Incinération
des livres malékites : un nouveau départ pour Haratins et Beydanes
?
J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt et
attention la polémique récente suscitée par l’incinération des
livres malékites dans mon cher pays. Cet acte qui a fait couler
beaucoup d’encre et ne cesse de faire écho dans les medias
publiques. Il est évident que cet acte de Biram Ould Abeidi,
président de l’IRA (l'Initiative pour la résurgence du mouvement
abolitionniste), ne fait pas l’unanimité en Mauritanie.
En effet, l’opinion nationale s’est
divisée en deux camps : ceux qui sont pour et ceux qui
sont contre. Personnellement, j’étais fortement frappé par
l’instrumentalisation et la politisation du débat autour de cette
affaire, voire sa monopolisation par les extrémistes des deux côtés.
D’un côté, des multiples voix se sont levées réclamant la tête
de Biram en l’accusant de blasphème et une atteinte grave à
l’Islam sans précédent dans l’histoire de la Mauritanie. D’un
autre côté, il y a ceux qui voient dans le personnage de Biram un
héros, longuement attendu, qui est capable de mener la cause des
Haratins à la terre promise.
Dans cet article très court, je ne vais pas
revenir sur la dimension religieuse de cette affaire, car je n’ai
pas le temps ni assez de bagage intellectuel qu’il faut pour
pouvoir l’aborder. De même, je ne cherche pas à blâmer Biram
pour son geste ni à jeter des fleurs à l’IRA. Cependant, je
cherche tout simplement à m’interroger sur les changements
et les répercussions que cette affaire peut engendrer dans les
rapports entre les Harratins et les Beydans. Autrement dit, je me
pose les questions suivantes : cet autodafé peut- il
changer les regards méprisants que certains Maurs portent
contre certains Harratins ? Peut-il nous forcer à voir
l’éléphant dans la pièce (la triste réalité de
l’esclavage) dont on refuse toujours de parler, particulièrement
dans nos moments de détente autour des tables de thé dans les
maisons et sous les tentes ? Quelles sont les leçons qu’on peut en
tirer pour bâtir des liens, entre ces deux groupes, fondés sur la
franchise et la reconnaissance du fait que les Harratins ont goûté
à toutes les amertumes de la traite négrière sub-saharienne, à
savoir la dislocation des familles, la torture, l’humiliation, la
marginalisation et l’exclusion ? En effet, tout cela s’est
passé et se passe encore au vu et au su de tout le monde et
avec la bénédiction ou la complicité par silence de certains
grands ulémas (érudits) Maurs. Bref, cet évènement peut-il servir
de tremplin dans l’harmonisation et l’amélioration des relations
entre ces deux communautés : Haratins et Beydans ?
Je dirai « OUI ». Cet
évènement peut bien servir comme nouveau départ dans le
rétablissement des liens pacifiques et harmonieux entre
Haratins et Beydans ; mais à une condition : que les uns
et les autres acceptent de regarder la réalité en face et de
conjuguer des efforts pour pouvoir éradiquer toutes pratiques
esclavagistes dans la paix et la sérénité. A mon humble avis,
cette expérience est une occasion idoine pour enfin avoir un débat
sincère et franc autour de la problématique Haratins. Dans cette
intention, j’estime qu’il est grand temps pour les
Maurs d’assumer pleinement leur part de responsabilité, « en
rendant à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à
Dieu », en payant leur dette envers les Harratins et en se
rachetant de leur grand péché originel (l’esclavage). Pour
cela, je pense qu’il est grand temps que l’Etat
mauritanien dans un premier temps brise son silence sur la
persistance des pratiques esclavagistes et s’engage fermement à y
mettre fin. Ensuite, l’Etat doit présenter des excuses publiques
les plus sincères aux Harratins et verser des compensations aux
victimes de l’esclavage. Et pour préserver réellement l’unité
nationale et la cohésion sociale, il est important de mettre en
place une politique de « discrimination positive », avec
des objectifs fixes et des programmes concrets, visant à aider les
ex-esclaves et les actuels esclaves à trouver leur place propre dans
la société.
Bien évidemment, tout cela ne peut pas se
faire sans le soutien et la bénédiction de tous les mauritaniens, y
compris les universitaires, les politiciens, les chefs de tribus, la
société civile, et surtout les ulémas. Enfin, il faut aussi que la
jeune intelligentsia des Harratins prenne sa responsabilité en
montant au créneau pour réclamer ses droits et dénoncer toute
pratique esclavagiste. Car l’histoire de l’humanité nous
enseigne que les droits du peuple opprimé ne se donnent pas mais
qu’ils s’arrachent!
Khaled Ould Mohamed Ould Esseissah
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