A.H.M.E.

INTERVIEW 28:

 

                  img4.gif                         Interviews de Sidi Ould Cheikh Abdallahi ( SIDIOCA)   

 

  INTERVIEW DU PRÉSIDENT SIDI OULD CHEIKH ABDALLAHI AU CALAME

 

Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, dans une interview exclusive avec Le Calame : "Mes propos sur Al Jazeera Net ne sont pas une attaque contre Ould Daddah, mais une description de la réalité politique qui prévalait, à l’époque, sur laquelle on m’a posé une question".

Au moment où la campagne, en vue de l’élection présidentielle du 18 juillet, bat son plein, le Calame a jugé utile de recueillir le point de vue de monsieur Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, ancien Président de la République dont l’acte, patriotique, de démission, a permis à la nation mauritanienne de sortir de la crise politique, consécutive au putsch du 6 août 2008, et de s’engager dans une élection présidentielle, constitutionnelleme nt acceptable.

Les propos de celui qui a dirigé notre pays, pendant quinze mois, contribueront à éclairer l’opinion publique. A l’heure où la tension monte, cet homme, qui vient de sortir par la grande porte de l’Histoire, malgré le lynchage que sa famille et lui ont subi, cet homme sage ne s’est jamais inscrit dans une logique de confrontation, encore moins de surenchères. Jamais l’idée de vengeance n’a effleuré son esprit.

Loin des bruits de la campagne, Ould Cheikh Abdallahi, qui a choisi de se réinstaller dans la Mauritanie profonde, la vraie celle-là, observe les choses de loin et pose un regard, lucide, sur l’évolution de la Mauritanie qu’il aime tant. A Lemden, où nous nous sommes rendus, l’homme nous a reçus avec courtoisie. Toujours jovial, il frappe par son humilité et sa retenue. En plus de la télévision, l’homme est relié au Monde par l’Internet et le téléphone. Il est aussi bien sollicité par ses compatriotes que par des étrangers en quête de conseils. Depuis son exil volontaire chez lui, l’homme partage son temps entre la mosquée, la réception de ses hôtes et la lecture. Sur sa petite table de chevet, cohabitent un exemplaire du Saint Coran, un chapelet et des essais, récents, de Barack Obama et de  Paul Baryl.

Dans cette interview, il revient sur les péripéties de la crise, ses rapports avec les généraux tombeurs, son soutien à Messaoud Ould Boulkheïr, ses rapports avec Ahmed Ould Daddah, ex-chef de file de l’opposition à son pouvoir et, enfin, sur la possibilité ou non de revenir, un jour, dans l’arène politique mauritanienne.

Le Calame : Après moult tractations, suivies de votre démission, l’accord de Dakar est enfin  mis en œuvre. Comment avez-vous vécu tout cela ?

Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi : Je suis très heureux que l’accord  de Dakar ait pu être signé et mis en œuvre. Je crois, très franchement, que ceux qui s’intéressent aux désirs de leurs compatriotes ne peuvent pas rester insensibles à cet accord, parce qu’il y avait, en lui, une très forte demande des Mauritaniens. Par cet effort, ceux-ci ont prouvé qu’ils veulent la paix  pour leur pays. Le sentiment  le plus répandu  était que, s’il n’y avait pas d’accord, le pays s’engageait dans l’inconnu. Je fus, donc, personnellement  très heureux, en signant  ce décret, conscient de ce qu’en présentant ma démission, je faisais quelque chose pour l’intérêt du pays.

Dans votre discours d’adieu, vous avez relaté le bilan de votre passage à la tête de l’Etat. Mais, vous n’avez fait allusion, à aucun moment, aux points faibles de votre action. Où avez-vous péché, pour susciter l’ire des généraux qui vous  ont déposé ?

Dans mon discours, j’ai précisé que je ne m’inscrivais dans une logique de surenchère; comme j’ai eu à le dire, ce genre d’attitude, ça recule plus que ça n’avance. L’histoire retiendra de cette période ce qu’elle voudra. Si celle-ci n’a pas correspondu à ce que les Mauritaniens attendaient, elle sera vite oubliée; si, par contre, il y a eu des choses importantes pour l’avancement du pays, elle les retiendra. Je pense, après réflexion, que je n’étais pas, sur un certain plan, en harmonie avec mon pays. Je ne me suis pas soucié, pendant cette période, de certains aspects relatifs à ma popularité, ni aux actions pour l’améliorer et, très franchement, je ne m’étais pas préparé à cela.

 

Et puis, il y avait des gens, dans mon entourage, je l’ai déjà évoqué dans mon adresse à la Nation, des gens qui se rendaient à l’évidence que ce que j’étais en train de faire n’était pas bien perçu, par mes compatriotes. Ils me disaient : "Ecoutez, la Mauritanie ne doit pas être gérée de cette façon, il faut tenir compte des aspirations du peuple, il faut tenir compte de leurs habitudes, vous ne pouvez pas changer les choses, d’un seul coup". Mais je me rendais compte qu’en suivant ces observations, bienveillantes, du reste, je cautionnais les pratiques d’antan, je m’y incrustais, et cela n’était pas ma vision de ma mission envers la Mauritanie.

 

Je pouvais réaliser, à cette période, beaucoup de choses, qui devaient être accomplies, et, quoique bien de gens m’aient dit, vous auriez dû faire ceci, éviter cela, et que cela fût, certainement vrai, je portais une vision, je le répète, et je ne voyais pas les choses comme eux. La stabilité du pouvoir ne m’intéressait que pour autant qu’elle serve à quelque chose, qu’elle corresponde à la vision que j’avais pour mon pays. Si c’était juste la stabilité pour la stabilité, je ne m’y retrouvais point.

La campagne électorale bat son plein.  Comment la vivez-vous, depuis Lemden ? Pensez-vous que l’opposition a de réelles chances de gagner ? Par ailleurs, dans une sortie, récente, sur Al Jazeera Net, vous n’avez pas manqué de jeter quelques piques à Ahmed Ould Daddah. En cette période de campagne, ne pensez–vous qu’il soit plus sage d’enterrer la hache de guerre, pour combattre votre ennemi commun ?

D’abord, en ce qui concerne la campagne électorale, vous le savez, j’ai apporté mon soutien au président  Messaoud Ould Boulkheir ; je l’ai fait à travers une lettre que je lui ai adressée et qui a été lue, lors de son investiture par le FNDD.

Pour le reste, je voudrais vous dire que j’ai été très heureux de son choix et que j’ai fait tout ce que j’ai pu, afin que le FNDD et le RFD puissent travailler, ensemble, pour mettre, en échec, le coup d’Etat. Lorsque le RFD a fait l’objet d’attaques, j’ai, tout de suite, pris sa défense. Si vous avez bonne mémoire, vous aurez remarqué, sans aucun doute, qu’au court de cette période de crise, je n’ai jamais attaqué ou répondu à des attaques qui m’ont été adressées. Je constate, aujourd’hui, qu’on veut faire croire que je m’en suis pris à Ahmed. Allons, donc, je n’ai aucune raison de l’attaquer, il n’y a aucun enjeu, entre lui et moi. J’ai démissionné et je soutiens un candidat, pour la victoire duquel je ne ménagerais aucun effort. Mes propos, concernant Ahmed, sont à entendre, simplement, dans une explication du contexte politique qui prévalait, il y a un an – la fronde des députés, en l’occurrence, qui a conduit au coup d’Etat du 6 août. Une majorité de députés ne se reconnaissaient plus en moi, ai-je dit en substance, et pensaient qu’il y avait une autre manière de gérer le pays.

L’opposition, quant à elle, et en particulier, comme je l’ai dit, le RFD, me semblaient, par certains de leurs comportements, souhaiter l’organisation d’élections anticipées et le coup d’Etat  offrait, apparemment, une telle occasion. Tout le monde sait, par ailleurs, quelle fut l’attitude du président Ahmed Ould Daddah et du RFD vis-à-vis de ce qui fut appelé une "rectification" . C’est tout. Il ne s’agit pas d’une attaque, mais d’une description de la réalité politique qui prévalait, à l’époque, sur laquelle on m’a posé une question, et j’en ai dit ce que je pensais.

La fronde parlementaire, suscitée  par les généraux, aura  été l’une des étapes de votre chute. Qu’est-ce qui vous a retenu de dissoudre l’Assemblée nationale ?

Je crois l’avoir, déjà, expliqué : réellement, je ne voulais pas que nous perdions du temps et de l’argent. L’organisation d’élections avait un coût et nous embarquerait dans une période "morte" que je considérais comme une perte de temps, dans le programme à mettre en œuvre. J’ai, cependant, évoqué cette question, à l’époque, en des termes auxquels personne n’a beaucoup prêté attention. J’ai dit que, si je constatais que je ne disposais plus de majorité au Parlement, j’envisagerais, à ce moment-là, la dissolution de l’Assemblée nationale afin de m’en  remettre au peuple, pour confirmer, ou non, la situation, auquel cas, soit j’accepterais la cohabitation, soit je partirais, l’alternative, en définitive, m’appartenant en propre. Mais dans mon adresse à la Nation, j’ai précisé que cela n’était que l’ultime solution et je ne préférais pas m’y résoudre précipitamment, pour les raisons que j’ai évoquées tantôt.

La situation devenait pourtant ingérable...

Vous savez,  tout cela s’est passé en une période très courte, c’était une situation artificielle, elle ne reposait sur aucune base ou opposition  réelle; la preuve en est que, lorsque je me suis résolu à contacter les parlementaires, les invitant à trouver des solutions, à travers le parti ADIL, le nombre de frondeurs a, aussitôt, baissé. Les meneurs, constatant que le vent tournait en leur défaveur, ont, alors, décidé de précipiter l’échéance. Vous dites que la situation était ingérable, mais on aurait pu retrouver une majorité, stable, à même de trouver des solutions, internes, à la crise, plutôt que d’aller vers ce qui, en vérité, n’intéressait que deux généraux, décidés, depuis un certain temps, je le crois, à ce que je ne demeure plus à mon poste.

On vous accuse d’avoir tenté d’acheter des parlementaires. ..

(Rires). Vous savez, il n’y a pas de chose qu’on n’ait pas dites, comment puis-je acheter des parlementaires ? Je pense que le mieux, c’est d’interroger mon directeur de cabinet, d’ailleurs toujours en poste, et que vous interrogiez, en même temps, son prédécesseur. Cela dit, je m’en vais vous confier une simple chose. Qu’est-ce que j’ai connu, à titre personnel, de mon traitement financier, depuis que je suis devenu président de la République ? Quand on m’a amené mes émoluments, je les ai trouvés disproportionné s, par rapport à la réalité et à l’idée que je me faisais du pays. J’ai, alors, décidé de  renoncer à 25% de ceux-ci, au profit du Trésor public, j’en ai parlé au Premier ministre, qui m’a dit que lui et les autres membres de son gouvernement en feraient autant, je dois dire que c’est tout à leur honneur, parce que je ne le leur ai pas demandé.

Pour le reste, j’en ai donné un certain pourcentage, à la fondation de mon épouse, qui le recevait mensuellement. Il y avait également un fonds, qu’on appelle communément caisse noire, géré par le directeur de cabinet, dont on a tiré des dons à de gens qui sollicitaient de l’aide. A un certain moment, j’ai voulu avoir une idée des montants que je donnais, s’ils  étaient significatifs ou non, j’ai demandé, à mon directeur de cabinet adjoint, de me procurer, sur le marché, des carnets à souches. Depuis lors, j’ai répertorié tous les dons distribués. J’en gardais une souche, pour suivre l’évolution des dépenses effectuées sur ces fonds, à toute fins utiles. Je serais, d’ailleurs, disposé, aujourd’hui, à vous les remettre pour publication. Les accusations d’achat de députés ne reposent sur rien, il s’agit de pures inventions.. Je n’ai, jamais, acheté personne.

Le limogeage des généraux vous aurait été dicté, affirment les militaires, par votre entourage. Qu’en est-il ? Dans le cas contraire, n’avez-vous pas sous-estimé les risques d’une telle décision ?  Notamment celui de confrontation entre les chefs de corps, comme le soutiennent les militaires et leurs partisans ?

Je constate, d’abord, que mes compatriotes s’obstinent à croire qu’on m’ait dicté mes décisions, pendant très longtemps. C’est, probablement, très commode, très pratique : j’aurais été un petit jouet, entre les mains des militaires; qui faisaient de moi ce qu’ils voulaient, après m’avoir, pratiquement, amené sur leur char… C’est, évidemment, caricatural, excessif et cela ne permet pas de cerner et d’analyser, correctement, les problèmes. Quand un candidat a obtenu 25%, au premier tour, qu’il lui a fallu négocier des accords, avec des candidats qui ont eu 15 et 10%, on ne peut pas dire qu’il a été amené sur un char.

Que les militaires aient aidé, qu’ils aient pensé que ce candidat leur convenait, pour des raisons qui sont les leurs, je veux bien. Mais de là à tout caricaturer, ça n’avance, en rien, dans la recherche et la compréhension des problèmes du pays. Cela aurait, toujours, été comme cela, toujours mon entourage qui me commanderait de faire ceci ou de me débarrasser de celui-là, c’est trop facile. Hier, sous les ordres des généraux, subitement, sous le joug de son entourage : de grâce, accordez-moi, tout de même, un peu de moi-même... Tout cela est, de fait, bien loin de la réalité. Vous savez, la décision la plus douloureuse, peut-être, que j’ai été amenée à prendre, fut le limogeage des généraux, parce que, réellement – et je crois que je l’ai écrit, dans un document que vous avez, déjà, publié – je les prenais pour des officiers très patriotes, soucieux du devenir de leur pays, et je n’avais jamais eu le moindre reproche à leur faire, contrairement à ce qu’on a dit, par la suite.

Durant toute la période du premier gouvernement, nous discutions, ensemble, mais jamais de politique. La première fois que ce sujet est venu sur le tapis, c’est au lendemain de la constitution du gouvernement de Yahya Ould Ahmed El Waghf. Là, ils m’ont dit, ouvertement, que ce gouvernement ne leur convenait pas.  C’est à partir de là que les problèmes ont commencé entre nous et que s’est développée la crise. Ni plus simple, ni plus compliqué que cela. Quant à la décision du limogeage, je l’ai fait, non pas en pesant les risques, je l’ai prise parce que mon devoir me le commandait.

J’ai estimé que j’en étais arrivé à ne plus pouvoir respecter mes engagements, vis-à-vis du peuple, qu’il fallait, donc, mettre fin à la situation et la seule manière résidait en ce que je me sépare des généraux. Ou ils acceptaient de partir ou ils optaient pour un coup d’Etat, et, certes, la probabilité la plus forte était pour le coup d’Etat. Quant à dire que le décret a été pris nuitamment, c’est faire preuve de mauvaise foi. Il existe un décret, signé de ma main, numéroté, qui se trouve dans les archives de la Présidence, s’il n’a pas été détruit par ceux qui sont venus, après moi. La question qui mérite d’être posée est de savoir pourquoi on accuse un président de la République, chef des forces armées, décidant de limoger  des généraux, soit accusé de vouloir faire couler le sang. Pourquoi compliquer le simple ? Pourquoi ne pas reconnaître que c’est celui qui refuse d’exécuter les ordres de son chef, du président de la Nation entière,  qui prend les risques du bain de sang ?

Avec le recul, n’aurait-il pas été plus stratégique de procéder par étape ?

Je viens de vous exposer les raisons qui m’ont poussé à prendre cette décision. J’ai estimé qu’à ce moment-là, un certain nombre d’officiers travaillaient, à des degrés divers, d’ailleurs, à ma déstabilisation, qui a, finalement, fini par intervenir, le 6 août. Peut-être l’envisageaient- ils autrement, sous forme de manifestations de rue, de prise de décisions, au sein du Parlement, ou du recours à l’armée, après avoir constaté que le pays était devenu ingouvernable et pour répondre à l’appel du peuple… Mais tout cela ne change, en rien, la réalité des choses : le général Mohamed Ould Abdel Aziz et, dans une moindre mesure, le général Ghazwani, ne voulaient plus de moi, comme président de la République, considérant que leur conception des choses et leur propre situation exigeaient que je ne sois plus là.

Que vous reprochaient, exactement, ces généraux ?

Vous voyez quel président de la République, assis avec ses généraux, pour les entendre lui dire: on vous reproche ceci ou cela? Non, c’était, simplement, qu’ils ne se sentaient plus en sécurité, avec l’arrivée du gouvernement de Yahya Ould Ahmed El Waghf. J’ai appris, ça et là, qu’ils ne voulaient pas de certains partis entrés au gouvernement ; ils craignaient que ceux de leurs membres, devenus mes proches collaborateurs, m’influencent ; ils se sont, lourdement, trompés, parce qu’à ce moment-là, j’avais une entière confiance, en eux.

Vous avez exprimé votre soutien à la candidature de Messaoud Ould Boulkheir. Ce soutien est-il, simplement, verbal ou allez-vous vous impliquer, personnellement, dans sa campagne, en prenant part à l’un de ses meetings, par exemple ?

D’abord, mon soutien au président Messaoud  n’est pas que verbal, je vous signale que ma fille est son porte-parole, elle l’accompagne, partout, c’est un engagement qui use plus que le verbe. D’autre part, je déploie tout ce qui est en mon pouvoir, pour que ce candidat gagne, je le fais dans le cadre d’une attitude générale, que je prends par rapport à ce que je ferais ou ne ferais pas, à l’avenir, dans mon pays, en tant qu’ancien président de la République. Tout cela fera que je ne me présenterais, peut-être pas, dans des meetings de campagne, mais, une fois de plus, le président Messaoud bénéficie de mon entier soutien.

En Afrique, les anciens chefs d’Etat, ayant goûté aux délices du pouvoir, sont, souvent, tentés de revenir aux affaires. Pensez-vous redescendre, un jour, dans l’arène politique ?

C’est là une conclusion, hâtive, que vous tirez (rires)… Disons que je ne réponds pas à votre question.

Certains Mauritaniens commencent à s’inquiéter du lendemain du 18 juillet, pensant qu’en cas de défaite, l’ancien responsable de votre sécurité  pourrait être tenté par un nouveau coup de force.  Etes-vous de cet avis ?

Effectivement, j’entends ça, et je m’en vais vous dire que je ne n’exclus pas cette éventualité. Le coup d’Etat fomenté, il y a quelques mois, a bénéficié de beaucoup d’arguments pour convaincre les Mauritaniens : ça n’a pas marché et le coup a été mis en échec, grâce aux forces démocratiques. Si, aujourd’hui, le général Mohamed Ould Abdel Aziz se hasarde à un autre, il le fera pour des raisons qu’il expliquera, à nouveau, de mille et une manières aux Mauritaniens. Mais je ne doute, pas un seul instant, que ses raisons seront rejetées, avec encore plus de détermination, par les Mauritaniens, désormais avides de démocratie.

Propos recueillis, à Lemden, par Ahmed Ould Cheikh, Dalay Lam & Sneiba El Kory

Le Calame du lundi 13 juillet 2009...

 

 

 

      Interview Sidi Ould Cheikh Abdallahi

 

  L´AUTHENTIQUE
 
Je n'ai pas réellement compris l’ initiative de bonne volonté  annoncée par Mohamed Ould Abdel Aziz de reculer sa campagne de 24 heures.” Sidi Ould Cheikh Abdallahi a accordé, à partir de son modeste village, Lemden, une interview à la revue "Arab Daily Newspaper ". Il y aborde toute la situation politique et socioéconomique du pays, précisant que si le régime militaire perdure, cette situation qui connaît déjà de réelles difficultés risque d'empirer. Nous vous traduisons cet entretien, où le président déchu revient sur nombre de zones d'ombre qui ont fini par produire la scène politique d'aujourd'hui. 

Question : monsieur le Président, commençons d'abord par les médiations et les solutions proposées jusque-là pour résoudre la crise en Mauritanie. La dernière en date est celle du Sénégal. Comment voyez-vous cette initiative ?

Sidioca : merci, laissez-moi vous rappeler d'abord les causes de cette crise politique que nous vivons aujourd'hui. La seule raison, c'est le coup d'Etat militaire contre le pouvoir constitutionnelleme nt élu. Il est vrai que plusieurs institutions ont été élues en Mauritanie, mais il est vrai aussi que l'élection du président de la République en 2007 a été suivie par le monde tout entier. Elle s'était déroulée dans la plus grande transparence et les Mauritaniens avaient voté dans une totale liberté et dans le plus grand calme. Ce qui s'est passé par la suite, est un coup d'Etat militaire conduit par une junte hors-la-loi qui a violé la Constitution. L'auteur de ce coup d'Etat, Mohamed Ould Abdel Aziz et la junte qui s'est formée autour de lui avaient décidé de détourner leur putsch vers un processus qui les arrange et qu'ils se sont mis à consolider. Ils ont voulu faire de leur coup d'Etat contre la Constitution un  fait accompli irréversible. Mais ce qui est à la fois nouveau et réconfortant, c'est que ce coup a été accueilli avec une large opposition par d'importantes franges de Mauritaniens qui ont décidé de se dresser pour défendre la légalité constitutionnelle et s'opposer au coup d'Etat et à la dictature militaire.

Moi, en tant que président élu, je resterai debout avec force et détermination pour faire échouer ce coup d'Etat, car c'est que me dicte le serment que j'avais prononcé le jour de mon investiture et qui m'oblige à défendre la Constitution.

Il y a toutes ces forces politiques actives qui se sont regroupées au sein d'une Coordination nationale pour la défense de la démocratie (Cndd), formée de partis politiques du Front national pour la défense de la démocratie (Fndd), des syndicats de travailleurs, d'associations citoyennes qui œuvrent avec détermination, civisme, abnégation et responsabilité pour faire échouer le coup d'Etat et ramener la légalité.

Parmi les forces qui appuient cette tendance, figure aussi ce grand parti célèbre qu'est le Rassemblement des forces démocratiques (Rfd), qui s'est lui aussi lancé d'une manière engagée dans la bataille. En définitive, la junte militaire a su que le facteur temps sur lequel elle comptait était plutôt à leur défaveur. Quand vous revoyez les marches organisées par l'opposition, vous saurez que ce que dit Mohamed Ould Abdel Aziz, et sans grande conviction d'ailleurs, est faux, et que les militants de l'opposition ne se réduisent pas à cinq personnes qui courent derrière leurs intérêts personnels.

Il est temps que les putschistes trouvent un autre discours, au lieu de continuer à ressasser des contre-vérités, du genre l'opposition est une minorité de personnes attachées à ses intérêts.

En ce qui concerne la communauté internationale, son rejet du coup d'Etat et sa condamnation de la situation a toujours été évidente, comme l'a toujours été ses incessants appels pour le retour du pouvoir légal. L'Union africaine a d'ailleurs pris des mesures positives dans ce sens et le groupe de contact sur la Mauritanie a coordonné ses positions. Tous ont convenu qu'une solution consensuelle entre les Mauritaniennes à même d'éviter au pays les sanctions et les conséquences liées au coup d'Etat, doit être la seule priorité qui bénéficiera de l'appui total de la communauté internationale. Dans ce cadre, plusieurs initiatives de sortie de crise ont été annoncées. On peut se suffire ici de la dernière initiative de nos frères du Sénégal avec la participation de l'Union africaine représentée par la Commission africaine et le représentant du président en exercice de l'Union africaine ainsi que des représentants du Secrétariat général de l'ONU.

En ce qui me concerne personnellement, je tiens énormément à ce que les Mauritaniens parviennent à une solution juste et rapide qui nous sortirait de la crise.

J'ai déjà clairement exprimé mon entière disponibilité à accompagner toute solution consensuelle à laquelle parviendront les acteurs mauritaniens, même s'il faut organiser des élections anticipées 

J'ai déjà confirmé cette disponibilité dans le cadre de l'initiative avancée par le groupe de contact international pour une solution de sortie de crise consensuelle. Ma position de principe dans la défense de la Constitution est inébranlable et cela conformément au serment que j'avais prêté, comme est inébranlable mon attachement à une solution consensuelle. Je ne serai pas en tout cas un obstacle contre cette solution comme je ne serai pas partie prenante dans toute action qui violerait la Constitution. 

Question : vos soutiens au sein du Fndd et du Rfd avaient avancé comme conditions à tout dialogue la libération de votre Premier ministre et ses compagnons ainsi que l'arrêt de l'agenda unilatéral. La réponse du général Mohamed Ould Abdel Aziz fut le recul de sa campagne électorale de 24 heures comme signe de bonne volonté. Comment avez-vous considéré cette réponse ?

Sidioca : je n'ai pas réellement compris cette initiative de bonne volonté qu'il a annoncée en décidant de reculer sa campagne de 24 heures. Il est notoirement connu que le Front anti-putsch et le Rfd avaient annoncé depuis des mois leur refus total de l'agenda unilatéral des putschistes, comme il est notoirement connu que l'organisation de toute élection dans le cadre de cet agenda unilatéral sera forcément rejetée par le peuple mauritanien et ses forces vives. En définitive, je ne pense pas que cette annonce soit d'une quelconque importance ou enferme un signe d'une quelconque valeur. De là, je pense que le véritable problème posé aujourd'hui à la Mauritanie n'est pas de savoir quand est-ce que la campagne va débuter, dans la mesure où celle-ci fait partie intégrante du coup d'Etat et s'inscrit en dehors de la Constitution. Qui dispose du pouvoir légal pour annoncer le début de la campagne électorale ou l'arrêter ? Qui peut déterminer la légalité de ces élections ou leur illégalité ? C'est la Constitution que Mohamed Ould Abdel Aziz a violé par son coup d'Etat contre la légalité. En définitive, il n'y a aucun sens à parler de suspension ou de report de la campagne électorale si celle-ci fait nécessairement partie du coup d'Etat rejeté par la Constitution et par le peuple mauritanien.

Question : il existe actuellement une nouvelle situation appliquée à la fonction présidentielle, fabriquée par le coup d'Etat et on parle de vacance du fauteuil présidentiel comme le prévoit la Constitution. Il s'agit de l'intérim du Président du Sénat. Comment voyez-vous cet intérim de Bâ MBaré et comment analysez-vous les arguments avancés par la Cour constitutionnelle ?

Sidioca : il est de notoriété, et cela sans aucune équivoque, que la Constitution mauritanienne a clairement défini les cas de vacance du pouvoir présidentiel : comme le décès du Président de la République, ou son incapacité totale à exercer ses fonctions et la Constitution a aussi bien déterminé les formes dans lesquelles le Président du Sénat doit exercer l'intérim de la présidence. Et je crois sans risque de me tromper que l'intérim de Bâ MBaré ne correspond à aucun des scénarios prévus par la Constitution mauritanienne ;

Ce qui s'est passé, c'est que Mohamed Ould Abdel Aziz a utilisé la force, en prenant d'abord la présidence du pays par coup d'Etat, puis après un certain temps, il a décidé de démissionner pour pouvoir se présenter aux élections, mais toutes ces mesures sont tout à fait inutiles, et n'effacent en rien le fait du coup d'Etat.

Toutes les mesures constitutionnelles doivent passer sans équivoques par le Chef d'Etat élu et je crois que ceux-là (les membres de la Cour constitutionnelle : NDLR) ne se sont appuyés sur aucune autre explication que celle que leur a ordonné Mohamed Ould Abdel Aziz , qui a toujours usé de la force dans l'exécution de son coup d'Etat. Donc, aucune explication dans la situation actuelle ne peut être reçu valablement.

Question : on dit que l'expérience démocratique mauritanienne avait beaucoup gêné les régimes arabes et quelques uns de vos soutiens viennent d'avancer que la position actuelle de la Ligue arabe (favorable au coup d'Etat) est une manifestation de cette gêne. Comment évaluez-vous la position des pays arabes et de la Ligue arabe par rapport à la crise mauritanienne ?

Sidioca : il est bien connu que l'expérience démocratique mauritanienne a été fantastique et exceptionnelle, surtout dans un pays pauvre, à cent pour cent musulman et pluriethnique. Trois obstacles que l'on disait défavorables à l'émergence d'une démocratie et que la Mauritanie avait su dépasser. On parlait beaucoup et à outrance de l'incompatibilité d'être à la fois un pays arabe, islamique et démocratique. D'autres avaient assuré que la démocratie et la pauvreté ne pouvaient aller de pair, d'autres encore étaient allés plus loin en parlant de la fragilité de la Mauritanie de par sa composition pluriethnique qui le rendait difficilement gouvernable démocratiquement. Ce que l'expérience démocratique mauritanienne avait prouvé était que le seul support et le seul moyen d'assurer une véritable renaissance en matière de développement politique fort c'est la démocratie et personne n'en doutait. Aussi, l'expérience mauritanienne a été bien accueillie et citée en exemple. Seulement, cette expérience avait ses propres ennemis à l'intérieur. C'est vrai que le véritable artisan de son échec est Mohamed Ould Abdel Aziz, mais ce dernier a trouvé très vite un important appui auprès de tous ceux qui voyaient dans les nouvelles orientations de la politique de l'Etat démocratique que nous avions initiées, des menaces sérieuses contre leurs propres intérêts, tels que les nominations et les nombreux avantages qu'ils pouvaient en tirer à leur profit, à celui de leurs proches et de leurs partisans, toute chose à laquelle ils ne pouvaient postuler dans un régime démocratique basé sur le droit, la justice et le mérite.

Certains parmi ces soutiens sont connus. C'est eux que l'on voit toujours autour de n'importe quel régime qui émerge, nonobstant les orientations de ce régime et ses objectifs. En définitive, un coup d'Etat a été perpétré contre les orientations démocratiques et de développement pour faire la place à un nouveau régime prêt à distribuer des prébendes et à protéger certains intérêts.

Question : la Ligue arabe a décidé d'envoyer des observateurs aux élections prévues par les militaires mauritaniens le 6 juin 2009. Que pensez-vous de cette décision ?

Sidioca : je préfère parler aux pays arabes plus qu'à tout autre. Je crois que les politiques générales des pays arabes sont basées sur le renforcement des relations, la consolidation de la paix et la non ingérence dans les affaires intérieures des pays frères. Beaucoup de pays arabes ont participé au développement de la Mauritanie, à travers le financement d'importants projets et infrastructures de base. Moi personnellement, j'entretiens de bonnes relations avec plusieurs dirigeants arabes, relations dont je suis d'ailleurs fier. Et je crois que la position de ces pays arabes a toujours été favorable au peuple mauritanien, notamment à sa sécurité et à son bien-être.

En ce qui concerne la Ligue arabe, en tant qu'institution, elle n'a jamais été durant toute son histoire confrontée à un changement telle que celui survenu en Mauritanie. Mais malgré cela, je pense qu'elle a déployé des efforts, quand elle a accepté de coordonner avec le groupe de contact international, sur certains points. Seulement, beaucoup de Mauritaniens auraient préféré que la Ligue arabe manifeste beaucoup plus d'intransigeance pour défendre la légalité et la démocratie dans le pays. J'ai entendu dire que la Ligue arabe allait envoyer des observateurs assister aux élections que les putschistes allaient organiser. Cette décision me désole et je pense qu'il est nécessaire que les responsables de la Ligue se posent des questions, avant d'envoyer leurs observateurs. Ils doivent se demander "au profit de qui sont organisées ces élections ? Est-ce que ces élections vont mettre fin à la crise politique que vit le pays ? "

Ce qui est sûr, c'est que ces élections ne feront que compliquer davantage la crise politique et ne contribueront nullement à sa résolution. Ainsi, j'aurai voulu que la Ligue arabe renonce à son initiative et s'abstienne à envoyer des observateurs.

Question : l'équipe qui vous soutient a annoncé qu'elle va faire échouer ces élections. Avez-vous un plan d'action pour cela ?

Sidioca : j'ai déjà déclaré que je ne suis pas partie prenante dans les rencontres annoncées et les négociations en cours. Je confirme mon souhait de voir l'ensemble des acteurs politiques mauritaniens parvenir à une solution consensuelle et j'ai soutenu que dès que cette solution sera dégagée de concert entre eux, je ne serais pas un obstacle pour son application. Comme je l'ai également dit auparavant, je suis déterminé à faire échouer le coup d'Etat et je pense que les élections envisagées ne diffèrent pas de toutes les mesures déjà prises par la junte militaire qui s'est mise hors de la Constitution et de la loi. En définitive, mon combat se poursuit avec la volonté d'Allah.

Question : vous bénéficiez du soutien et de l'appui des Etats-Unis d'Amérique, position que vos adversaires utilisent à souhait pour vous accuser d'avoir reçu des fonds de Washington. Que répondez-vous à ces accusations ?

Sidioca : les Etats-Unis d'Amérique ont déjà exprimé une position de principe claire par rapport à ce coup d'Etat contre la démocratie et ils continuent d'exprimer la même position. Pour ma part, j'évalue à sa valeur cette position des USA par rapport à cette situation ainsi que les mesures qu'ils ont déjà prises dans ce sens.

En ce qui concerne les accusations et les propagandes véhiculées par les putschistes, elles sont arrivées à un tel niveau qu'elles ne méritent même pas une réponse.

Question : on vous a accusé dans la gestion du dossier du passif humanitaire, un dossier dans lequel les autorités militaires au pouvoir ont apporté des réponses. Comment voyez-vous ces réponses ?

Sidioca : nous nous sommes investis dans un projet de réconciliation nationale et nous avons enregistré de grandes avancées dans la résolution du passif humanitaire. Les putschistes, en particulier Mohamed Ould Abdel Aziz, n'étaient pas à l'aise face à ce projet. Ils ont d'ailleurs étaient très mécontents du discours que j'avais prononcé en fin juillet et dans lequel j'avais déclaré mon intention de régler le passif humanitaire et de ressouder l'unité nationale.

Question : vous ont-ils exprimé leur mécontentement ?

Sidioca : je vous affirme qu'ils étaient très mécontents du projet. Mais je pense avoir réussi, grâce à la volonté d'Allah, dans la mise en branle de ce projet d'unification nationale. La preuve est que le projet était parvenu à un stade tel que les putschistes n'avaient d'autres choix que de le poursuivre, malgré leurs propagandes, sur les aspects qu'ils pouvaient régler. Mon espoir est que les efforts se poursuivent dans ce sens, car il s'agit d'un projet tendant à consolider l'unité nationale et il mérite de réussir.

Question : comment appréciez-vous la situation économique du pays, en terme de comparaison entre son niveau sous votre régime et son niveau après le coup d'Etat ?

Sidioca : je ne suis pas tranquille par rapport à la situation économique du pays surtout sous le règne de la junte militaire et ses méthodes de gestion. Je pense que la Mauritanie se dirige vers un avenir difficile au milieu de toutes ces mesures. Le pays a besoin de politiques de gestion sages, de relations internationales larges capables de lui apporter des flux d'investissement pour son développement. Et c'est pour ces objectifs que je m'étais déployé dans le passé. Nous avions soumis un programme d'action claire qui avait convaincu les bailleurs au-delà de nos requêtes. Nous avions franchi des pas importants sur la voie du développement et nous n'en avions jamais fait objet de propagandes médiatiques comme cela se passe ces jours-ci.

Sur le plan des investissements privés, nous avions ouverts les portes devant les investisseurs et nous allions recevoir d'importants financements de la part des Etats-Unis d'Amérique dans le cadre du programme d'appui aux pays démocratiques en Afrique. Nous avions posé les jalons d'un véritable développement avant que le coup d'Etat ne vienne mettre fin à tout cela. Et au lieu d'initier des politiques de développement conséquents, Mohamed Ould Abdel Aziz s'est lancé dans une campagne de propagande non réfléchie, à l'instar de ce qu'on appelle en milieu bédouin "un feu de paille ", à l'image de ce feu qui brûle les brindilles sans toucher le bois et qui en définitive s'éteint sans satisfaire le but recherché.              Voir Page suivante

Aujourd'hui je crains que les Mauritaniens ne se rendent compte dans les mois à venir que leurs conditions économiques, sociales et de développement se dégradent d'une façon dangereuse et rapide, sans que miroite à l'horizon un quelconque espoir de contrer cette dégradation et sans que l'Etat ne soit capable d'y mettre fin.

Question : les autorités militaires au pouvoir mènent une lutte contre la gabegie et c'est dans ce cadre qu'auraient été arrêtés votre Premier ministre Yahya Ould Ahmed Waghf et quelques uns de ses amis. Parallèlement, on soutient que votre régime a été très favorable à la gabegie. Que répondez-vous à ces accusations ?

Sidioca : vous pouvez remarquer très aisément que toutes les accusations et critiques qui me sont adressées et qui sont adressées à la période durant laquelle j'ai dirigé le pays, sont vides et ne sont sous-tendues par aucun chiffre ni aucun indice qui pourrait constituer une base solide pour étayer ces fausses accusations. Je pense qu'une étude objective de la période durant laquelle j'étais au pouvoir prouve au contraire un recul drastique des pratiques qu'on pourrait appeler de mauvaise gestion, une culture ancrée depuis plusieurs décennies dans l'administration mauritanienne.

Comme exemple, vous pouvez jeter un regard sur le Programme spécial d'intervention (Psi) qui était un exemple de gestion paritaire entre l'administration centrale et l'administration territoriale. Ce programme s'était étendu sur tout le pays et a bénéficié aux populations les plus éloignées avec transparence. Les ressources de l'Etat s'étaient améliorées grâces à la fiscalité douanière au cours de cette période, demande a été faite de payer toutes les créances de l'Etat, avec délimitation du nombre de mois pour payer les factures dues sur les marchés contractés par les établissements publics, que les créanciers soient publics ou privés. Avec tout cela, j'entends beaucoup de propagandes, comme par exemple celles qui soutiennent que les forces de défense de la démocratie sont des groupes de prévaricateurs. Paradoxalement, les trois partis qui composent le Fndd (UFP, Tawassoul et APP) n'ont jamais géré le pays à aucun moment de son histoire. Cela, sans compter quelques anciens membres de l'ex-Prds qui sont accusés de symboles de la gabegie. Quiconque jette par contre un regard sur les soutiens et les partisans de Mohamed Ould Abdel Aziz, remarquera d'une façon claire et sans équivoque, qu'ils sont composés de plusieurs pans de ce que les Mauritaniens appellent les vrais symboles de la gabegie. Vous pouvez remarquer aussi que le discours politique et social des putschistes ne tourne qu'autour d'un seul point relatif à la propagande populiste et les attaques qui me visent ou qui visent les partisans de la légalité. Vous ne pouvez découvrir aucun programme de développement clair dans ce discours. Plus que cela, ces gens cherchent à bluffer le peuple mauritanien et à le tromper en soutenant que "la Mauritanie est un pays riche ", un terme qui est utilisé uniquement pour tromper sans plus. La Mauritanie est un pays qui peut être riche si on allie politique de bonne gouvernance, effort et travail réfléchi. Vous rappelez-vous lors d'une rencontre publique quand j'expliquai aux populations quelques importantes réalités sur l'économique du pays. Quelqu'un m'avait demandé quand est-ce que le problème de l'eau allait-il être réglé pour les habitants de Nouakchott ? J'avais répondu que ce problème sera réglé dans trois années d'une manière définitive…Car je savais que le projet Aftout Saheli allait s'achever à cette période et que toute autre solution ne serait que partielle et momentanée. Un grand tollé a alors été soulevé par ceux-là qui sont toujours habitués à tromper les citoyens. Selon eux, je devais dire que tous les problèmes allaient se régler dans quelques jours. Contrairement au cheminement simple qui veut que les problèmes se règlent selon l'appréhension que l'on se fait de ses difficultés avant de mettre en place les plans pour son exécution, les putschistes se sont lancés dans de la propagande et la tromperie en adoptant un discours unique, sur lequel on ne peut concevoir l'édification d'un Etat, ni contribuer à sa stabilité et à son développement.

Question : vous vous rappelez sans doute de quelques positions qui vous ont marqué de la part de vos anciens partisans qui se sont retournés aujourd'hui contre vous. Est-ce que leur volte-face vous a marqué ?

Sidioca : en réalité, ce n'est pas ça l'ainée de mes soucis. Je pense qu'il est plutôt mieux de connaître d'abord la nature de l'esprit humain, de savoir ce qui peut l'influencer et de pouvoir l'orienter, de connaître les forces et les mécanismes qui peuvent le propulser vers le meilleur, et non pas si Amr ou Zaid a pris la position qu'il fallait ou pas.

Question : quel est votre programme quotidien dans votre retraite ici à Lemden, votre village natal ?

Sidioca : hormis les devoirs que me dictent mes fonctions et auxquels m'astreint la Constitution, le pays ou le lieu qui m'est le plus cher au monde est mon village Lemden. Je vis une existence normale chez moi…Là, pas loin de moi, se dresse la mosquée de mon village…Je remercie Allah de pouvoir y faire toutes mes prières au milieu des gens. Je poursuis mes contacts normaux avec les présidents et les dirigeants du monde, avec mon équipe politique d'appui. Je lis des rapports périodiques qui me parviennent et je suis la situation générale du pays presque du jour au jour et je fais tout pour participer aux solutions aux problèmes qui se posent ou qui pourraient se poser.

Question : un dernier mot ?

Sidioca : je félicite le peuple mauritanien pour son intransigeance, son courage et son sacrifice pour le droit, la démocratie et la liberté, pour sa détermination à faire échouer le coup d'Etat. Le peuple mauritanien a montré son éveil et sa maturité. Il a démontré qu'on ne peut pas le détourner de ses décisions ni de sa volonté, face à une junte qui dirige par la force et qui cherche à détruire l'espoir du peuple et sa soif de démocratie.

 

 

         Entretien avec… Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, président-déchu de la Mauritanie :

‘ Je n’ai pas été surpris par le putsch du 6 août ’


Malgré le rétrécissement de l’espace des libertés, le peuple mauritanien a choisi son camp : Celui de la défense des acquis démocratiques. Car, pour la première fois dans l’histoire de ce pays, toutes les composantes se sont élevées pour rejeter l’usurpation du pouvoir par la junte. Telle est la conviction du premier président, démocratiquement élu, et renversé le 6 août 2008 par un coup d’Etat militaire.

Dans sa retraite de Lemden, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, qui se montre jovial et serein, n’en démord pas pour autant : ‘Je ferai tout ce qui sera de mon possible pour faire échouer ce putsch’, lance le président Abdallahi.

A son avis, le retour à l’ordre constitutionnel n’est pas négociable. Dans l’entretien exclusif qu’il a accordé à Wal Fadjri, l’ancien pensionnaire des cours William Ponty évoque les motivations des putschistes, le simulacre de sa libération et la mascarade des états généraux de la démocratie visant à ‘légitimer une forfaiture’.

Wal Fadjri : Quels sont aujourd’hui M. le président les sentiments qui vous animent, trois jours après la levée de votre assignation en résidence surveillée. ?

Sidi Ould Cheikh ABDALLAHI : Très franchement, j’ai les mêmes sentiments que j’avais avant. Mon sentiment est que la Mauritanie vit actuellement une période trop critique. Le peuple vit un coup d’Etat militaire contre un régime démocratiquement élu. Ce coup d’Etat, bien entendu, a conduit à l’assignation en résidence surveillée d’un chef d’Etat. En fait, ce qu’on appelle une libération du chef de l’Etat n’est pas une libération politique.

Maintenant par rapport à une libération politique, c’est tout simplement de permettre au président légitime de pouvoir reprendre son poste. Or, ce n’est pas encore le cas. Tant que cela n’arrivera pas, nous resterons toujours dans une situation particulière, spéciale. Par conséquent, c’est une situation dans laquelle la liberté n’a pas de beaucoup de sens.

Wal Fadjri : Votre tombeur et ex-chef d’Etat major particulier, vous a-t-il rendu visite ou envoyé un émissaire durant votre résidence surveillée ? Si oui, qu’est ce que vous vous êtes dit ?

Sidi Ould Cheikh ABDALLAHI
: Non, en aucun *cas je n’ai rencontré l’auteur de ce coup d’Etat. Par contre, j’ai reçu deux membres de l’organisation putschiste qui dirigent actuellement le pays. La première fois, c’etait pour me signifier mon transfert à Lemden dans mon village natal. Et la deuxième fois, c’etait pour m’amener à Nouakchott en pleine nuit vers trois heures du matin. Et c’est à partir de la ville de Nouakchott qu’on m’a signifié dans ma maison même que j’étais libre de tout mouvement ; et que mon assignation en résidence surveillée est complètement levée.

Wal Fadjri : Avez-vous été surpris par le putsch survenu le 6 août dernier ?

Sidi Ould Cheikh ABDALLAHI : En vérité, je n’étais vraiment pas très surpris. Parce que, depuis quelque temps, avant même ce putsch fait par Abdel Aziz et son ami Ghazouani, ces derniers avaient déjà commencé à mener des activités politiques de plus en plus visibles. Et leur intérêt pour le pouvoir était tout à fait évident pour tous ceux qui suivaient la scène politique en Mauritanie. Et c’est lorsque, je me suis rendu compte que cet intérêt était tel qu’il ne leur permettait plus de pouvoir exercer les fonctions et répondre aux exigences et autres promesses que j’avais faites aux Mauritaniens, j’ai décidé de les écarter. Mais en prenant une telle décision, je savais que cela pouvait aussi les conduire à tenter de prendre le pouvoir.

Wal Fadjri : Pourtant, selon certains observateurs, les militaires n’ont fait que reprendre que ce qu’ils vous avaient confié, étant entendu que vous étiez perçu comme étant leur candidat, lors des présidentielles de 2007 ?

Sidi Ould Cheikh ABDALLAHI : Vous savez qu’on a beaucoup parlé de cette question devenue un thème politique. Un thème choisi par une partie de l’opposition. Et il est vrai que pendant la période de transition, les militaires, qui eux-mêmes avaient fait le coup d’Etat et organisé les élections, n’avaient pas pris un certain nombre de précautions par rapport à la politique. Certains d’entre eux avaient soutenu l’autre candidat, et les deux auteurs du putsch avaient soutenu ma candidature. Cela rentrait dans une pratique qui était celle qui avait prévalu durant cette période.

Wal Fadjri : Ce coup de force doit-il être inscrit dans le registre du lent apprentissage de la démocratie dans un pays longtemps dominé par des militaires ?

Sidi Ould Cheikh ABDALLAHI : Vous savez, dans ce pays, il y a toujours eu une profonde aspiration à la démocratie. Déjà, depuis la période coloniale, il y avait plusieurs partis politiques, créés, et qui avaient commencé à faire apprendre aux Mauritaniens à s’exprimer et à exprimer librement leur différence. Ensuite, il y a eu cette période d’arrêt par rapport à ce système multipartite dans les années 1960 et 1970. Il y avait un régime démocratique qui travaillait pour l’intérêt du pays. Ce régime se préoccupant des libertés et de la dignité des gens. Mais c’était une époque où, pour des raisons relatives à la nécessité de chercher la cohésion dans la société africaine, les partis uniques avaient été privilégiés.

Nous avons, par conséquent, connu une période qui a abouti au coup d’Etat de 1978, suivie d’une période militaire ou se sont succédé plusieurs chefs militaires. Et le dernier d’entre eux a organisé un système démocratique, le multipartisme. Mais en vérité c’était beaucoup plus une apparence qu’une réalité politique. Entre les années 2006 et 2007, les Mauritaniens ont réellement renoué avec cette grande liberté et un très grand nombre de partis avaient pris part aux différentes joutes électorales. Dix-neuf candidats se sont présentés et tout cela s’est fait de façon pacifique.

Ces élections ont été observées par le monde entier. Ce qui a fait apparaître la Mauritanie aujourd’hui comme un pays qui était réellement désireux et avide de vivre sa démocratie. Et effectivement, pendant quinze mois, ce pays a vécu ce coup de force pendant ces grands moments de démocratie, de liberté. Aujourd’hui, je pense qu’en dehors de l’action militaire actuelle, ce pays est tout à fait prêt à vivre de façon pacifique sa démocratie.

Auteur: Abou KANE (Envoyé spécial)

Le 29/12/08

Source : Walfadjri (Sénégal)

 

 

                         Interview du Président de la République avec                                              Jeune Afrique



 
L’armée, les islamistes la démocratie et moi.

Un an après son investiture, le chef de l’Etat mauritanien fait le bilan de son action. Entre Satisfactions et frustrations, il revient sur le lent apprentissage de la démocratie dans un pays longtemps dirigé par les militaires.

« Le développement ne se fait pas d’un coup de baguette magique »
« Mes compatriotes souhaitent la démocratie dans certains cas, pas dans d’autres. »
« Je ne vais pas me justifier de prier, tout de même ! »
« Juger Ould Taya ? La question ne se pose pas. »

Investi le 19 avril 2007 après avoir été élu président de la Mauritanie avec 52.85% des suffrages exprimés, Sidi Ould Cheikh Abdallahi aura vécu une première année pénible. Elu en toute transparence à la tête de l’Etat, après les vingt-neuf années que la Mauritanie avait passées sous un pouvoir militaires, il avait pour principale objectif d’installer la démocratie et de renforcer l’unité nationale.

L’euphorie aura été de courte durée. Flambée des cours mondiaux des hydrocarbures conjuguée à la chute de la production nationale, crise alimentaires, multiplications d’actions terroristes qui ont considérablement terni l’images du pays.

Autant de difficultés supplémentaires pour un chef d’Etat déjà confronté à l’impatience d’une population dont les espérances sont proportionnelles aux souffrances qu’elle a endurées sous le régime de Maaouiya Ould Taya. « Sidi », comme l’appellent ses compatriotes, est née en1938 a Aleg, dans la région du Brakna, au sud–est de Nouakchott. Il appartient à une famille maraboutique influente, membre de la confrérie tidjane. Ses études le mènent en France, ou il obtient un diplôme d’études approfondies (DEA) en économie.

Quand il rentre au pays, en1968, la Mauritanie de Moktar Ould Daddah a le plus urgent besoin de cadres. Son ascension est fulgurante. Dés 1971, à l’age de de33ans, il fait son entrée au gouvernement : il sera successivement Ministre du Développement Industriel, de la Planification de l’Economie, du Développement rural. Jusqu’au coup d’Etat du 10 juillet 1978, qui emporta le régime de Ould Daddah.

Quand les militaires prennent le pouvoir, tout bascule : séjour en prison, libération puis installation dans un quartier populaire de Nouakchott. Il n’a plus de travail, doit faire appel à la solidarité des proches.

En1982, il décide de s’exiler au Koweït, ou il occupe un poste de conseiller économique au Fonds koweitien pour le Développement. La vie redevient confortable, mais il a le mal du pays.

Quand, en 1984, le Colonel Maaouiya Ould Taya renverse Mohamed Khouna Ould Haidalla, il accepte de rentrer à Nouakchott. I l se verra confier les ministères de l’Hydraulique, puis celui des Pêches - un secteur stratégique de l’économie mauritanienne.

En 1987, nouvelle, épreuve : il est limogé et placé en résidence surveillé à la suite d’une affaire jamais élucidée . Il avait entrepris de nettoyer ce milieu notoirement corrompu. Il a certainement dû se heurter à quelques « gros poissons »…

En 1989, il retourne au Fonds Koweitien qui le dépêche auprès du gouvernement du Niger, à Niamey, où il coule, jusqu’en 2003, des jours paisibles avant de rentrer à Nouakchott.

Après le « putsch de velours » qui, le 3 août 2005, met fin au régime d’Ould Taya, il envisage son retour en politique. Il sera le premier, en juillet 2006, à annoncer sa candidature présidentielle.

Sidi Ould Cheikh Abdallahi nous a reçu dans son bureau du palais présidentiel de Nouakchott, en présence de Sidi Mohamed Ould Amajar, son directeur de cabinet, et Idoumou Ould Mohamed Lemine, conseiller du chef de l’Etat.

Sa voix est douce, son débit mesuré. Il fait montre d’une extrême courtoisie. L’entretien qu’il nous a accordé révèle un démocrate convaincu. Trop, au goût de ses détracteurs, qui voient en lui un faible qui ne tient pas avec la fermeté requise les rênes d’un pays aux équilibres fragiles.

Il s’explique avec franchise – voire avec un soupçon de naïveté -, persuadé que la voie empruntée portera bientôt ses fruits. Peu enclin à livrer le fond de sa pensée sur Maaouiya Ould Taya - par peur que ses propos soient mal interprétés voire utilisés, nous a-t-il expliqué, sur les relations avec Ely Ould Mohamed Vall et Israël et les militaires, Sidi Ould Cheikh Abdallahi sait que son style et sa méthode déroutent. Erreur de casting pour les uns, question de temps pour les autres : l’avenir dira s’il a les épaules assez larges pour diriger la Mauritanie. Lui, en tout cas, n’en doute pas.

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Jeune Afrique : il y a peu plus d’un an au lendemain de votre investiture, vous annonciez un « changement profond basé sur la démocratisation du pays et l’unité nationale ». Promesse tenue ?

Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi : Je crois. Concernant la démocratie, les deux chambres du parlement jouent désormais un vrai rôle, dans la transparence la plus totale. Les débats sont d’ailleurs retransmis 0 la télévision .La justice fonctionne de manière totalement indépendant, la presse n’a été l’objet d’aucune censure et nous avons procédé à libération des ondes. Les libertés individuelles sont garanties.

Quant à l’unité nationale, nous avons tenu nos engagements. Dès le mois de juin dernier, nous avons organisé le retour des réfugiés négro-mauritaniens (qui avaient fui le pays mauritaniens à la suite tragique des événements d’avril 1989 marqués par les affrontements entre cette communauté et les maures, Ndlr) Plus de 2400 d’entre eux sont rentrés et le processus se poursuit. Enfin, nous avons promulgué une loi criminalisant l’esclavage, dont notre pays a beaucoup souffert. Nous sommes fermement décidés à l’appliquer.

Votre première année à la tête de l’Etat a été marquée par les difficultés : dramatique hausse des prix et mécontentement de la population, faible pluviosité, actes terroristes, désillusion pétrolière…

Il me semble que nous avons plutôt bien géré tous ces événements. Malgré la mauvaise conjoncture, notre taux de croissance hors pétrole - qui traduit plus fidèlement les efforts d'un pays comme le nôtre - a été de 5.5% en 2007. Nous avons tenu le coup et assuré une saine gestion de nos finances publiques.

Notamment grâce à de considérables efforts en matière de recouvrement des recettes fiscales et à la limitation des dépenses publiques, malgré une forte pression sociale. Ce qui ne nous a pas empêchés de répondre, de manière raisonnable, aux besoins de la population. Je constate cependant que l’on présente souvent la situation de la Mauritanie de manière plus négative qu’elle ne l’est en réalité.

Avec tout ce que nous avons vécu au cours de cette année, je trouve que nous nous en sortons plutôt bien. Nous avons, en tout cas, fait le maximum dans un contexte extrêmement difficile et sur lequel nous avions peu de prise. Je comprends l’impatience des mauritaniens, qui ont beaucoup souffert. Mais le développement ne se fait pas d’un coup de baguette magique.

Certains vous reprochent deux erreurs majeures. La première : avoir fait table rase de l'administration en place, qui maîtrisait les dossiers, et avoir ainsi perdu du temps dans la mise en place des réformes. La seconde : avoir sous-estimé la menace terroriste. Que leur répondez-vous ?

Il faut relativiser. Je me suis retrouvé au lendemain des élections avec la majorité du personnel politique de ce pays qui n’appartenait à aucun parti. La plupart des membres du parti Ould Taya, le Parti Républicain Démocratique et Social (PRDS) avaient quitté ce dernier pour se déclarer « indépendants ». Ceux qui ont critiqué l’aspect technocratique et l’absence de teinte politique de mon gouvernement n’ont pas compris que je ne pouvais faire autrement.

Les indépendants ne représentent qu’eux-mêmes et leur nomination à tel poste n’engage personne d’autre. Quant à l’administration, nous n’avons quasiment pas touché à ceux que nous avons trouvés en place. Surtout quand ils appartenaient à l’opposition. (Rires)

Et votre perception de la menace terroriste ?

Ces accusations rejoignent celles relatives à ma prétendue faiblesse vis-à-vis des islamistes. Je voudrais préciser une chose fondamentale. Quant nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons trouvé des gens qui croupissaient en prison depuis plus de deux ans sans avoir été jugés. Ce n’était pas acceptable. Nous avons exigé leur jugement, comme dans tout système démocratique.

Certains d’entre eux ont été condamnés à des peines légères. J’en ai été très malheureux, parce que je détenais des informations qui démontraient leur dangerosité. Mais on ne peut vouloir la démocratie et en écarter les principes à la première occasion. Nous avons réagi de la seul manière possible dans se cadre en faisant appel a ces condamnations.

Ensuite, les juges font leur travail, en leur âme et conscience, et la justice est souveraine. De la même manière, j’ai autorisé le parti islamiste de Jemil Ould Mansour – un parti modéré et dans l’opposition, faut-il le rappeler- parce qu’il ne me semble pas concevable d’interdire à ses membres de faire de la politique tant que cela s’inscrit dans le cadre prévu par la loi. On me l’a beaucoup reproché, mais je pense que ce parti peut nous aider à lutter contre le terrorisme et l’intégrisme.

Aux yeux de beaucoup d’Occidentaux, la Mauritanie devient un pays islamiste. Outre les événement dont nous venons de parler, il y a également eu le retour du Week-end musulman, la fermeture d’un certain nombre de discothèques ou de bars, les restrictions de vente d’alcool…

Vous pouvez ajouter la construction d’une mosquée dans l’enceinte du palais présidentiel (rires)…Tout cela est caricatural. Le retour au week-end musulman correspond à une demande sociale. Pourquoi s’étonne-t-on que les gens ne travaillent pas le vendredi, principal jour de prière, dans un pays musulman ? J’ajoute que cela n’empêche pas la Mauritanie de fonctionner.

Quant à la mosquée du palais, je ne vais pas me justifier de prier, tout de même ! Pour des raisons évidentes, c’est plus pratique que de me rendre à la grande mosquée. Et comme nous hébergeons régulièrement dans cette enceinte des dirigeants musulmans en visite,

    c’est aussi plus simple pour eux. Il ne faut pas chercher plus loin.

    Quant à l’alcool, aucune décision n’a été prise par le gouvernement pour en interdire la vente. La réalité, c’est qu’il s’agit d’un phénomène cyclique chez nous. Parfois, la consommation d’alcool en Public dérange. Les gens sont alors, d’eux-mêmes, plus vigilants.

    Aucun regret, donc ?

    Vis-à-vis du respect de mes idéaux et de mon programme, non, je n’ai pas de regrets. Par contre, je dois reconnaître qu’au lendemain de mon élection je ne connaissais pas la réalité de mon pays aussi bien qu’aujourd’hui. J’ai appris que nombre de mes compatriotes souhaitent la démocratie dans certains cas, pas dans d’autres. Ils ont voulu un changement profond mais, dans leur vie quotidienne, ils font tout pour que rien ne change. Il veulent la liberté, mais s’étonnent encore qu’on autorise des manifestations. Ils prennent cela pour de la faiblesse. J’ai sous-estimé ces difficultés.

    Pour certains, justement, démocratie rime avec faiblesse…

    Cela fait partie de l’apprentissage démocratique. Les Mauritaniens ne sont pas toujours conscients du fait que la démocratie a un prix. Cela signifie qu’il faut parfois laisser faire des choses avec lesquelles on n’est pas d’accord. Certains pensent que la liberté se mérite, qu'elle ne concerne pas tout le monde. Les uns y ont droit, les autres il faut leur taper dessus. Je ne suis pas d’accord avec cette vision. Il y a des règles, elles sont valables pour tous.

    La rumeur évoque avec insistance un remaniement ministériel. Allez vous procéder à des changements au sein du gouvernement ?

    Ainsi va la vie politique mauritanienne. Pas une semaine ne s’écoule sans que de telles rumeurs se propagent. Et cela ne date pas d’aujourd’hui.

    Vous ne répondez pas à la question…

    Vous verrez bien. Mais rien ne nous empêche, un an après, de procéder à quelques retouches…

    Selon vous, de quoi la Mauritanie a-t-elle le plus besoin aujourd’hui ?

    De développement. Le seul danger qui peut menacer notre démocratie serait de ne pas en tenir compte.

    Quel regard portez-vous a posteriori sur la période de transition menée par les militaires ?

    Ils ont achevé leur mission qui consistait à organiser des élections transparentes, pour la première fois dans l’histoire de ce pays. Et ils ont tenu tous leurs engagements.

    La rumeur veut qu’un certain nombre de ses membres, et plus particulièrement le Colonel Ould Abdalahi Aziz, tire encore les ficelles dans l’ombre…

    Cela me surprend toujours que l’on puisse considérer ce genre de rumeurs comme sérieuses. Ou alors il faudrait que l’on me dise, parmi les mesures que nous avons prises depuis un an, les quelles auraient été dictés par le Colonel Ould Abdel Aziz – qui est aujourd’hui mon chef d’Etat – Major particulier- ou par un autre. Je note que ce thème avait déjà été utilisé par l’opposition lors de la campagne présidentielle. Elle continue, c’est tout.

    Vous êtes le premier civil chef d’Etat depuis Moktar Ould Daddah (victime d’un coup d’Etat en 1978, Ndlr). L’armée peut-elle un jour revenir au pouvoir ?

    Je n’en sais rien. Par contre, ce que je peux vous dire c’est que depuis que je suis ici, l’armée joue son rôle d’institution républicaine de manière exemplaire.

    Pourquoi avoir créé le Pacte National pour la Démocratie et le Développement (PNDD), parti de la majorité présidentielle ?

    Pour les mêmes raisons que j’ai évoquées tout à l’heure. Il fallait fixer politiquement les indépendants, majoritaires au parlement. Comme la plupart d’entre eux m’avaient soutenu pendant la présidentielle, ils pouvaient donc se retrouver au sein d’une formation qui soutienne le gouvernement et notre programme.

    Vos détracteurs, ainsi que le Président de l’Assemblée Nationale Messoud Ould Boulkheir (qui a soutenu la candidature de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi à la présidentielle de mars 2007) y ont vu le retour du parti-Etat…

    En grande partie parce que le Président du PNDD est le Ministre secrétaire Général de la Présidence ? Yahya Ould Ahmed El Waghf (l'interview date du dimanche 4 mai 2008, Ndlr). Ils craignent certainement que ce parti, qui n’est pas le mien, utilise les moyens de l’Etat. Mais je peux vous certifier que pas une seul Ouguiya ne sort des caisses de l’Etat à son profit.

    Quels sont vos rapports avec les partis de l’opposition ?

    Ils sont très étroits et courtois. Dès mon élection, j’ai discuté avec Ahmed Ould Daddah (Président du Rassemblement des Forces Démocratiques et leader de l’opposition NDLR). Je lui ai exposé mes projets et mes et ma méthode. Il est le chef de l’opposition, il jouit d’un statut, et l’Etat met à sa disposition des moyens. Il occupe même le quatrième rang protocolaire de l’Etat.

    Nous nous rencontrons, comme les textes le prévoient, tous les trois mois, pour débattre des grands sujets qui concernent la Mauritanie. Je reçois toujours les membres de l'opposition quand ils demandent à me voir. Nous discutons, même si je ne suis pas persuadé que ce dialogue soit très utile. Certains préfèrent souvent camper sur leurs positions, par principe plutôt que par conviction.

    Dans le cadre du règlement du passif humanitaire, un de vos engagements lors de la campagne présidentielle consistait à régler la question des victimes de tortures et d’exaction sous le régime de Maaouiya Ould Taya. Où en est-on ?

    Nous avons organisé des journées de concertation nationale. Cela a abouti à la décision de mettre en place une commission, composée de membres du gouvernement, du Président de la Commission des Droits de l’Homme, des Chefs d’Etat Major des forces de sécurité ainsi que de cinq personnalités de la société civile. Le choix de ces cinq dernières est encore en cours de discussion, car il est impératif qu’il soit consensuel.

    Cette commission aura-t-elle la capacité d’engager des poursuites judiciaires ?

    Non, il n’est pas question de cela. Il faut venir en aide aux victimes, mais préserver la Mauritanie de tout conflit.

    Quel bilan faites-vous de l’ère Ould Taya ?

    (Long silence). Tout ce que je peux vous dire c’est que nous devons assumer cette période et répondre aux attentes d’une population qui a voulu tourner cette page.

    Entretenez-vous des contacts avec lui ?

    Non.

    Il vit en exil au Qatar. Son retour en Mauritanie est-il envisageable ?

    La question se posera quand il en exprimera l’envie.

    Mais s’il en émettait le souhait, quelle serait votre position ?

    Qu’il se prononce d’abord, je vous répondrai en suite…

    Faut-il le juger ?

    Franchement, la question ne se pose pas. Pas à mon gouvernement en tout cas.

    Comptez-vous revenir sur la reconnaissance d’Israël, imposée par Taya en 1999 ?

    Non. Pas pour le moment.

    Quelles relations entretenez-vous avec l’Algérie et le Maroc ? La Mauritanie n’est-elle pas contrainte à un périlleux exercice d’équilibrisme ?

    S’il s’agit pour nous, comme vous le dite, d’équilibrisme, alors c’est réussi ! Nous entretenons d’excellentes relations avec nos deux voisins.

    Le dossier du Sahara occidental empoisonne les relations entre le Maroc et l’Algérie depuis plus de trente ans. Quelle est la position de la Mauritanie ?

    Elle est claire : nous nous en remettons à l’arbitrage des Nations Unies.

    A ce propos, le représentant du secrétaire Général de l’ONU, Peter Van Walsun, a déclaré récemment qu’un Sahara indépendant n’était pas une proposition réaliste. Comment réagissez-vous ?

    J’ai pris note de ces déclarations et j’en tiens compte…

    Vous intéressez-vous à l’élection présidentielle américaine ?

    Evidemment. Je peux même dire que je suis rassuré par le déroulement des primaires démocrates. Une femme et un noir se disputent une place en finale, si je puis dire. C’est une révolution !

    Comment envisagez-vous vos relations avec la France ?

    Elles sont très bonnes et le resterons. Le Président Sarkozy, lors de notre rencontre en octobre dernier, a manifesté un appui indéfectible à notre expérience démocratique. La France nous soutien. Plus d’ailleurs que ce que nous attendions d’elle. Elle a même tenu à nous associer à son projet d’Union pour la Méditerranée, avec lequel nous sommes d’accord. Même si nous attendons une définition plus précise de ses contours.

    Vous avez donc digéré l’épisode de l’annulation du rallye Paris Dakar ?

    Oui, même si j’ai regretté la médiatisation qui a été faite autour de cette affaire et qui a terni l'image de mon pays. Mais ce genre de chose arrive, malheureusement.

    Mouammar Kaddafi avait qualifié, en mars 2007, les mauritaniens de « bédouins pauvres et fatigués » et raillé le système démocratique du pays mis en place « sous la pression occidentale ». La nature de vos relations semble démontrer que vous n’êtes pas rancunier…

    Vous avez bonne mémoire.. Un peut trop ! Sérieusement, Kaddafi a toujours été attaché à mon pays et, surtout, à ses valeurs. Il a connu, disons, des difficultés avec quelques dirigeants mauritaniens. Nous nous voyons régulièrement et ces problèmes sont dépassés. Je dirais même que nos relations sont excellentes. Mais il est vrai que nous partons de loin.

    Jean Ping vient de succéder à Alpha Oumar Konaré à la tête de la commission de l’Union africaine. Qu’attendez-vous de lui ?

    Tout simplement qu’il règle les problèmes soulevés par le Président Konaré. Si nous voulons cette unité africaine, il faut s’en donner les moyens.

    Quel personnalité vous a le plus marqué ?

    Moktar Ould Daddah.

    Le pouvoir grise, dit-on. C’est comme une ivresse, une drogue. Avez-vous changé à son contact ?

    Franchement, cette drogue dont vous parlez n’agit pas sur moi. Par contre, je suis beaucoup plus sujet au stress !

    Propos recueillis par Marwane Ben Yahmed, à Nouakchott
    source : Jeune Afrique

  

 

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