A.H.M.E.

ARTICLE 65 :

 

L'arabisme : un nationalisme sans nation ?

 

 

L'arabisme : un nationalisme sans nation ? par Masri Feki

     

    Pendant longtemps, on a réservé, parmi les Arabes eux-mêmes, ce nom à ceux qui se rattachaient initialement à une des tribus peuplant la péninsule arabique et ses alentours immédiats avant l’expansion islamique.

    Il y avait pourtant de plus en plus d’arabisés, au plan linguistique, qui ne pouvaient se prévaloir de cette origine et qui durant des siècles n’étaient pas perçus et ne se considéraient pas comme des Arabes.

    Pourquoi aujourd’hui, tous ceux qui font usage de la langue arabe seraient-ils considérés comme des Arabes ?

    Si l’arabisme impose le critère de la langue comme universellement valable (tout comme l'islamisme impose le critère de la religion), tous les arabophones ne sont pas des adeptes de l’idéologie panarabe (de même que tous les musulmans ne sont pas des partisans de l'islam politique).

    Certes, une langue commune est un facteur d’unité capable de rapprocher les membres disparates d’une nation donnée. Mais tout comme la religion n’est pas la caractéristique d’une ethnie, la langue n’est pas un critère objectif suffisant pour créer une nation.

    De nombreux peuples dans le monde partagent une même langue sans pour autant constituer une seule et même nation. En réalité, les Égyptiens ne sont pas plus arabes que ne sont espagnols les Mexicains et les Péruviens. Ils ne sont pas plus arabes que ne sont anglais les Américains, les Australiens ou les Africains du Sud. Ils ne sont pas plus arabes que ne sont français certains peuples d’Afrique noire.

    Ce qui fonde en réalité la nation, c’est la référence à une entité géographique, le partage de mêmes valeurs, une communauté de convenances politiques, d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et de rêves communs. A contre-courant de toutes les expériences nationalistes venant couronner des faits nationaux, objectifs et observables, le nationalisme panarabe est plus le créateur que la création de la nation arabe.

    Le panarabisme veut que les pays où sont majoritaires des arabophones fassent partie d’un espace arabe unifié et que toute personne arabophone, en dépit de ses références culturelles et de ses accrétions historiques, se déclare arabe, sans équivoque ni réserve.

    Cette conception arbitraire de la nation qui veut que l’on soit arabe malgré soi, pour la simple raison que l’on fait usage de la langue arabe met à l’écart d’importants récits historiques et de légitimes revendications nationales prônés par des dizaines de millions de minorités non-arabes marginalisées au sein d’un Moyen-Orient majoritairement arabophone.

    C’est sans doute l’expression la plus significative du caractère impérialiste et prosélyte du nationalisme panarabe.

    Au moment où émergeait pour la première fois, à la fin du XIXème siècle, un mouvement national arabe, il comprenait - pour ceux qui s’en faisaient les chantres - la péninsule arabique et le Croissant fertile, mais non l’Égypte qui n’était pas encore considérée comme un pays arabe.

    Il a fallu attendre le coup d’État de Nasser pour que les Égyptiens apprennent qu’ils étaient arabes ! Aujourd’hui, au sein de cette fantaisiste nation arabe représentée par la Ligue des États arabes, on compte les différents pays d’Afrique du Nord dont la composante berbère est souvent réprimée par la force, mais aussi des pays africains dont les habitants ne sont même pas arabophones comme la Somalie, Djibouti et les îles Comores !

    Cette conception aberrante de l’identité, qui porte préjudice à l'image des Arabes, est en totale contradiction avec les grandes valeurs arabes et ne représente aucunement les revendications de la mosaïque culturelle, ethnique, religieuse et linguistique qu’a toujours été le Moyen-Orient.

    Néanmoins, les élites intellectuelles arabophones du début du siècle dernier, qui cherchaient à se défaire de l’emprise d’un Empire ottoman à l'agonie – ainsi que les puissances mandataires (le Royaume-uni et la France) qui faisaient cause commune avec ces nationalistes contestataires – ont trouvé dans le nationalisme arabe une réponse simpliste aux revendications identitaires de cette mosaïque de peuples et de cultures que représente le Moyen-Orient.

    Cela n’a pour autant pas apporté de solutions équitables aux différents conflits qui continuent à déchirer la région.

    Les massacres et l’arabisation forcée des populations kurdes en Irak et en Syrie, la persécution permanente des minorités coptes en Égypte, assyriennes et chaldéennes en Irak, le harcèlement continu des dernières communautés juives des pays arabes de la région (Yémen, Syrie, Irak), et le recours à la violence, l’intimidation et la négation culturelle à l’encontre de toute minorité qui refuse d'être à la botte du panarabisme exprime le chauvinisme belliqueux de cette idéologie défaillante.

    Ce n’est pas pour autant qu’il faut rejeter la légitimité de l’identité arabe.

    Le nationalisme arabe (l’arabisme) n’est pas illégitime en soi, mais la définition extensive qu’il revendique (le panarabisme) et le dirigisme culturel restrictif qu’il soutient, dénient les identités nationales des peuples non-arabes qui ont adopté l’arabe comme langue nationale, mais aussi de ceux qui ne l’ont pas adopté (les Kurdes, les Turkmènes…).

    Si l’intervention militaire en Irak et le renversement de la dictature ultra-nationaliste de Saddam Hussein a apporté un quelconque résultat positif, hormis le déclenchement timide
    d’un processus politique démocratique, c’est sans doute le dévoilement de la grande diversité confessionnelle, ethnique et culturelle du Moyen-Orient qui demeure une réalité résiliente.

    Apprendre à accepter "l'autre" avec sa différence et son identité est le défi que doivent affronter les nationalistes arabes.

    Masri Feki* © Al-Seyassah (Koweït) du 4 août 2007 - traduit de l’arabe pour Primo par Nadine Makram
    Consulter la version originale
    : www.alseyassah.com/alseyassah/view.asp?msgID=16193


    *Né au Caire, Masri Feki, membre de Primo, est président de l’Association Francophone
    d’Etudes du Moyen-Orient et auteur de nombreuses publications sur le Moyen-Orient, dont
    « L’Axe irano-syrien, géoplitique et enjeux », Editions Studyrama, Paris, juillet 2007.

     

     

 

 

 

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