Depuis hier soir, deux des trois (*) hommes
d'affaires les plus riches de la Mauritanie sont en prison. Pour la première
fois de l'histoire pénitentiaire du pays, des détenus dorment dans des draps
de luxe et prennent leurs repas dans de la délicate vaisselle tandis que, au
dehors, leurs familles narguent les policiers, à bord de bolides dont le
moins cher coûte 20 millions d'ouguiyas. Les grenades lacrymogènes
disperseront la foule composée, en majorité, de parents et de proches du
dictateur déchu Ould Taya, cousin des prévenus.
Il s'agit donc de Mohamed Abdellahi Ould Abdellahi
(MAOA) et Mohamed Ould Abdellahi Ould Noueigued (groupe AON), auquel il faut
ajouter Abdou Maham, lui aussi incarcéré dans le cadre de l'affaire Sid’El
Moctar Ould Nagi, ancien gouverneur de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM)
; ce dernier a été inculpé hier, avec son adjoint Mohamed Ould Oumarou, le
premier pour "trahison, détournement de fonds, dilapidations de deniers
publics, abus de confiance, faux et usage de faux" et le second au motif
de complicité des mêmes chefs.
Ould Nagi et son adjoint se trouvent à la prison centrale de Nouakchott,
tandis que les trois entrepreneurs passaient la nuit dans les locaux de la
brigade de répression des crimes économiques. L'affaire porte sur la
disparition de 24 milliards d’ouguiyas (environs 70 millions d'euros), virés
de la BCM vers des comptes personnels dans des banques primaires, durant la
période où Ould Nagi dirigeait l’institution.
Selon une source au sein de l'opposition mauritanienne, le Rassemblement des
forces démocratiques (RFD) et le Front national pour la défense de la
démocratie (FNDD) auraient mis en place une commission mixte, afin de suivre
l’affaire et apporter un éventuel soutiens à ces symboles vivants du
népotisme, tant dénoncés hier, durant la dictature de Ould Taya. Plus
surprenant encore, certains prêtent à l’opposant historique Ahmed Ould
Daddah, l’intention de manifester sa solidarité avec les détenus.
Globalement, l’opinion exprime une certaine réserve, voire de la perplexité
face à l’évènement. Autant le credo officiel de la lutte contre la gabegie
semble convaincre la multitude, autant les milieux influents parmi la
composante arabo-berbère réprouvent, en silence, la résolution du Président
de la République Mohamed Ould Abdel Aziz à remuer le couteau dans la plaie de
la compromission collective. La plupart des notables tribaux se sont habitués
à l’évidence du profit tiré de deux décennies de corruption et d’impunité.
Des observateurs moins complaisants constatent que les personnes visées
jusqu’ici par l’opération comptent surtout les adversaires du Chef de l'État,
point ses partisans où ne manquent, pourtant, les individus d’un profil
similaire. Selon d’autres, Ould Abdel Aziz procède par étapes et ne devrait
épargner aucun des auteurs de crimes économiques. La prochaine purge
consisterait au recouvrement rigoureux des impayés fiscaux, rappel qui
renflouerait considérablement le Trésor public et entrainerait la faillite
des plus grandes fortunes du pays.
Mosaïque, de haut en bas et de gauche à droite :
- Mohamed Ould Bouamatou (BSA), le plus nanti de tous, convoqué une
première fois puis décoré par la Président le 28 novembre 2009, ensuite
étrangement "oublié" dans la suite de l'enquête ;
- Abdellahi Ould Noueïgued (AON), longtemps l'homme le plus riche de
la Mauritanie avant d'être supplanté par son ennemis de toujours, Ould
Bouamatou, après la chute de Ould Taya. Son fils est actuellement détenu. Lui
est en convalescence, dans une clinique privée en Espagne ;
- Mohamed Abdellahi Ould Abdellahi (MAOA) dit Chrif, sans doute le
plus malheureux de tous. C'est le seul, des notables fortunés de sa tribu, à
soutenir Ould Abdel Aziz durant la dernière présidentielle mais le Général
n'a finalement pas été dupe.
- Sid'El Moctar Ould Nagi, l'homme par qui le scandale arrive.
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* Les analystes financiers, sollicités par Taqadoumy, classent, dans le
désordre, trois hommes d'affaires, détenteurs de la majorité du capital privé
national : AON, MAOA et le milliardaire Mohamed Ould Bouamatou, propriétaire
de la holding éponyme, Bouamatou Société Anonyme (BSA), proche cousin du
Président Ould Abdel Aziz ; il a été d’ailleurs le principal soutien à sa
consolidation au pouvoir, d’abord par le coup d’état du 6 août 2008 puis
grâce à l’élection présidentielle du 18 juillet 2009.
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