ARTICLE 512 :

 

             Une propriétaire d'esclaves et des militants des droits de l'Homme condamnés en Mauritanie

18/01/2011

Les récentes condamnations de trois militants et d'une propriétaire d'esclaves ont ranimé un vieux débat sur la persistance des pratiques esclavagistes en Mauritanie.

Par Mohamed Yahya Ould Abdel Wedoud à Nouakchott pour Magharebia



Un tribunal de Nouakchott a condamné dimanche 16 janvier
Oumoulmoumnine Mint Bakar Vall à six mois de prison pour avoir tenu en esclavage deux fillettes, âgées de 10 et 14, dans le quartier d'Arafat de la ville.

La semaine dernière, trois militants des droits de l'Homme se sont vus condamner à six mois de prison pour avoir participé à une manifestation non autorisée dans la même affaire.

Le verdict prononcé à l'encontre des défenseurs des droits de l'Homme, parmi lesquels le président de l'Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), Biram Ould Dah Ould Abeid, se fonde sur des accusations de rassemblement et de perturbation de l'ordre public, ainsi que d'usage de la violence envers des policiers.

Ould Abeid a raconté l'incident devant le tribunal, affirmant que ce qui s'était produit était une tentative de monter une histoire de toutes pièces à l'encontre de ces militants. Selon le président de l'IRA, ils ne s'étaient pas rassemblés, mais s'étaient rendus auprès des autorités administratives, comme le font généralement les militants dans les affaires liées à l'esclavagisme.

"Nous sommes allés voir le commissaire. Nous étions quatorze. Nous sommes entrés dans les locaux de la commission. Le commissaire n'a montré aucun signe de mécontentement. Il a envoyé certains membres de son personnel avec nous sur le site du délit. Nous avions l'impression que nous serions emmenés, en compagnie des victimes et de l'accusée, voir la police du palais", a-t-il déclaré.

"Mais le personnel du commissaire nous a ramené à la commission d'Arafat. Dès notre arrivée, les membres de cette commission s'en sont personnellement pris à moi. Certains de mes collègues ont tenté de me protéger. Mais la police leur a lancé des bombes lacrymogènes et m'ont forcé à entrer dans les locaux de la commission. J'ai été frappé à la tête et sévèrement battu", a-t-il ajouté.

Ould Abeid s'interroge sur les intentions des forces de sécurité.

"Cette affaire aurait pu être traitée de la même manière que les autres affaires d'esclavage qui ont été mises à jour. Nous apportons notre soutien aux victimes. Lorsque ces affaires passent devant le juge, elles sont toujours bouclées par le procureur. Mais la commission d'Arafat avait des intensions cachées."

Ould Abeid a réfuté l'idée que son organisation ait recours à la violence. "Nous nous fondons plutôt sur la vérité et le soutien aux personnes faibles. Les autorités officielles composent avec notre organisation ; elle n'a jamais été interdite."

A la lumière des récents évènements, le président de l'assemblée nationale Messaoud Ould Boulkheir a exprimé vendredi son inquiétude de voir le pays revenir à une époque qu'il avait surmontée dans le passé.

"Le pays a été assez perturbé en découvrant le cas de deux fillettes mineures tenues en esclavage dans la province d'Arafat. Cet incident a été avivé par le mauvais traitement de la part des autorités de l'Etat et du système judiciaire, dans la mesure où des militants des droits de l'Homme ont été arrêtés et emprisonnés, au lieu de poursuivre les esclavagistes. Nous espérons que cet incident ne marquera pas le début du retour à une époque que nous pensions être révolue", a-t-il déclaré lors de la session du parlement.

Ould Boulkheir a également demandé au Président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz de prendre des mesures pour mettre fin à "ce regrettable épisode".

Pour sa part, le Président a déclaré jeudi 6 janvier aux députés que le président de l'IRA était venu le voir plusieurs fois pour lui demander un travail. "Les gens ne peuvent avoir recours à la violence s'ils cherchent un emploi et ne le trouvent pas", a déclaré Abdel Aziz.

Le Président s'est refusé à intervenir et à résoudre le problème.

S'adressant à Magharebia, Salem Ould Teivour, le père de l'une des deux fillettes d'Arafat, a réfuté que les jeunes filles aient été détenues ou utilisées comme esclaves.

Il a ajouté qu'elles étaient venues à Nouakchott "pour étudier et qu'elles demeuraient dans la maison d'Oumoulmoumnine. Naturellement, elles l'aidaient pour les travaux ménagers. Elles étaient en famille et ne ressentaient aucune discrimination à leur égard."

Ould Teivour a souligné les fortes relations liant les deux familles, ajoutant qu'il savait que les filles étaient présentes dans la maison en question. Il a par la suite menacé de poursuivre en justice Ould Abeid et l'IRA pour atteinte physique et morale.

Pour sa part, le directeur de l'ONG SOS Esclaves Boubacar Ould Messaoud a tenu une conférence de presse, dimanche, au cours de laquelle il a condamné la détention des militants.

"Cela ne nous empêchera pas de poursuivre la lutte, même si nous devons être battus ou tués. Nous continuerons à dénoncer l'esclavagisme et réaffirmerons son existence aussi longtemps qu'il perdurera", a-t-il déclaré.

Les associations locales des droits de l'Homme et les instances internationales de contrôle montrent de manière constante l'existence de pratiques esclavagistes en Mauritanie. Ce qui est nouveau cette fois, c'est l'usage de la violence contre des militants des droits de l'Homme, ce qui a ravivé le débat sur ce problème dans le pays.

Selon le professionnel des médias Jamal Ould Amar, l'esclavage, sous sa forme classique, n'existe pas en Mauritanie.


"Ce qui à mon sens existe, c'est une forme déguisée de l'esclavage, par suite des problèmes économiques que connaissent certaines familles qui envoient leurs enfants travailler ou les louent pour s'assurer des moyens de subsistance et se débarrassent ainsi de la charge financière qu'ils représentent, ou du fait d'obligations morales, selon lesquelles certaines personnes sont subordonnées à d'autres. Ces deux raisons entraînent une large couche de subordonnés et une petite catégorie de personnes qui contrôlent", a-t-il expliqué.

"C'est ici qu'intervient le rôle de l'Etat, des érudits musulmans, des militants des droits de l'Homme et des professionnels des médias, pour aider cette classe de subordonnés réduits à l'esclavage financier et moral, de manière à ce qu'ils puissent se débarrasser de leurs chaînes", a-t-il ajouté.

La Mauritanie a interdit l'esclavage en 1984. En 2007, le gouvernement a adopté une loi qui impose une amende de 200 000 à un million d'ouguiyas contre quiconque est reconnu coupable de trafic d'êtres humains. Malgré ces mesures, l'esclavage est "encore un problème épineux", selon le militant des droits de l'Homme Mohamed Abeidy Cherif.

"Ces lois restent sans valeur", affirme-t-il.

Ce contenu a été réalisé sous requête de Magharebia.com.

 

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