A.H.M.E.

ARTICLE 72 :

 

Nouveaux enjeux de la question Haratine

 

 

Nouveaux enjeux de la question Haratine

 

    La société maure traditionnelle était organisée en tribus dont les éléments étaient affectés dans le cadre d’une spécialisation professionnelle, à des taches particulières. On distinguait ainsi les hommes libres qui se faisaient appelés les Bidans ( les blancs), les esclaves, ( Abides) et des affranchis ( Haratines), appelés par les premiers Soudane ou Khouriyine ( les noirs).

    Ces deux derniers groupes étaient affectés aux taches domestiques, à la garde du bétail et surtout aux activités agricoles.

    Cette structure sociale était, en dépit de sa rigidité théorique, très mobile en fait : les esclaves pouvaient être affranchis, alors que les nobles, guerriers ou marabouts, tombés en déchéance, devenaient tributaires. Contrairement aux sociétés negro-africaines dont les esclaves naissent et demeurent à jamais dans ce statut. Il ne s’agit de consoler personne, encore moins de lui donner bonne conscience, mais de reconnaître un fait souvent tu sous le fallacieux prétexte que maîtres et esclaves sont noirs. Ou alors, certains, sans se rendre à quel point ils sont ridicules, vous disent, qu’ici, l’esclavage est plus « doux » et qu’il ne revêt pas la forme d’une exploitation économique, contrairement à celui qui sévirait en milieu maure, qui serait plus inhumain, plus cruel. Ils oublient ou feignent d’oublier que nous condamnons l’esclavage non pas parce qu’il justifie telle ou telle exploitation économique, mais parce qu’il représente la plus abominable négation de l’homme que l’islam -bien qu’il
    n’ait pas été compris et suivi par les musulmans eux mêmes dans ce sens-et l’humanisme occidental, dont on sait que la démocratie et les principes des droits de l’homme en sont issus, ont érigés au centre de la création.

    Entretenu par une mentalité archaïque, elle même fondé sur une interprétation obscurantiste et intéressée de l’islam, et en dépit de l’action émancipatrice des idées de liberté introduite paradoxalement par la colonisation française, l’esclavage a perduré sous sa forme primitive jusqu’à la fin des années 1970.

    Cette époque était marquée en Mauritanie par l‘ouverture a une vie politique intense alimentée notamment par la pénétration de toutes les idéologies que la gauche et la droite française ont semés en Afrique francophone. Il faut aussi mentionné les idées venues d’orient grâce aux premiers étudiants arabophones du pays.

    Socialistes, libéraux, nationalistes, arabes ou negro-afriacains, ils n’ont jamais pris en charge la problématique haratine dans sa spécificité, la diluant dans la notion vague et generale de l’exploitation de l’homme par l’homme. Les socialistes et les libéraux mauritaniens eurent à son égard la même attitude d’indifférence : le temps, incarné pour les premiers par le mouvement ou les Lois de l ‘histoire, pour les seconds par la providence, devait conduire inéluctablement à la disparition de l’esclavage, sans que nous ayons besoin d’entreprendre la moindre action pour cela. Quant aux nationalistes, arabes ou negro-africains, ils se disputaient en vue de déterminer leur vocation identitaire dans la perspective maligne de leur faire assumer un combat qui n’est pas le leur et dans lequel, nous le savons maintenant avec le recul, la Mauritanie et la seule perdante.

    C’est dans ce contexte qu’est né, le 5 Mars 1978 le mouvement EL HOR, d’après un document publié le 5 mars 1993 à Nouakchott et intitulé « les haratines (contribution à une compréhension juste de leur problématique »).

    Les hommes qui sont à l’origine de cette levée héroïque sont tous issus de cette couche et sont les premiers de ses enfants à avoir accéder à une scolarisation moderne.
    C’est ce qui explique probablement qu’ils aient eu la responsabilité et la volonté de rompre ce silence coupable et complice à l’égard d’une institution qui n’est plus dans l’air du temps. Religieusement condamnable et humainement inacceptable, la seule façon de la combattre était de la dénoncer ouvertement et d’œuvrer en vue de sa disparition. Les animateurs de ce mouvement, d’après la charte qui était à la base de leur action sociale, se donnaient pour objectif « la libération et l’émancipation des Haratines ». Et contrairement à l’idée qu’on a tenté d’accréditer à leur égard, ils ne « s’attaquent pas aux hommes sur la base de leur race, de leur couleur, ou de leur origine sociale ou ethnique ».

    Nous ne pouvons pas dire, comme le prétendent certains, que les leaders d’ El’Hor ont entièrement échoués dans leur mission pour une raison simple : ils ont introduit la question Haratine dans le débat politique, obligeant ainsi les acteurs de la scène politique à la prendre en considération, à l’inscrire, dans les préoccupations nationales. Aucun homme politique sérieux, sincère ou démagogue, ne peut l’évacuer du débat national aujourd’hui.

    Néanmoins les contradictions, liées aux ambitions personnelles, à l’orgueil, à la recherche de l’intérêt et aux manipulations du pouvoir en place ont fini par aboutir à leur division. Cela explique sans doute les limites de leur bilan et la naissance de deux camps diamétralement opposés à propos de la question servile. L’un estime qu’il n’est plus légitime de parler de l’esclavage, car, selon eux, il n’en reste plus que des survivances qui seront vite surmontés, presque sans effort. Tandis que l’autre camp soutient que rien n’a pratiquement changé et la dénonciation de ce phénomène doit se poursuivre jusqu’à la libération du dernier esclave.

    Toutefois, un observateur, moins compromis que les uns et les autres se rendra compte sans peine des énormes transformations qui s’opèrent autour de nous, sans qu’elles aient été d’ailleurs toutes la conséquence de l’action volontariste des hommes politiques. En s’épuisant dans une querelle aussi stérile qu’inutile, tel que « l’esclavage existe » ou
    « n’existe pas », les leaders haratines ne se rendent pas compte que les enjeux de la question se sont déplacés.

    L’esclavage est un état de fait non un état de droit. Et de fait les Haratines sont
    aujourd’hui en majorité installés dans les villes et donc ont des difficultés propres à la vie urbaine : ils souffrent surtout de la misère, du chômage, de l’insalubrité, de l’analphabétisme, du manque de promotion social et politique non de l’absence de liberté, en tant que telle. Il n’est pas question de minimiser le sort de ceux qui sont confrontés à cette tare, encore moins de les oublier. Mais la dénonciation ostentatoire et intempestive d’un phénomène en voie, peut être très lente, mais certaine de disparition ne doit plus se faire aux dépens du droit à la revendication pour le partage équitable des ressources économiques, des décisions politiques et administratives. Et d’ailleurs, la dénonciation du phénomène, ici à Nouakchott,
    n’a pas d’effet sur la réalité qui prévaut sur le terrain, en brousse et à l’intérieur du pays.

    Parmi les facteurs qui expliquent ces transformations, on doit citer en premier lieu les effets de la sécheresse qui a démarré 1968. En détruisant le cheptel et en compromettant toutes le conditions de possibilités d’une activité agricole rentable, elle n’a laissé aux ruraux, maîtres et esclaves, qu’un seul choix : aller s’installer dans les villes dans l’espoir de bénéficier de l’aide de l’Etat. Mais la situation est particulièrement plus tragique pour les nouveaux affranchis dans la mesure ou ils n’ont bénéficiés d’aucunes assistances ni d’une solidarité ; contrairement à leurs anciens maîtres, mieux insérés, par cousins interposés, dans les structures du pouvoir.

    Il faut mentionner aussi l’environnement institutionnel et juridique : les deux constitutions, celle de 1961 et de 1991 et l’ordonnance du 5 juillet 1980 abolissant l’esclavage. Si nous pouvons soutenir avec certains que la réforme foncière de 1983, qui était censée représenter une mesure d’accompagnement à l’ordonnance évoquée ci-dessus, n’a servi en fait qu’à permettre à des nobles et à des hommes d’affaires d’acquérir de vastes domaines agricoles, nous connaissons, en revanche, des exemples de libérations inspirées, justifiées et soutenues par la constitution de 1961.

    La scolarisation massive au début des années 1980, les contestations syndicales, les pressions internationales et, en dépit de ses limites, l’action de sensibilisation du mouvement El Hor, ont joué un role non négligeable dans la libération des Haratines.

    Mais la réalité et là, cruelle, dure, amère et aveuglante : les Haratines occupent toujours la périphérie des villes, ont du mal a scolariser leurs enfants, sont absents des centres de décisions politiques, administratives et militaires, ne comptent, à notre connaissance, aucun homme d’affaire digne de ce nom et les Chambres parlementaires du régime déchu ne reflétaient nullement leur poids démographiques. Même si une telle idée a pu traverser l’esprit de tel ou tel individu, à tel ou tel moment, il serait malhonnête d’y voir une conspiration concertée de tous les Bidanes de les maintenir dans une telle situation. Mais on ne peut pas ne pas en relever l’injustice.

    La récente restructuration du pouvoir le 3 Août 2005 suscite un espoir légitime dans la mesure ou le Comite Militaire qui la initiée s’est engagé à placer le pays sur la voie de la Justice et de la Démocratie au cour d’une période de transition initialement prévu pour 2 ans, mais qui vient d’être écourtée de 5 mois.

    Certains voudraient que cette période soit consacrée essentiellement à une reforme constitutionnelle et politique, notamment la refonte de l’Etat, le renforcement de la démocratie, la relance économique et la redistribution plus équitable des richesses du pays.

    Vision aristocratique, probablement conforme aux intentions du CMJD, elle appelle les observations suivantes : comment assurer l’indépendance d’un Etat qui apparaît comme un instrument aux mains et au service d’un groupe particulier ? comment renforcer la démocratie si on n’intègre pas les efforts de toutes les couches de la société ? cela est tout aussi important que l’équilibre des  pouvoirs, de la neutralité de l’administration et la responsabilité des acteurs politiques.

    En ce qui concerne l’esclavage, c’est –à- dire le fait qu’un homme (ou une femme) soit la propriété d’un maître, représentant un travail économique et, en tant que tel, constituant une valeur marchande, susceptible d’être vendu ou cédé, il n’est pas aussi marginal qu’on le pense, mais il n’est plus le résultat d’une contrainte extérieure visible. Si un homme (ou une femme) accepte d’être vendu ou cédé aujourd’hui, c’est qu’il est quelque part consentant, mais sans doute par ignorance. Dans ce cas précis, c’est sa mentalité qu’il est nécessaire de « libérer ». Elle est façonnée par une idéologie séculaire qui a consister a lui faire croire que sa soumission à un maître est conforme à la volonté de Dieu et que toute soustraction ou rebellions à cette disposition divine conduit son auteur inéluctablement, dans l’au –delà, en enfer.

    En plus du temps et de la scolarisation, seule une sensibilisation menée par des intellectuels et surtout des Oulmas, à travers des émissions à la radio et à la télévision est en mesure de le persuader que cette institution n’a plus de raison d’être dans une société totalement islamisée.

    La légalité de l’esclavage chez nous et fondée, d’après une partie des nos Oulmas, sur les enseignements du Saint Coran. Or il nous semble que se sont les intentions, les idéologies et les valeurs défendues par le législateur qui orientent ses recherches et déterminent ses conclusions. S’il est esclavagiste, consciemment ou non, il trouvera certainement un certain nombre de considération dans le Saint Coran qu’il assimilera à une justification de ses préoccupations ; et il se présentera alors comme un fidèle orthodoxe qui ne peut pas interdire ce que Dieu a permis. Si par contre il part de l’idée d’égalité, de justice et de liberté entre individus de même croyance, il y trouvera sans peine suffisamment de versets pour soutenir son idéal.

    Aucun texte, profane ou sacré, ne peut enchaîner la liberté de l’homme qui s’exprime par la diversité des interprétations en fonction des situations concrètes. Aussi devons-nous interpréter le Saint Coran dans le sens de sa vocation première, l’égalité et la liberté entre les hommes qui ne doivent se soumettre qu’à l’Autorité de Dieu Créateur Unique de l’univers.

    Du reste, même si l’islam, comme les autres religions révélées, a toléré l’esclavage, il ne s’ensuit pas que celui qui a existé ici, soit légal d’un point de vue islamique. Il n’a pas été établi en fonction des règles censées le « valider » ; parce qu’il est historiquement largement antérieur à la religion qui devait le « légitimer ».

    Que peut –on et que doit-on demander à un Etat dans ce sens ? c’est de susciter la liberté entre les citoyens, d’en créer les conditions et, au besoin, de la défendre. Non de provoquer, par ses agissements, même s’ils sont motivés par de nobles sentiments, les troubles, l’instabilité et la guerre civile.

     

    R’CHID OULD MOHAMED

     

 

 

 

  Retour