvernement de transition?
Cheikh Saad Bouh Kamara : Je pense qu’ils font déjà beaucoup de choses. D’abord, ils ont fait sauter une chape de plomb qui était présente. Ce que même les membres du PRDS ont reconnu. En second lieu, et c’est extrêmement important, ils donnent la parole à tout un chacun : partis politiques, opérateurs privés, membres de la Société civile, ceux qui étaient en exil, ceux qui sont revenus, ceux qui sont restés...
Je crois aussi qu’il y a une autre approche à louer. A savoir qu’il n’y a pas de sujet tabou. Cela ne veut toutefois pas dire qu’en ouvrant la boite de Pandore il faudra essayer de trouver des éléments qui vont opposer les mauritaniens. Il faut trouver à la fois les mots justes pour identifier ce qui ne va pas et trouver en même temps et proposer des solutions pour que cela aille mieux dans le sens d’une amélioration de la situation des mauritaniens aux plans économique, culturel, social et juridique. Si nous parvenons à maîtriser ces quatre plans, il y a de fortes chances que nous puissions vivre en Mauritanie dans une démocratie. Un autre aspect qui semble extrêmement positif, c’est qu’ils [le CMJD] ont permis à un débat qui était fermé, un débat clos de devenir un débat général. En plus ils ont voulu confier une partie importante de la transition, les élections, aux Nations Unies. Qui peut dire ou faire mieux? Ceci étant, il faut rester vigilant, maintenir le cap, accompagner toutes les modifications en faveur de la démocratie. Il faut être présent pour empêcher des dérives d’où qu’elles viennent. Il ne faut surtout pas essayer de comparer au passé en disant :”ça va mieux, on s’arrête là.” Mais il faut continuer pour améliorer. Nous allons vers une société de droit. Et il faut poser les jalons, les repères en un ou deux ans pour qu’après nous puissions nous engager dans une voie réellement démocratique.

La Tribune : Quels seraient à votre avis les enjeux juridiques et politiques du traitement, ou du non traitement, d’un passif humanitaire laissé par le régime passé ?
Cheikh Saad Bouh Kamara : Je pense qu’il ne serait pas juste, et il serait même malheureux et inéquitable, de ne pas traiter un quelconque problème. Celui-là, le passif humanitaire, est un des plus importants. Mais il ne faut pas croire que le traitement seul de ce problème permettra à la Mauritanie d’accéder à la démocratie. Ce problème, il faut l’inclure dans un lot d’autres problèmes : problème de justice ou d’injustice, problèmes de cas de tortures dont sont victimes d’autres composantes nationales, des problèmes d’impunité, des problèmes de corruption et des problèmes d’un parti-Etat qui était omniprésent. Nous ne sommes pas là pour critiquer ce qui s’était passé. Nous sommes là pour poser les jalons et les repères afin de trouver un cadre démocratique, dans une situation apaisée, un processus plus avancé que le précédent et dans une situation d’amélioration incessante des conditions de vie des mauritaniens. Je dois dire que aux mauritaniens qu’il faut être utopiste, imaginer une démocratie impeccable. Mais il faut aller pas-à-pas, poser surtout les éléments théoriques et les éléments conceptuels pour qu’après l’on soit sûr d’aller sur le bon chemin vers le nord que nous indique la boussole.

Enfin, je terminerai par un appel : les débats doivent être francs, sans arrière pensée, des débats qu’il faut élever au niveau des espoirs et des attentes des mauritaniens. Il faut aussi ne pas oublier que nous appartenons à un monde et que par conséquent, il faudrait que dans nos arguments nous puissions sans cesse nous repérer par rapport aux standards internationaux. Il ne faut pas dire que nous venons de loin, il faut s’arrêter; il faut plutôt améliorer davantage pour le futur. C’est l’appel que je lance à l’ensemble des acteurs politiques en Mauritanie.

Propos recueillis par Kissima

Docteur Sidi O. Salem : Docteur Sidi O. Salem est membre fondateur et membre du comité permanent de l’UFD/EN. Il sera arrêté du 11 au 25 novembre 2000 après la dissolution de son parti. Candidat de l’UFD/En aux législatives de 96 à Zouerate puis du RFD aux sénatoriales de 2002 à Nouakchott, chargé de la communication au directoire de campagne d’Ahmed Ould Daddah pour les élections présidentielles du 7 Novembre 2003, il avait gelé ses activités au niveau du parti en 2003. Actuellement, il est professeur de physique à l’Université de Nouakchott.


“Le problème à résoudre est l’édification de l’Etat. Il faut bannir tout discours raciste, toute vision archaïque ou manipulation de notre vie anthropologique.”

 

Y a-t-il selon vous une question nationale en Mauritanie ?

- Oui, il y a une
question nationale si on entend par là les facteurs qui renforcent l’unité nationale. Si par contre il faut entendre par là un problème de cohabitation entre communautés, je dis que cela débouche sur un ethnicisme. Donc il n’y a pas de question nationale. L’histoire politique de la Mauritanie a démarré dans un contexte néocolonialiste où les leaders ne pouvaient concevoir l’Etat qu’en termes de représentativités communautaires, sans avoir un projet national. D’où les nationalismes arabe et négro-africain.
Il y a eu d’autres revendications identitaires ; d’ou l’émergence de forces centrifuges qui présenteront le problème en termes de développement, d’intégration, de projets de développement de la société. Il faut dire qu’en termes de différences, donc de facteurs de désunion, nous avons moins de problèmes que d’autres pays. Nos différences doivent être un atout et non un handicap. A mon avis ce qu’il faut plutôt exclure c’est l’arbitraire. Un citoyen, quelle que soit sa communauté, ne doit pas se sentir exclu. Il s’agit surtout d’assurer l’intégration.
Je constate que chaque fois que le pays est dans une fragilité institutionnelle, il y a des opinions identitaires minoritaires qui tentent d’exploiter cette situation.

Il y a un passif humanitaire dont ont été victimes les négro-africains. Quelle solution préconisez-vous pour son règlement?

- Il y a une
question nationale qui se ttraduit en termes de projet démocratique national. Il y a l’arbitraire. Et là c’est une question d’atteinte à des citoyens dont nous réclamons le règlement. C’est une question ponctuelle et historique. Le passif humanitaire est la résultante de la politique de O. Taya basée sur les conflits, l’arbitraire…
Il appartient aujourd’hui à la classe politique de ce pays de rechercher la solution des problèmes dans le dialogue. Le problème à résoudre est l’édification de l’Etat. Il faut bannir tout discours raciste, toute vision archaïque ou manipulation de notre vie anthropologique. Il n’y a pas de problème de cohabitation comme pour la Serbie, la Bosnie ou ailleurs. Ce dont nous avons plutôt souffert, c’est la tribalisation. O.Taya a usé de ce dosage sans tenir compte des compétences. Tout le monde a joué son jeu. Ceci arrange les communautés et les tribus qui ont d’autres cadres pour les défendre. Il faudrait que les démocrates défendent la Nation. On ne doit pas dans l’Etat renforcer la tribu. Ce serait anti-démocratique. La tribu est l’incarnation de la structure traditionnelle esclavagiste, on ne doit pas la reproduire dans une structure étatique qui se veut démocratique. Et j’espère que les nouvelles autorités effectueront la rupture avec ces cadres archaïques de gestion de la vie publique.

 

 

Propos recueillis par Kissima

19 août 2005

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