A.H.M.E.
INTERVIEW 10:
Interview du plus vieux prisonnier de Mauritanie à Al Akhbar
Condamné à la peine de travaux d’utilité… privée !
Il s’agit de l’histoire d’un Hartani (ou haratine, esclave affarnchi) envoyé en prison pour le meurtre d’une jeune fille de son âge dans des circonstances troubles. Plus que les raisons et la longueur de la période de son incarcération, l’histoire de ce Hartani est amblématique du fonctionnement du système judiciaire mauritanien. Comment un juge, un commandant de la garde, un procureur de la République peuvent-ils s’attacher, gracieusement et en dehors de toute décision de justice, les services d’un détenu ? Ces hauts responsables sont désignés par leurs noms, connus de tous et continuent à servir l’Etat mauritanien… Ce cas repose la question plus générale de l’égalité des citoyens en Mauritanie : combien de chances y a-t-il de voir un détenu d’une autre origine subir le même sort en Mauritanie ? Kassataya *** Hamady
Ould Abderrahman, né en 1960 à Male (Centre Adminstratif dans la
région du Brakna, sud-est de la Mauritanie), est le plus ancien
détenu de la prison d’Aleg. Sa fréquentation de l’école ne
dura pas plus d’un mois en tout et pour tout. De 1975 à 1978, il
travailla comme jardinier de saison et employé de maison avant de
retourner dans sa région natale où il exerça divers métiers
d’élévage et d’agriculture. En 1984, il est arrêté et accusé
du meurtre d’une jeune fille de son âge qu’il aurait atteinte à
la tête par le jet d’une pierre à la suite d’une altercation.
La jeune fille auarit succombé, un mois après la dispute, des
suites de la blessure mal soignée. Hamady sera jeté en prison en
attendant l’application de la peine de mort à laquelle il fut
condamné. Il y restera jusqu’au 6 novembre dernier daye à
laquelle il sera élargi à la faveur d’une grâce présidentielle.
La Dya (compensation financière, ndlr) a été versée aux
ayant-droits de la victime. Hamady travaille maintenant comme
« blanchisseur » dans un modeste local loué à 4000
ouguiyas où le correspondant du site Al Akhbar l’a rencontré. Al Akhbar (AA) : Quel commentaire à la suite de votre libération survenue après 27 ans de détention ? Hamady
Ould Abderrahman (HOA)
: Je n’ai pas de commentaire à faire à part louer Allah, Le Plus
Grand, et espérer que je puisse vivre le restant de mes jours
entouré de mes enfants pour qu’ils goûtent à l’amour paternel
et pour que je puisse les élever dans le droit chemin sans qu’ils
n’aient besoin de personne. AA : Vous avez été mis en prison en 1984 suite à une plainte pour meurtre dont la justice vous avait reconnu coupable. Etes-vous coupable de ce crime ? HOA
: Il s’est passé que j’avais eu une altercation, dont je ne me
rappelle plus le motif exact, avec cette jeune fille qui avait mon
âge. Je lui avais lancé une pierre et je ne me rappelle plus à
quel endroit de son corps elle l’avait atteinte. Mon intention ne
fut nullement de la tuer. Je ne me rendais pas compte, vu mon
jeune âge, des conséquences de mes actes. J’espère seulement que
je n’aurais pas la mort de cette fille sur la conscience toute ma
vie. AA : Votre procès a-t-il été équitable ? HOA
: A l’époque, je ne pouvais pas bien faire la distinction entre un
procès juste et un qui ne l’est pas. Je me rappelle seulement que
le juge était très en colère contre moi. Et pour cause ! Il
me sortait de prison pendant la journée pour servir dans sa maison.
Je faisais la cuisine, lavais le linge, faisais le ménage de la
maison et préparais le thé. J’excellais particulièrement dans
cette dernière activité qui me plaisait plus que les autres. Le
soir venu, le juge ordonnait que je devais retourner en prison pour y
passer la nuit. Après plusieurs jours de ces lassants
va-et-vient, je demandai au Juge soit de me garder chez lui pour le
servir en continu soit de me laisser en prison en m’exonérant de
ce manège quotidien. C’est alors qu’il se mit en colère et
ordonna, devant mon obstination, qu’on me remette en prison et
qu’on me mette aux fers de façon continue ; il passait à la
prison plusieurs fois par jour pour s’assurer de la solidité des
chaînes qui me liaient les membres. Cinq jours après ce fut le
procès. AA : Comment c’étaient passés vos premiers jours en prison ? HOA
: J’étais apeuré et continuellement terrorisé. J’imaginais
que tout soldat portant une arme avait pour mission de me tuer. Je ne
pouvais pas adresser la parole aux gardes. La vue de la moindre tenue
militaire m’emplissait de terreur. AA : Combien de temps étiez-vous resté dans cet état et comment vous en êtes-vous sorti ? HOA
: Je suis resté dans cet état de prostration un mois durant. C’est
le concours de l’un de mes gardes qui m’en fera sortir. Il
s’appelait Ahmed Ould Babeh. Il était très âgé mais excellait
dans l’art de détendre l’atmosphère en racontant des blagues.
Il ne portait jamais d’arme et taquinait souvent les détenus.
C’est grâce à lui que je pus revenir à la vie pour en commencer
une nouvelle. AA : Quelles furent les particularités de cette nouvelle vie ? HOA
: Ce qui caractérisait ma nouvelle vie était que j’étais sorti
de l’état d’enfermement mental et psychologique. J’avais fini
par accepter ma situation et comprendre que rien ne pouvait plus me
faire sortir de prison. J’avais commencé à me rapprocher de mes
geôliers. Je leur préparais le thé. J’étais persuadé que s’il
y avait une possibilité de sortir de là elle ne pouvait passer que
par le rapprochement avec mes gardiens. Et du coup, une fois les
choses éclaircies dans ma tête, je ne me sentais plus prisonnier.
Il arrivait même que les geôliers me confient la garde d’autres
prisonniers. Ils laissaient parfois leurs armes à ma portée. Ils
m’envoyaient de temps à autres faire des commissions à
l’extérieur de la prison. AA : Avez-vous pensé à vous évader un jour ? HOA
: Jamais ! Pas une seule fois car je savais que cela ne m’aurait
pas déchargé de mon fardeau de façon définitive. AA : Combien de temps avait duré cette période ? HOA
: Jusqu’en 1987 quand je fus approché par le juge Chekroud Ould
Mohameddou. Celui-ci me sortit de prison pour m’amener à la Badya
(la campagne, ndlr) où il me chargea de son troupeau de chèvres
dont je devins le berger officiel et exclusif. J’avais sa totale
confiance. Je lui resterai éternellement reconnaissant pour
m’avoir sorti de prison même si ce fut pour faire de moi son
berger. Je l’appelais « papa ». Il me permettait de
faire quelques séjours parmi les miens. Je restais parfois jusqu’à
deux ans sans retourner en prison. J’y retournais seulement à
l’occasion de la nomination d’un nouveau gouverneur. Le
gouverneur était, en alors, le régisseur des prisons et je devais
donc être là lors de la passation de service pour être
comptabilisé parmi les prisonniers. Cela prenait juste quelques
jours puis je repartais à la Badya. Cette situation avait duré
jusqu’en 2005, date à laquelle Chekroud fut muté d’Aleg. AA : Avez-vous contracté un mariage dans l’intervalle ? HOA
: Oui et j’ai eu deux garçons et trois filles. AA : Votre statut de condamné à mort vous avait-il gêné pendant vos festivités de noce ? Et qui en avait supporté les frais financiers? HOA
: J’étais terriblement gêné. C’est mon épouse qui me
rassurait et qui me répétait qu’elle savait que j’étais
innocent et que même si j’avais été coupable elle m’aurait
quand même épousé. Evidemment cela m’apaisait beaucoup. C’était
le juge Chekroud qui avait payé mes frais de noce. AA : Après 2005 (date à laquelle le juge avait été muté, ndlr), êtes-vous resté en prison ? HOA
: Non, je ne suis pas resté en prison. J’ai été récupéré par
les dirigeants de la garde. De 2005 à 2006, j’ai servi chez le
Commandant Errakani contre un salaire de 25 000 ouguiyas. Puis
j’étais passé au service d’un autre commandant du nom de
Mohamed Ould Oudeyka qui fut très généreux et attentionné à mon
égard. Mais l’année 2007 vit la nomination d’un nouveau
procureur de la République à Aleg. Ce dernier voulait que je vienne
servir dans sa maison. Commença alors une vraie dispute entre les
deux hauts dignitaires qui me valut le retour en prison. J’y suis
resté jusqu’à la promulgation de la grâce présidentielle. AA : Vos proches ont-ils essayé, pendant toute cette période de captivité, de vous faire sortir de prison ? HOA
:
Les miens ne comprennent rien à l’Administration. Ils sont très
limités matériellement. Une fois, ils avaient entrepris des
démarches auprès de la famille Cheikh Sidya qui est
intervenue auprès de la famille de la victime pour lui demander de
retirer sa plainte. Cette dernière avait accepté la proposition
contre le versement de la somme de 800 mille ouguiyas. La famille
Cheikh Sidya avait accepté de réunir la moitié de la somme
demandée mais il y eut des dissensions au sein de ma famille qui
firent que l’autre moitié ne fut pas réunie. A la suite de cette
tentative, on m’oublia en prison. AA : Vous y avez passé les plus belles années de votre jeunesse. Pensez-vous avoir été victime d’une injustice ou que vous méritiez ce qui vous arrivait ? HOA
: Pendant tout ce temps que j’ai passé en captivité, je n’eus
de cesse de me dire : si je suis coupable, pourvu que je paye le
prix fort et si je suis innocent puisse le Créateur de toute chose
se venger pour moi de ceux qui m’ont persécuté. Ce qui est fait
est fait. Il n’y pas de retour en arrière possible. Le jour du
Jugement dernier viendra et, en ce jour là, justice sera rendue. AA : Comment avez-vous vécu vos premiers jours de liberté recouvrée ? HOA
: Pendant trois jours et trois nuits je n’avais fait que pleurer en
rendant grâce à Allah. Je souhaite qu’il me reste suffisamment à
vivre pour voir grandir mes enfants jusqu’à ce qu’ils deviennent
matériellement indépendants de moi. C’est tout ce que je
souhaite. Tout ce que je fais est pour eux. Je ne fais rien pour
moi. Référence :
Interview traduite du site arabophone d’Al Akhbar.
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