ARTICLE 497 :

  

 

Si certaines pratiques du FLAM étaient nuisibles à la lutte ?



J’ai longtemps hésité à écrire cet article pour éviter une polémique stérile. Mon but n’est pas de susciter une confrontation vaine mais d’être constructif. J’ai donc pensé prendre ma responsabilité.

Depuis un certain nombre d’années, j’observe un phénomène curieux qui est que le FLAM (ou en tout cas certains de ses membres) combat des Noirs qui luttent et qui ne partagent pas toutes ses valeurs ou qu’il ne maintient pas sous sa coupe. Je dis souvent à des amis mauritaniens qu’ils font le travail du pouvoir à sa place. Certaines pratiques du mouvement ont participé à diviser, exclure, freiner l’efficacité de la lutte.

Pourquoi le fait d’être noir impliquerait nécessairement un alignement sur la ligne politique du FLAM ? Ensuite, quel est l’intérêt qu’a le FLAM à s’en prendre à ses propres frères militants qui ne le combattent pas mais dont le seul tort est d’avoir une autonomie de pensée.

Je pense qu’une société est riche de sa diversité, il en est de même pour des mouvements de lutte. Une pensée uniforme est toujours dangereuse et est signe de médiocrité collective. On peut ne pas être d’accord sur tout mais accepter que l’on partage certaines idées.

A mon avis, le champ mauritanien se caractérise par sa banalité et son ignorance. Ainsi, ce sont surtout les sentiments qui prennent le dessus sur la rigueur intellectuelle. Cela se traduit au quotidien par le fait que chacun peut prétendre à tout quel que soit son niveau. La parole, le m’as-tu-vu prennent une place importante sans que des actes ne suivent.

Aussi, le fonctionnement en groupe où l’individualité a très peu de place pose un réel problème. Il est difficile de faire avancer une société où l’individualité créatrice est étouffée : être différent est très mal compris dans le milieu mauritanien. Or, toutes les sociétés ont  progressé grâce  au courage et au génie de certaines personnes et l’acceptation de la différence. L’idée n’est acceptée dans cet environnement que lorsqu’elle émane de certaines personnes ou est l’objet de consensus souvent affectif et non critique.

Le FLAM est le reflet de la société mauritanienne et particulièrement haalpulaar actuelle. La singularité y est mal  perçue. On avance en troupeau. La rumeur, les idées préconçues, les jugements hâtifs de chaque individu se répandent vite et figent l’identité de la personne qui en est la  victime. On n’a pas encore intégré que l’être, l’autre est une énigme. L’esprit d’Emmanuel Levinas[1] n’a pas encore gagné du terrain dans ce milieu. On n’a guère assimilé que « rencontrer un homme, c’est être tenu en éveil par une énigme. » Ainsi, les âmes singulières sont considérées comme des marginaux.

Je pense qu’il est de l’intérêt d’un peuple d’avoir des pensées différentes. Le FLAM doit  intégrer que ceux qui ne sont pas de sa ligne politique ne sont pas  nécessairement ses ennemis et  qu’au contraire ils partagent certaines idées avec certains d’entre eux. D’autre part, son ennemi ne doit pas être un militant harratine ou négro-mauritanien ou même maure progressiste mais le système politique mauritanien. Il a plus intérêt à rassembler qu’à dépenser son énergie à diviser, à écraser des individus. A mon avis, leur attitude dénote d’une faiblesse, car il est plus facile de chercher à abattre un militant, de s'acharner contre un acteur politique harratine ou négro-mauritanien que de lutter contre les pratiques du Général Aziz. Il est plus facile de trouver jouissance dans des attaques personnelles que de faire tomber la tour du Général. Il aussi plus aisé de diriger son énergie contre des personnes que des créer un mouvement ayant une véritable assise populaire capable de faire front aux pratiques du système.

Un jour, j’ai entendu dire, de la part de Halpulaar, se prétendant militants, parlant de Birame, «Nous ne voulons pas d’un Harratine comme dirigeant ! ».  Il s’agit là d’une bêtise.

 Un ami poète camerounais dit que les Africains sont dans une logique d’échec collectif. On ne doit pas combattre des gens qui font des choses, qui réussissent à poser des actes mais les soutenir.  Malheureusement, de nombreux militants noirs croient exister dans l’abattage de l’autre. Il suffit de lire ce que les uns écrivent sur les autres pour voir la teneur de la violence des relations. Je crois qu’il est temps que l’on sache qui est vraiment l’ennemi du peuple.  L’ennemi du peuple n’est pas les  Harratine ou des Négro-mauritaniens indépendants d’esprit, des Maures victimes,  mais un système politique.

Une autre question mérite que l’on y prête attention. Je ne comprends pas pourquoi certaines personnes ne veulent pas qu’il ait un rapprochement entre la lutte harratine, des dominés d’une manière générale,  et la lutte négro-mauritanienne. Luttent-ils pour la justice ou pour autre chose ?  

A force de réfléchir, il me semble que la lutte négro-mauritanienne est une lutte pour l’accès au pouvoir et non un combat pour les droit civiques. Ce qui explique que les mouvements négro-mauritaniens n’aient jamais condamné avec véhémence l’esclavage. En fait, cette lutte est fortement marquée par la féodalité négro-mauritanienne. Les Négro-mauritaniens appartiennent à une société féodale.  Ils veulent le pouvoir comme les Maures mais se soucient peu de l’égalité des citoyens. En réalité, la lutte négro-mauritanienne cible le racisme d'État. Les questions relatives à l’égalité des citoyens ne l’intéressent guère.  Les sociétés négro-mauritaniennes sont inégalitaires, divisées en castes. La féodalité maure et négro-mauritanienne tient les rênes du pouvoir  en Mauritanie. Ceux issus des basses couches en sont marginalisés. On peut donc comprendre que la question de l’égalité des citoyens ne soit pas prise en charge dans la lutte négro-mauritanienne.

Il est peut-être temps de changer de registre, de saisir que la lutte doit être celle des droits civiques et de l’égalité des citoyens. Tant que l’on n’aura pas compris cette dimension de la question, les problèmes vont continuer à se poser. C’est une illusion que de fermer les yeux sur une réalité. La Mauritanie est un pays où la notion de l’égalité n’est pas intégrée. La  lutte des Noirs, comme celle des Maures dominés, doit être celle de l’égalité et non  de la défense de communauté inégalitaire.

Le changement en Mauritanie ne peut se faire sans tenir compte des effets dévastateurs que l’esprit féodal fait peser sur le fonctionnement de l’Etat.

« Au sein des sociétés maure, négro-africaine et harratine les êtres humains ne sont pas égaux. Et entre ces communautés, il existe une hiérarchisation dans le rapport au pouvoir. Les  féodaux maures sont les premiers bénéficiaires du système, suivent les  féodaux négro-mauritaniens et en bas de l’échelle les Harratine. En ce qui concerne cette hiérarchie, Maures et Négro-mauritaniens sont d’accord.

Chez les Maures et les Négro-africains, la société repose sur des castes. Les deux féodalités se sont souvent alliées pour profiter du pouvoir. On voit donc aisément comment la féodalité négro-africaine a été complice de la domination des Maures. Un exemple : Pendant les événements  de 1989. Pour être prudent, dans certains villages, pour ne pas dire dans de nombreux villages, le tri des déportés s’est fait en fonction de l’appartenance à des castes. Certains féodaux ont fait croire aux Maures qui déportaient que certains Négro-mauritaniens étaient des Sénégalais. De nombreuses personnes issues de la féodalité négro-mauritanienne se sont alliées avec Mawiya Ould Sid Ahmed Taya entrainant avec elles leurs vassaux. Ce sont aussi celles issues des classes supérieures négro-africaines qui se sont présentées comme candidats aux élections. Je peux multiplier les exemples.

Un autre exemple me parait intéressant. Les luttes féodales traversent les mouvements politiques négro-mauritaniens. J’ai mis du temps pour le comprendre. Mais certains comportements qui ont empêché de faire progresser la lutte à Paris sont dus à la gestion féodale de ces mouvements.

L’impact de l’esprit féodal sur le sort des Harratine est évident. Ce n’est pas pour rien que la question harratine n’a pas été prise en compte par les Négro-africains.  Les sociétés négro-africaines sont elles-mêmes divisées en castes et les êtres ne sont pas reconnus comme égaux. Le statut d’esclave n’est pas une chose outrageante. On connaît même le mépris des Négro-africains à l’égard des Harratine. On peut donc comprendre pourquoi les Harratine n’ont pas bénéficié du soutien des Négro-mauritaniens.

 La féodalité doit être combattue pour plusieurs raisons : En Mauritanie, c’est elle qui a le pouvoir. Ce n’est pas le mérite de l’individu qui compte mais ses origines. Ainsi,  c’est  la féodalité qui est à la tête de l’Etat. L’esprit féodal est partagé par tous les esprits y compris ceux des dominés, ce qui empêche l’émergence d’une lutte pour une véritable démocratie en Mauritanie. Si l’esclavage se perpétue aujourd’hui en Mauritanie, c’est parce que l’esprit féodal anesthésie les dominés. »[2]

Aujourd’hui, nous devons chercher à nous rassembler autour de valeurs, unifier des forces pour créer un Etat véritablement démocratique.

Oumar Diagne

 Écrivain



[1] Philosophe français

[2] Oumar Diagne, Et si la lutte contre la féodalité pouvait rassembler ?


 

 

 

 

 Mauritanie, la démocratie est-elle compatible avec une société dominée par l’affect et un esprit féodal. ?

 

Parmi toutes les définitions de la démocratie, je retiendrai celle-ci car elle me permet de mieux illustrer ma pensée :

« La démocratie est le régime politique dans lequel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple (principe de souveraineté), sans qu'il y ait de distinctions dues la naissance, la richesse, la compétence... (principe d'égalité). En règle générale, les démocraties sont indirectes ou représentatives, le pouvoir s'exerçant par l'intermédiaire de représentants désignés lors d'élections au suffrage universel.

Il existe deux types de démocratie : la démocratie directe qui est un régime dans lequel le peuple adopte lui-même les lois et décisions importantes et choisit lui-même les agents d'exécution, et la démocratie indirecte qui est un régime dans lequel le rôle du peuple se borne à élire des représentants.

Le terme démocratie désigne un corpus de principes philosophiques et politiques suivant lequel un groupe social donné organise son fonctionnement par des règles : élaborées, décidées, mises en application et surveillées par l'ensemble des membres de ce groupe, a priori sans privilèges ni exclusion ».1

Après des années de militantisme, je n’arrivais pas à comprendre le mode de fonctionnement des organisations mauritaniennes, ce qui les animait. J’avais le sentiment d’avoir en face de moi des forces obscures que je n’arrivais pas à pénétrer. Cela m’a valu des moments de découragement et d’intenses douleurs.

Il n’y a pas plus insupportable que d’être en face de l’inexplicable quand on cherche à comprendre. Un exemple concret pour que l’on puisse mieux saisir ce que je voudrais exprimer.

Au sein des mouvements mauritaniens, j’ai été frappé par l’esprit d’autodestruction. Souvent, je disais aux militants que Muawiya n’avait pas besoin d’agir pour contrecarrer leurs actions car ils le faisaient à sa place.

Une autre chose m’a toujours intrigué. Dans les mouvements mauritaniens, ce n’est pas la pensée, l’action et l’efficacité qui comptent.

Avec le temps et les rencontres, j’ai compris que derrière tout cela, il y avait la prégnance de l’affectif, l’ignorance, le féodalisme.

A l’origine de la démocratie, il y a la raison. L’Egypte ancienne, puis la Grèce ont compris l’importance de la pensée dans le bon fonctionnement de la cité. En Grèce antique, « nous sommes au pays de la raison, du logos, mot qui signifie à la fois discours et raison »2.

« Castoriadis analyse dans ses séminaires les conditions qui rendent possible la démocratie dans le cadre de la Grèce antique. Les Grecs sont les premiers à faire l'expérience du « non-sens ». Parce qu'ils ne croient pas vraiment à l'immortalité de l'âme, parce qu'ils pensent que même les dieux sont soumis à des lois plus hautes, se manifestent alors la décision et la volonté d'affronter l'abîme. Dans un monde où rien n'est assuré d'avance, il y a à faire, à penser et à dire, c'est-à-dire aussi bien à philosopher qu'à créer ses propres lois (la naissance de la philosophie et de la démocratie ont les mêmes racines selon Castoriadis) C'est parce qu'ils perçoivent le monde comme chaos que les Grecs édifient la Raison. » 3

En Mauritanie, l’affect occupe de plus en plus de place. Il ne s’agit pas d’une tradition africaine mais le résultat de la déstructuration des sociétés.

Les sociétés africaines ont connu la démocratie bien avant la pénétration coloniale. En de nombreux lieux, la cité était gérée par le consensus et la raison. Nous rappelons que la démocratie a vu le jour en Afrique. Je ne reviendrais pas sur le débat sur le fait de savoir si ce qui se passait en Afrique était une démocratie ou pas. Je renvoie aux différents travaux qui existent déjà sur ce sujet. Et pour les esprits paresseux qui utilisent le Net, ils peuvent lire l’article relatif à l’Afrocentrisme sur Wikipédia que je trouve assez objectif.

Ce qui s’est passé est une rupture d’historicité du fait des invasions successives sur le continent qui a fait que l’Africain n’est plus guidé par un sens que lui-même a élaboré. Dans ces conditions, un chaos s’est installé. Ce chaos est à l’origine de la confusion qui règne.

Dans des phases de confusions et de manque de repères où la raison flache, les sentiments prennent souvent le dessus. Même dans les démocraties occidentales, ce phénomène se constate. Les mouvements d’extrêmes et populistes européens en sont le parfait exemple.

Ainsi le champ social et politique mauritanien est plus dominé par l’affect, le relationnel que la raison, la loi, le mérite, le savoir et la compétence. Chacun peut prétendre à tout s’il a des connexions, faire de la politique sans avoir la moindre connaissance du fondement de l’Etat puisque ce sont l’affect et le relationnel qui dominent. Un Etat qui ne privilégie pas la rationalité et le mérite est voué à l’échec.

On peut ainsi comprendre pourquoi le féodalisme empoisonne la sphère politique mauritanienne. En fait ce n’est pas la raison qui est la base du fondement de l’Etat mauritanien mais le relationnel. Or en Mauritanie, on sait que la société est structurée sur la base d’un système de castes. Ce système va influer sur la sphère politique. La réalité est que la Mauritanie est une République aristocratique. Le problème de ce pays dépasse l’opposition Noirs/ Arabo-berbères. Dans la gestion du pays, les deux féodalités s’allient.

Montesquieu distinguait au sien de la République, deux systèmes de gouvernement, le régime démocratique et le régime aristocratique : lorsque, dans la République, le peuple en corps a la souveraine puissance, c’est la démocratie.4

En Mauritanie, du fait du système de castes, le peuple n’est pas « en corps ». Il y a les privilégiés héréditaires et les inférieurs héréditaires. L’esclavage était la limite de la démocratie grecque. « La démocratie se limitait seulement aux citoyens, en étaient exclus les étrangers, les femmes, les enfants et les esclaves. L’esclavage a joué un rôle essentiel dans l'épanouissement de la démocratie grecque. L'esclavage est une limite de la démocratie et nul ne semble jamais avoir eu l'idée de l'abolir. La plupart des Athéniens possédaient au moins un esclave, ce qui rendait leur participation politique plus facile mais il n'est pas possible de dire si c'était une condition nécessaire à l'établissement de la démocratie.5

La situation de la Mauritanie, à certains égards, est assimilable à celle de la Grèce antique par son mode de fonctionnement, car les esclavages et les castés sont exclus du système, non pas de manière légale, mais dans les faits. En effet, le système politique mauritanien fonctionne sur la base d’un féodalisme. On ne peut donc pas parler d’une vraie démocratie en Mauritanie.

Hannah Arendt, dans son texte intitulé «Qu’est-ce que la politique ? », formule cette remarque édifiante : « Il est extrêmement difficile de prendre conscience qu’il existe un domaine où nous devons être libres, c'est-à-dire où nous ne nous sentions ni livrés à nos impulsions ni dépendants de quoi que ce soit de matériel. Il n’y a de liberté que dans l’espace intermédiaire propre à la politique. Pour échapper à cette liberté, nous nous précipitons dans la ‘‘nécessité’’ historique, ce qui est une absurdité épouvantable. »

Il y a des individus en Mauritanie qui ne sont pas libres. Or, toute vraie démocratie fonctionne sur la base de l’égalité et de la liberté des citoyens. Les citoyens en Mauritanie ne sont pas égaux et certains d’entre-deux ne sont pas libres. L’esclavage persiste et le sytème des castes influence le champ politique. Il ne peut donc pas y avoir de réelle démocratie en Mauritanie

J’ai mis du temps, par naïveté, à comprendre que même les mouvements d’opposition sont traversés par le sytème des castes qui domine la mentalité mauritanienne. Les lettrés comme les militants le reproduisent.

Les mauritaniens souffrent beaucoup de leur ignorance. Il ne suffit pas d’aller à l’école pour ne pas être ignorant. Une bonne éducation est celle qui élève. On peut avoir un doctorat et être ignorant. Les Mauritaniens ont besoin d’une bonne éducation. On sait qu’il y a une corrélation entre bonne éducation et démocratie. « Car on crée en connaissant réflexivement ce qui nous détermine ou nous influence, me semble-t-il. »6

« La démocratie étant un système politique exigeant, la marche d’un monde souvent chaotique, le progrès pour être géré et digéré sans désarroi réclame des citoyens plus d’éducation, plus de maîtrise de leurs passions, plus de connaissances générales qu’un autre système puisque ces citoyens sont amenés à participer concrètement à l’évolution du pays. Ils sont à la base de décisions importantes et vous avez vous-même parlé d’utopie démocratique pour souligner à quel point la confiance en un homme éduqué était centrale. Or on a vu que la maîtrise des progrès techniques demande de la part des gens une réflexion plus nourrie, une culture plus solide. C’est le rôle de l’école d’assurer cette culture de base à tous les enfants. »7

Oumar Diagne

Ecrivain

Le 18 /12/ 2011


1 Sources : Livre d'option science politique ; http://www.toupie.org/Dictionnaire/Democratie.htm

2 La démocratie athénienne Miroir de la nôtre par Jacques Dufresne Bibliothèque de L'Agora, 1994

Hannah Arendt Qu'est-ce que la politique ? Poche, Hannah, p. 42-43)

3 (Castoriadis) http://sos.philosophie.free.fr/castoria.php

4 Sources : Livre d'option science politique ; http://www.toupie.org/Dictionnaire/Democratie.htm

5 La Grèce antique in http://membres.multimania.fr/jeanmoa/web/grece.htm. Qu’est-ce que la             politique ?

6 A propos de Carl Schmitt et de Hannah Arendt. / Samedi, 12 avril 2003 Zarifian, Philippe in              http://multitudes.samizdat.net / Qu’est-ce que la politique ?

7 Pascal Couchepin. Je crois à l’action politique. Entretiens avec Jean Romain
            L’Age d’Homme, Lausanne, 2002, pp. 113 à 119






La lutte n’est pas un folklore


Nous avons là une occasion inouïe où l’unité doit prévaloir sur toute autre considération. Mais les frustrations commencent déjà à se faire sentir. Hier à la manifestation du 02.10.2011, nous avons entendu plusieurs voix qui se sont exprimées en ce sens. Il ne faut pas que les causes qui ont toujours fait échouer les mouvements mauritaniens prennent le dessus cette fois-ci.

Sur ce recensement, il y a un consensus, entre noirs et démocrates, qui se dégage. En plus, nous avons le soutien de nos frères Harratine, tout au moins certains d’entre eux. Il ne faut pas que les mauvais génies qui traversent l’action politique noire enterrent une des plus belles occasions que nous avons pour faire preuve de maturité. Il est absolument, pour cela, nécessaire d’éviter toute récupération. Ce mouvement est celui de tous, au-delà des appartenances idéologiques.

Notre espoir porte surtout sur les jeunes. Malheureusement, dans leur grande majorité, ils sont mal formés. Mais rien n’est jamais perdu. En tout cas, le conseil que nous leur donnons est qu’ils n’entrent pas dans les manipulations qui ont toujours fait échouer nos actions. La vieille génération, dans sa majorité, est ancrée dans idéologie, un égotisme et un féodalisme ruinant.

Une lutte demande une grande intelligence, des stratégies. Elle est le contraire du voyeurisme, du moi-moi. On ne peut pas mener une lutte efficace sans un esprit de perspicacité. Il suffit de relire l’histoire pour comprendre comment les grandes causes ont gagné. Il faut donc s’éloigner de tout esprit de démonstration et de médiocrité.

Nous avons été frappés par l’esprit qui a prédominé, hier, lors de la manifestation de Paris. Il est temps que le sérieux reprenne le dessus. On pense souvent au nombre mais pas souvent à la qualité. Nous avons toujours défendu que la qualité était essentielle, même si le nombre est significatif. Mais un nombre sans qualité n’a aucune chance d’aboutir.

Il y a souvent, à travers les mouvements, des personnes qui ont envie d’exister qui, par leur verbe ou par leur félonie, arrivent à s’imposer mais le résultat, on l’a vu : il n’y pas grand chose qui a été réalisé par eux. Leur spécialité est la récupération des frustrations sans savoir-faire des autres.

Nous savons aussi qu’il y a des personnes vertueuses et réfléchies, dépitées qui, dans l’ombre, font un excellent travail. Arrêtons donc le folklore et mettons la réflexion et la rigueur au centre de nos actions pour faire avancer les choses.

Ce ne sont pas les manifestations de Paris, de Washington ou autres qui vont changer les choses. Sans nier leur importance, elles ne peuvent venir qu’en renfort à une action intérieure. La Diaspora a un rôle fondamental à jouer mais, elle ne peut que venir en appui à un mouvement intérieur. Aussi, si la Diaspora veut apporter quelque chose, elle doit sortir de ses clivages, de ses mensonges des uns sur les autres, de sa lâcheté, de son féodalisme.

A Paris, les Mauritaniens noirs sont souvent plus féodaux que les gens de l’intérieur. Il ne faut pas se tromper, le fait de séjourner dans les pays démocratiques ou la possession d’un diplôme ne fait pas du Mauritanien un démocrate.

D’un point de vue sociologique, cela s’explique. Le Mauritanien est issu d’une société féodale. Face à une société dans laquelle, on n’a pas sa place, on tente souvent de se raccrocher à des anciennes valeurs dépassées pour se sentir exister. D’autre part, les diplômés profitent de leur statut pour berner une société ignorante.

En tout cas, rien ne doit compter en dehors de la cause défendue. Les personnes sincères et réfléchies arrivent toujours à comprendre que ce n’est pas leur personne qui compte mais la cause de leur combat.

Il y a des individus, à Paris, sous la nuit des sorciers, qui tentent déjà d’exclure certains groupes ou personnes car ne les contrôlant pas, au nom de leur prétention de détenir la vérité. Cela montre que ce n’est pas la cause qui compte pour elles mais leur ego.

La plupart des militants à Paris savent quelles sont les personnes à l’origine des divisions mais on continue à les suivre. Quel dommage !

Elle sait aussi qui travaille pour son nombril et qui travaille pour les idéaux. Aussi la différence d’idéaux n’empêche pas pour des gens honnêtes de travailler sur des causes justes.

Il est temps que les Mauritaniens apprennent la rigueur, qu’ils sortent de leur médiocrité. Quand nous le disons nous parlons de tous les Mauritaniens. Ce qui caractérise les Mauritaniens est leur ignorance et leur manque d’ancrage aux valeurs démocratiques. Plus on est ignorant, plus on pense que l’on sait quelque chose. Le grand Socrate a fini un jour par dire tout ce que je sais est que je ne sais rien. Nous attendons des Socrate Mauritaniens. Tant que ces problèmes ne seront pas résolus, le pays continuera à sombrer dans le chaos. La Mauritanie ne s’en sortira que par une bonne éducation où les droits de l’Homme seront enseignés dès le primaire.

Une Mauritanie viable ne sera construite que sur la base de valeurs justes. Il ne faut pas croire que les Noirs sont justes. Les Maures dominent, aujourd’hui le pays, mais ni les Négro-mauritaniens, ni les Harratine, ne sont dans leur majorité, des êtres qui tendent vers la justice. Une société ne fonctionne bien que, lorsqu’en son sein, il y a des Femmes et des Hommes qui sont attachés à la justice.

Le temps du réveil a sonné. La Mauritanie plongera dans le chaos ou se relèvera. Pour qu’elle se relève, il faut des Femmes et Hommes de toutes ses communautés attachés à la justice. Si on continue dans la logique actuelle, on plongera dans un conflit ethnique.

A supposer qu’un jour, un Négro-africain ou un Harratine arrive au pouvoir, les problèmes ne seront pas résolus pour autant.

Très peu de personnes parlent de la condition des femmes en Mauritanie, des castes, etc. Cela montre que le Mauritanien est ancré dans un esprit d’injustice. Le consensus global, en Mauritanie, est celui d’un esprit féodal et de privilégiés, en général alphabétisés ou appartenant aux castes supérieures ou les deux à la fois.

Il faut noter que chez les Maures, il y a des castes, il y a des privilégiés et des non privilégiés, mais les manipulateurs arrivent à construire des blocs fondés d’ailleurs sur l’inessentiel. L’essentiel étant la justice, l’égalité, le développement pour tous.

Chez les Négro-mauritaniens, il y a des castes à tel point que dans les villages, il n y a que certaines personnes qui peuvent prétendre à des fonctions électives. Chez les Harratine, les choses ne sont pas si homogènes qu’on ne le croit. Il y a des harratine esclaves de harratine.

Il est temps de sortir de l’hypocrisie pour construire une Mauritanie.

Notre problème est celui d’une élite trans-ethnique. J’ai déjà défini ce que j’appelle une élite qui n’est pas une question de diplôme.

Oumar Diagne

Ecrivain

 

 

Où sont les frères arabo-berbères ?

 

Où sont les Omar Ould Dedde, les Beddy Ould Ibnou, les Ould Yessa, etc.? C’est avec consternation que nous constatons l’attitude des militants arabo-berbères à Paris. A différentes occasions, ils se sont mobilisés aux côtés des Noirs de Mauritanie pour défendre la démocratie, les droits de l’Homme ou des maures victimes d’injustice. Comment expliquer leur absence face à la question d’un recensement qui vise à exclure les Négro-mauritaniens ?

Ce constat est, à nos yeux, grave. Il nous donne le sentiment qu’il n’y a pas une réelle volonté de la part de nos compatriotes arabo-berbères de défendre la Justice pour tous. C’est comme si, pour eux, la notion de justice ne s’appliquait point aux Négro- mauritaniens et aux Harratine.

Aujourd’hui, nous avons la preuve de l'inexistence d’une conscience trans-ethnique, du mépris du Maure à l’égard du Noir, de la lâcheté des lettrés mauritaniens, particulièrement, dans ce cas, des lettrés maures. Il s’agit d’un vrai sujet sur lequel, il faudrait se pencher. Nous avons la confirmation que le Mauritanien, d’une manière générale, n’a pas intégré la notion de justice et d’égalité des Hommes.

Nous pensons que l’on ne peut guère envisager de construire ainsi une Mauritanie d’avenir.

Dans nos articles précédents, nous avons souvent parlé de l’absence d’une élite en Mauritanie. En ce qui concerne, les Arabo- berbères, nous croyons qu’il y a un consensus, au moins inconscient, qui vise à réduire le Noir à moins que rien. Cette attitude n’encourage pas à dépasser les frontières des appartenances.

Les nations démocratiques se sont construites grâce à l’adhésion des individus à des valeurs au-delà de leur particularisme. Il est peut-être temps que Maures et Noirs, dépassent leur cadre étroit pour combattre toute forme d’injustice. C’est la condition pour la construction d’une Mauritanie moderne, démocratique et égalitaire. Si l’on continue la politique actuelle, il surgira, un jour ou l’autre, un conflit ethnique qui risque d’être sanglant. Le ras de bol commence à se faire sentir dans la communauté noire. Les extrêmes et la haine s’expriment de plus en plus. Il est temps d’agir avant que le chaos n’émerge.

La politique d’exclusion des Noirs depuis 1960 et avant pèse sur les consciences noires et répand des aigreurs. Les manifestations actuelles en Mauritanie témoignent de l'agacement des Négro-mauritaniens. Ils marquent aussi un progrès : les dominés commencent à se prendre en charge au risque de leur vie. Cela est important car aucun peuple ne peut se libérer que par lui-même. Il faudra surtout éviter la récupération politique. Car certains mouvements, se réclamant détenteurs de la seule vérité, ont toujours empêché l’unité.

Ce mouvement naissant doit se perpétuer. Il est impératif qu’il s’organise, organise les masses et s’inscrive dans la durée pour faire pression sur le pouvoir. Il serait illusoire qu'il se contente de petites concessions. Il est nécessaire qu'il se poursuive jusqu'à ce que la question noire soit définitivement réglée, car il est certain que l’objectif des Maures est de maintenir leur domination. La seule façon d’y mettre fin, c’est la lutte permanente. Aucun dominant ne lâche prise par conscience. Il y est contraint par un rapport de force.

Le pouvoir maure est déterminé à arriver à ses fins. Il faut comprendre qu’il ne les atteindrait que grâce à la lâcheté des Noirs. Le mouvement « Ne touche pas à ma nationalité" doit impérativement aller le plus loin possible. Il doit être fédérateur, en dehors de toute idéologie. Il doit avoir comme ciment la reconnaissance des droits des Noirs.

Il faudra aussi qu’il évite d’être exclusif, tout en bannissant la récupération. Il est utile aussi qu’il entre en contact avec la diaspora qui lutte. La cause harratine et toute autre cause injuste doit concerner les Négro-mauritaniens. Les Harratine sont des victimes comme eux. Une certaine maturité est indispensable, et il devra accepter le soutien de Harratine sincères. L’une des grandes erreurs des Négro-mauritaniens est de ne pas avoir soutenu la cause harratine. Cela s’explique par l’esprit féodal qui traverse la société négro-mauritanienne.

On peut comprendre qu’un mouvement soit spécialisé mais il doit s’ouvrir à d’autres personnes victimes d’injustice.

En fin, il faudra veiller à la corruption du mouvement ou des leaders.

Nous devons prendre comme exemple Aimé Césaire qui était un « brasseur de souffrances et prenait sur lui tout ce sang, il s'affirme fondamentalement solidaire de tous les peuples piétinés " Il disait, « moi je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions niées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties ". Autant de paroles qui se conjuguent avec l’ébranlement d'un vaste mouvement émancipateur des peuples humiliés à la recherche d'un nom pour leur patrie comme le prophétisait son contemporain Jean Amrouche. »1

Ces remarquables mots de ce grand Nègre sont touchants et édifiants: « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir […] il n’y a pas dans le monde un pauvre type lynché, un pauvre homme torturé en qui je ne sois assassiné et humilié. »

Une grande lucidité et un courage s’imposent aux Noirs afin qu’ils trouvent leur place et leur dignité en Mauritanie. Il est indispensable d’éviter une politisation idéologique et sectaire du mouvement car sur le long terme, il le rendrait stérile. Ce qui doit rassembler c’est la lutte contre les injustices.


Je laisse, ceux qui prendront le temps de lire ce texte, méditer sur les paroles de ce géant noir qu’est Martin Luther King :

« J'ai un rêve qu'un jour, sur les collines de terre rouge de la Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d'esclaves pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité.

J'ai un rêve qu'un jour même l'Etat de Mississippi, un désert étouffant d'injustice et d'oppression, sera transformé en un oasis de liberté et de justice. »

La lutte doit continuer sans mépris de l’autre, animée par un esprit de justice et dans l’unité.

1 A.K, Ainsi parlait Césaire, in http://wwwjohablogspotcom kaouah.blogspot.com/2011/04/ainsi-parlait-cesaire.html. I

Oumar Diagne
Ecrivain

 

 

 

A quand la révolution en Mauritanie ?


Les événements qui secouent le monde arabe doivent nous amener à nous interroger sur ce qui pourrait se passer en Mauritanie.

Certes, depuis août 2005 et la chute du dictateur Sidi Mohamed Ould Ahmed Taya, qui a régné vingt et un an, on ne peut comparer la situation de la Mauritanie à celle de la Tunisie de Ben Ali ou de l’Egypte de Hosni Moubarak et d’autres pays arabes où des dictateurs régnaient depuis de longues années.

En Mars 2007, « des manifestants du mouvement libéral égyptien Kifaya se sont rassemblés dans un square du centre du Caire pour demander que  Hosni Moubarak, le Président de la Grande République Egyptienne, messager de l’Arabisme et de la Révolution, rende son régime plus ressemblant à celui de la Mauritanie, un pays dont probablement beaucoup d’Egyptiens ne savent même pas qu’il fait partie de la Ligue Arabe. »1

En effet, en 2007, à travers le monde, la Mauritanie, dirigée par Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, était citée comme un exemple de démocratie dans la galaxie africaine et arabe, même si cette démocratie avait de nombreuses limites pour ceux qui l’observaient de l’intérieur avec une certaine distance.

Le coup d’Etat mené par le Général Mohamed Ould Abdel Aziz, le 06 août 2008, a semé le doute dans les esprits. Il a montré la limite de la démocratie mauritanienne et le peu de respect qu’accordent les militaires du pays à la légalité.

Dans la nuit du 15 au 16 avril, le chef des putschistes, le Général Ould Abdelaziz démissionnait de l’armée et de son poste de Président du Haut Conseil d’État (HCE), composé de onze membres qu’il avait mis sur pied après avoir chassé du pouvoir Sidi Ould Cheikh Abdallahi.

Ce qui a motivé ce départ était de répondre aux conditions exigées pour se présenter à la présidentielle du 6 juin 2009, les militaires ne pouvant, en Mauritanie, concourir au titre de Chef d’Etat.

Etrangement, rares sont ceux, les membres de l’opposition mauritanienne compris, qui ont suffisamment souligné que sa démission ne suffisait pas à rendre sa candidature légale car la Mauritanie a signé et ratifié la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui, dans son article 25 aliéna 4, stipule : « Les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat. »

En l’absence d’une opposition forte, le Général a fini par être candidat et a été élu comme Chef d’Etat et donc Président de la République aux termes de l’article 23 de la Constitution mauritanienne qui affirme que le Président de la République est le Chef de l’Etat.

Ce qui fait différence entre ce qui s’est passé en Tunisie, en Egypte d’une part et la Mauritanie d’autre part, est que, dans les deux premiers pays, c’est le peuple qui s’est décidé à prendre son destin en main, à chasser ses dictateurs et s’est réuni autour d’un minimum d’objectifs : le départ de leurs présidents respectifs, et l’instauration de régime démocratique. Dans ces deux pays africains et arabes où les révolutions ont surgi, les armées se sont rangées du côté de leur peuple. Cette attitude de l’armée a moins complexifié la tâche des contestataires. Ainsi, en Tunisie et en Egypte, les masses savent maintenant que ce sont elles qui détiennent les clefs du pouvoir. Elles ont arraché leur liberté et se sont réapproprié la souveraineté nationale. L’histoire de l’Egypte et de la Tunisie ne sera plus la même. Un pas important a été franchi, celui de la conscience de son pouvoir par un peuple. Les vrais changements ne peuvent venir que des masses et souvent la classe politique mauritanienne n’a pas voulu prêter attention à cet axiome.

La faiblesse du travail fait en vue de la conscientisation et la formation des masses en est la démonstration. Les acteurs politiques mauritaniens ont rarement un penchant pour une telle tâche. Chacun d’entre eux se croit être le début et la fin de toute chose. Il se donne souvent une importance qu’il n’a pas. Celui qui veut travailler avec lui doit composer avec ses sentiments, lui faire la cour, lui obéir. Il se croit souvent rusé ou intelligent alors qu’il est aveugle. Ce qu’il oublie est qu’aucune démocratie n’est possible sans une implication massive des populations

En Mauritanie, ce sont des militaires qui ont chassé un des leurs, dictateur cruel qui a longtemps régné en maître sur le pays avec leur complicité. Le Général Abdel Aziz était le protecteur d’Ould Taya durant tout son funeste règne. Ainsi, la Mauritanie ne peut pas être démocratique. Car ce n’est pas à travers des coups d’Etat que la démocratie réelle s’instaure. Celle-ci s’obtient par une conquête populaire, par le réveil des masses unies autour de valeurs fondamentales, bases de toute démocratie. Aussi, une démocratie ne peut être pérenne que grâce à la vigilance collective.

Il est important d’analyser comment on en est arrivé aux bouleversements en Tunisie et en Egypte. Un des facteurs clef de compréhension est celui de l’éducation. Nous avons toujours souligné dans nos précédents articles que le grand combat de l’Afrique pour sa libération est celui de l’éducation. Certes, à elle seule, l’éducation ne suffit pas. Il faudrait qu’elle s’accompagne progressivement d’une individuation de la société. Dans des sociétés comme celle de la Mauritanie, la pensée collective est encore très prégnante. Le poids de l’appartenance, la pensée commune, inhibent les esprits, étouffent l’aspiration à la liberté et à l’originalité, tuent les esprits créateurs, contrarient le rapprochement entre personnes d’origines différentes. Ainsi, le champ politique est miné par les appartenances, le féodalisme, la hiérarchisation sociale, la dévalorisation du mérite, les combines affectives, le manque d’importance de la pensée et de la rigueur.

Les Mauritaniens de la génération actuelle ont rarement une opinion fondée sur une analyse personnelle approfondie sur quelqu’un, sur sa pensée. Leur perception d’un individu est fondée sur ce que l’on dit dans les salons sur celui-ci, sur la rumeur, sur des informations glanées à la légère par-ci et par-là, sur ce qu’on a capté en un instant sur un être en perpétuel mouvement. Rarement la complexité humaine est prise en compte. Il est difficile de se faire entendre en tant qu’individu pensant car, dans ce milieu, on entend très, très peu, les réflexions des personnes, surtout lorsqu’elles sont originales. On retient plus ce qu’on a entendu dire ou l’idée que les personnes à influence disent des personnes. On se cramponne à des codes de lecture très limités, à ses peurs, à son refus de voir ou entendre autre chose que ce que l’on veut voir ou entendre.

« Un peuple n’affronte pas tous les aléas et les risques potentiellement terribles pour lui, d’une révolution, simplement parce que la société est injuste. Il faut qu’il soit parvenu au sentiment que cette injustice est illégitime, intolérable.

Pour qu’un s’exprime un besoin de liberté individuelle, il faut d’abord que ce soit née la figure de l’individu. L’individu c’est qui ? C’est le fonctionnaire, l’universitaire, l’avocat, le médecin, l’ingénieur. C’est aussi peu à peu l’ouvrier industriel. Il s’agit d’un nouvel acteur social, né au forceps, sous pression colonial, à partir de l’éclatement des communautés traditionnelles, tribales, urbaines ou villageoises. Avant son émergence, le besoin de liberté personnelle n’a p as de sens, le chef traditionnel parle pour tous les siens et tout est dit. Avec son émergence des aspirations nouvelles commencent à s’exprimer. »2

En Tunisie et en Egypte, c’est une jeunesse branchée au monde moderne qui s’est saisie de son destin. Les caciques politiques ont été pris au dépourvu. Il s’agit de mouvements spontanés qui traduisent le ras-le-bol d’une jeunesse familière d’Internet et des chaînes de télévision mondiales. Une jeunesse qui aspire à vivre comme les jeunes qu’ils voient à la télé, sur Internet, ou qu’ils ont fréquentés lors de leurs études. Ces jeunes-là sont attachés à leur pays. On a vu à Paris des jeunes égyptiens, au bord des larmes, qui affirmaient : enfin nous pourrons renter chez nous, travailler et vivre normalement. Que ce cri du cœur soit un rêve ou une réalité, il témoigne, au moins, d’une aspiration.

En Egypte et en Tunisie, c’est donc une catégorie de la population qui a compris l’importance de la place à accorder à la liberté, à la justice et à l’individu dans l’organisation des sociétés contemporaines et qui a initié le mouvement. Dans les pays africains, comme dans les pays arabes, l’absorption de la personne par le groupe est l’un des freins essentiels à la démocratie et au développement. J’ai déjà fait allusion à ce problème dans mes différents articles. Les deux révolutions témoignent d’une rupture générationnelle.

En Mauritanie, le poids du groupe et de l’appartenance est encore très pesant. Par conséquent, la notion de liberté, souvent assimilée à la débauche, les notions de justice, d’égalité et d’individu ne sont pas encore ancrées dans les esprits. On le constate facilement en côtoyant ceux qui militent. La plupart des Mauritaniens, y compris les militants les plus en vue, ne conçoivent la politique qu’en termes d’appartenance, de relationnels et non d’idéaux ou de valeurs. Aussi, la plupart d’entre eux ne sont pas des démocrates dans leur quotidien. Dans leurs actions politiques, ils reproduisent les schémas archaïques qui laissent peu de place à l’individu, aux fondamentaux de la démocratie, aux idées.

Globalement le niveau culturel, d’intégration des valeurs démocratiques et d’intelligence d’Etat des Mauritaniens est très faible. Cela a un impact certain sur l’avenir du pays et son évolution. Pour le moment, il est difficile de penser à une révolution à la tunisienne ou à l’égyptienne en Mauritanie. Mais il ne faut guère perdre espoir car l’histoire est imprédictible. Elle s’accélère parfois lorsque l’on s’y attend le moins. Les sursauts de conscience sont difficiles à prévoir et à comprendre.

Oumar Diagne, Ecrivain


1 La Mauritanie, du colonialisme à la dictature et à la démocratie par Gold, diplomate, Paru dans le Jérusalem Post du 5 Avril 2007, traduit par Stéphane Teicher pour www.nuitdorient.com 

2 Mahmoud Hussein «  Ces révolutions ont brisé une malédiction arabe » in libération du 2 février 2011, p. 6



 

 

 

Pourquoi les lettrés mauritaniens ne veulent-ils
pas parler de laïcité ?

 

Il y a de cela quelques années, un chercheur français a indiqué qu’il avait des difficultés à trouver des Mauritaniens pour travailler autour de la question de la laïcité. Les années ont passé. Au cours d’un débat sur la Mauritanie, la question de la religion qui n’y était pas invitée, a surgi. Ainsi, l’idée d’organiser une conférence autour de ce sujet, en toute innocence, m’est venue. Sur le terrain, je me suis rendu compte de la véracité des propos de cet universitaire. Parmi tous les Mauritaniens contactés, la seule réponse favorable et sans hésitation, pour s’exprimer, en public sur ce thème, a été celle de d’El Arbi Ould Saleck.
Cette difficulté de parler librement de ce sujet avec les Mauritaniens révèle beaucoup de choses.
1) Elle nous fait comprendre l’étendue de l’opportunisme des lettrés africains et, dans ce cas particulier, mauritaniens.
Il est de l’intérêt de l’humanité que celui qui a appris partage son savoir dans ce qu’il a de meilleur, et non qu’il renonce, pour des intérêts égoïstes, à divulguer ce qui lui a été enseigné. Les sociétés n’avancent que parce qu’il y a des hommes qui s’engagent au-delà de leur nombrilisme.
Pour ceux, qui en Mauritanie, font de la politique, parler de cette question est un risque car ils pensent qu’ils seraient rejetés par la population. Mais faire de la politique, c’est aussi avoir du courage, lutter pour transformer la société. Dans une communauté donnée, tout le monde ne peut pas jouer au stratège, au politicien. Contrairement à ce que l’on pense couramment, les sociétés avancent plus par le travail fait sur les populations par différents acteurs, souvent anonymes et par des facteurs objectifs que par l’action des politiciens.
L’art du politique est de récupérer les idées qui traversent les sociétés, les aspirations populaires, afin de manipuler les individus pour conquérir le pouvoir. Il s’oppose ainsi à l’intellectuel qui prend distance. Le rôle des intellectuels est essentiel dans une société.
« Le rôle de l'intellectuel n'est pas de produire des louanges par la soumission contreproductive pour le pouvoir lui-même en contrepartie d'une distribution de la rente, mais d'émettre des idées constructives, selon sa propre vision du monde, par un discours de vérité* pour faire avancer la société. Aussi, toute société qui limite la critique positive, ne met pas en place des contrepouvoirs politiques et sociaux, en s'appuyant sur des intellectuels organiques aux ordres selon l'expression heureuse de Antonio Gramsci, est vouée à la décadence car une société sans intellectuels critiques est comme un corps sans âme. » Note 1
En Mauritanie, l’un des grands problèmes est celui de la rareté des intellectuels. « L’intellectuel est une personne dont l'activité repose sur l'exercice de l'intelligence, qui s'engage dans la sphère publique pour faire part de ses analyses, de ses points de vue sur les sujets les plus variés ou pour défendre des valeurs, et qui dispose d'une forme d'autorité. » Note 2
De nombreux lettrés mauritaniens renoncent à leur conscience, à leurs convictions en vue d’être acceptés par leur communauté. Ils renient ainsi l’interpellation de leurs voix intérieures.
Ce qui définit l’intellectuel n’est pas lié au seul fait de travailler sur la base de l’intelligence, mais son attachement à des valeurs. Le fait que de nombreux lettrés mauritaniens ou africains, pour se conformer à leur environnement, renient leurs pensées ne permet guère le progrès. En Mauritanie, pour un nombre important parmi eux, la morale est : il ne faut pas dire ce que l’on pense pour ne pas être en porte à faux par rapport au groupe. Quelle ignominie !
2) L’autre problème est qu’ils ont, pour la plupart, des diplômes mais restent conditionnés par les valeurs traditionnelles y compris celles les plus négatives. La sagesse, la perspicacité voudraient qu’un homme à la croisée de cultures fasse des tris. En plus, la culture générale des lettrés mauritaniens, ainsi que leur expérience, même s’ils ont longtemps vécu à l’étranger, sont souvent très limitées.
3) Enfin, cette situation conduit à une hypocrisie. On ne fait pas ce que l’on pense. J’y reviendrai par rapport à la question de la laïcité.
« Pour Edward Said (Des intellectuels et du pouvoir, Seuil, Paris, 1996), l'intellectuel n'est ni un pacificateur ni un bâtisseur de consensus, mais quelqu'un qui engage et qui risque tout son être sur la base d'un sens constamment critique, quelqu'un qui refuse quel qu'en soit le prix les formules faciles, les idées toutes faites, les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir et autres esprits conventionnels. Le choix majeur auquel l'intellectuel est confronté est le suivant : soit s'allier à la stabilité des vainqueurs et des dominateurs, soit - et c'est le chemin le plus difficile - considérer cette stabilité comme alarmante, une situation qui menace les faibles et les perdants de totale extinction, et prendre en compte l'expérience de leur subordination ainsi que le souvenir des voix et personnes oubliées. » Note 3
La laïcité peut renvoyer à la simple sécularisation, c’est dire « ‘‘la séparation du civil et du religieux au sein de l’Etat’’. Mais elle peut signifier, comme c’est le cas en France (et en Turquie qui s’en est largement inspiré) une garantie constitutionnelle d’avoir un Etat qui se veut neutre face à toutes les religions et qui décide de n’encourager ni favoriser aucune. Dans les cas extrêmes, une telle politique peut conduire à un athéisme d’Etat partant du principe que les religions ne sont pas forcement favorables à la cohésion sociale. D’autres modèles de cohabitation entre la sphère religieuse et la sphère civique, (…) existent. Ce qui a poussé un groupe d’intellectuels à proposer une Déclaration Universelle sur la laïcité au XXI siècle dans laquelle ils proposent une nouvelle définition de la laïcité dans un contexte de mondialisation : Nous défissions la laïcité comme l’harmonisation dans diverses conjonctures socio-historiques et géopolitiques des trois principes (…) : respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective ; autonomie du politique et de la société civile à l’égard des normes religieuses et philosophiques particulières ; non-discrimination directe ou indirecte envers des êtres humains. » Note 4
Contrairement à une idée que s’en font de nombreuses personnes, y compris dans les pays à longue tradition démocratique, la laïcité n’est pas la négation de la religion. Au contraire, la laïcité implique le respect de la croyance de chacun. Il s’agit seulement de poser comme règle, qu’au sein de l’Etat, on ne mélange pas les affaires religieuses avec la chose publique. Il y a différents types de gestion de la laïcité ; ce n’est pas ma préoccupation essentielle dans cet article. Mon but est ici d’analyser une attitude de lettrés mauritaniens. Je n’en parlerai donc pas ici car cela rallongerait mon article.
Le préambule de la Constitution réaffirme l’engagement de la Mauritanie en faveur des droits et obligations en matière de droits humains énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’article 18, de cette déclaration affirme : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. »
Dans la Constitution mauritanienne amendée en 2006, en son article 5, il est affirmé ceci : L’Islam est la religion du peuple et de l’Etat. Dans l’article 23, il est dit : « Le Président de la République est le Chef de l’Etat et est de religion musulmane. »
Entre les deux textes, surgit une contradiction. D’une part, on reconnaît la liberté de conscience des citoyens et d’ autre part, on affirme que le président ne peut être que musulman. Il y a là un problème de discrimination naturelle mais aussi juridique.
Par ailleurs, que signifie la notion de religion du peuple ? Existe-il un peuple mauritanien ? Le peuple a-t-il une religion ? La religion est-elle un problème individuel, une relation privilégiée et choisie que peut avoir un individu avec celui qu’il désigne comme son créateur et maître, ou une question collective ? Cet article signifie-t-il que tout Mauritanien doit être musulman ? Dans ce cas, il y a une contradiction avec l’article 18 de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme.
En tout cas, ne pas vouloir parler d’un sujet pose problème. L’autre remarque est que l’histoire nous enseigne que, là où l’on a mélangé Religion et Etat, les choses ont toujours fini par mal tourner.
Il me semble que hiérarchiser les libertés ou les dominations pose problème et est anti-démocratique. Un Mauritanien a le droit de ne pas croire en Dieu ou d’y croire. Cela ne doit, en aucun cas, le conduire à une exclusion quelconque. Un Mauritanien a le droit dire que la religion légitime la domination des femmes et l’esclavage, etc.
D’autre part, lorsque la religion est histoire de groupe, il se développe une forte hypocrisie. La foi est avant tout un acte individuel, une question de conscience. Le Coran lui- même affirme : « Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s'est distingué de l'égarement. Donc, quiconque mécroit au Rebelle tandis qu'il croit en Allah saisit l'anse la plus solide, qui ne peut se briser. Et Allah est Audient et Omniscient. » 2.256.
C’est dans les hadiths que l’on retrouve une pensée qui semblerait contredire ce verset. Il s’agit de celle relative à l’apostasie.
« Il n'existe pas de définitions et d'attitudes punitives homogènes à travers le monde islamique : on trouve ainsi de grandes différences selon les orientations politiques et l'époque. Toutefois, les quatre écoles majeures* de jurisprudence islamique (madhhab) considèrent qu'un apostat doit être exécuté et ce en se basant sur un hadith d'Ibn `Abbâs dans lequel il rapporte que le prophète de l'Islam, Mahomet, aurait dit : « Quiconque change sa religion, tuez-le. ». Ces propos sont rapportés par Al-Boukhari mais ne sont pas repris par Muslim.
D'une manière générale, en arabe, kafir (kâfir) désigne le mécréant, l'apostat et l'athée. Il peut aussi désigner l'hérétique et toutes sortes de dissidents politiques. Le takfîr représente la déclaration d'apostasie. » Note 5
En Mauritanie, le droit musulman est source de droit. Or, le Hadith est une des sources du droit musulman. Cela veut-t-il dire que toute personne née de parents musulmans ne peut opter pour une autre religion ou être athée ? Si tel est le cas, nous sommes en contradiction avec l’article 18 de la déclaration universelle des droits de l’Homme.
En tout cas, la gestion de nombreux mauritaniens qui doutent de l’existence de Dieu, est d’adopter une attitude hypocrite. Ils n’osent pas s’afficher. Ainsi, Ils font semblant d’être musulmans et ne prient que devant les autres. Pourquoi donc toutes ces attitudes fourbes?
La réponse est simple. En Mauritanie, comme dans beaucoup de pays musulmans la religion est plus une question de culture, de peur, que de conviction, d’exploration, de connaissances.
Pour conclure, nous dirons qu’aucun sujet ne doit être tabou. Il doit faire l’objet de débat en vue d’éclairer les consciences.


___________

• Je remplacerais discours de vérité par discours vrai
Note 1 Docteur Abderrahmane MEBTOUl Professeur Université L'intellectuel, l'Etat et la société in Le Maghreb Le Quotidien de l’économie :
http://www.lemaghrebdz.com/lire.php?id=30079
Note 2 Intellectuel in http://fr.wikipedia.org/wiki/Intellectuel
Note 3 Docteur Abderrahmane MEBTOU op. cit.
* Le mouvement sunnite se répartit en « quatre grandes écoles de jurisprudence : le hanafisme, le malékisme, le chaféisme et le hanbalisme qui ont simplement divergé sur des questions de jurisprudence mais qui sont unanimes sur les fondements de la croyance, à savoir le Coran, la sunna de Mahomet selon la compréhension de ses compagnons et que ces trois fondements sont privilégiés par rapport à la raison. » Il se détache de l’école chiite. Lire le sunnisme in http://fr.wikipedia.org/wiki/Sunnisme
Note 4 La cohabitation culturelle, cordonnné par Jonna Niwicki, Les Essentiels d’Hermès, CNRS éditions, 2009, page 11-12
Note 5 Apostasie dans l’Islam in http://fr.wikipedia.org/wiki/Apostasie_dans_l'islam


Oumar Diagne, Ecrivain

  

 

 

Mauritanie : Une arabité en question /Oumar DIAGNE

 La récente déclaration du Premier ministre mauritanien, Moulaye Ould Laghdaf, qui vise à faire de la langue arabe un instrument d’échange et de travail au sein de   l’administration mauritanienne, a rouvert la boîte de Pandore en Mauritanie.

 Des propos de la ministre de la culture vont dans le même sens. Selon elle, « les langues nationales font obstacle à l’émergence de l’arabe.» Ce qui peut nous faire penser qu’il s’agit d’une stratégie de communication visant à préparer l’opinion publique et à mesurer les rapports de forces en jeu.

Depuis cinquante et an, c’est à dire depuis la veille des indépendances africaines et jusqu’à nos jours, la question de la place de l’arabe en Mauritanie empoisonne la vie politique, culturelle et sociale.

Les constitutions du 22 mars 1959 et du 20 mars 1961 stipulent que la langue nationale est l'arabe et que la langue officielle est le français _article 3 de la Constitution de 1961_. On voit, déjà, qu’à l’aube et aux premières heures de l’indépendance du pays, les autres langues parlées par les populations vivant sur le sol mauritanien sont exclues d’une portée nationale par la loi fondamentale, car seul l’arabe est considéré comme langue nationale. Les populations noires auraient dû voir là les habiles premières manœuvres d’Ould Daddah et ses comparses en vue de faire de la Mauritanie un pays arabe. Mais le fait que l’arabe soit la langue du Coran, étudié par les couches noires du pays, a peut-être participé à chloroformer les esprits.

Le génie de Moktar Ould Daddah a été d’avoir, très tôt, su trouver un discours anesthésiant la vigilance de Noirs. A la veille et au début de l’indépendance, le premier Président mauritanien, dans ses divers discours, a affirmé le caractère composite, multiethnique de la Mauritanie et s’était engagé à le respecter. Il a aussi souvent affirmé que la Mauritanie était un trait d’union entre le Maghreb et l’Afrique noire, enracinée dans l’Islam et ouverte à l’Occident.

Par ce discours séduisant, il a pu obtenir une certaine confiance de la part de la communauté noire mais aussi de la France, d’autant plus qu’il était marié à une femme d’origine française.

La confiance de la communauté noire ne durera pas longtemps. Moktar Ould Daddah va s’appuyer sur la féodalité négro-africaine pour gouverner et continuer à manœuvrer.

Une analyse pointilleuse nous permet de nous rendre compte que tous les discours du premier Président de la Mauritanie n’étaient que des lénifiants, car le processus d’arabisation va rapidement commencer, à petites doses. Les propos du Premier ministre actuel s’inscrivent dans le cadre de la même stratégie : arriver à faire de la Mauritanie un pays arabisé, à grande échelle, à petit pas et d’une manière subtile. [Les différentes étapes de l’arabisation en Mauritanie sont décrites par Ambroise Queffélec UMR 6039 (CNRS) Université de Provence Bah Ould Zein Université de Nouakchott dans un article qui s’intitule : LA "LONGUE MARCHE" DE L'ARABISATION EN MAURITANIE que l’on peut lire sur Internet.]

Le problème relatif aux questions linguistiques, en Mauritanie, vient du fait que la politique qui est jusque-là menée est fondée sur des mensonges et des négations identitaires. Il y a peut-être, dans la volonté de faire de la Mauritanie un pays arabe, en dehors des rapports de domination d’une entité sur d’autres, quelque chose de pathologique, de névrotique.

Pourquoi pathologique ou névrotique ?

Le cas du Soudan et de la Mauritanie est intéressant à analyser. Les dirigeants de ces deux pays se réclament d’une arabité maladive. On retrouve des points communs dans les pratiques politiques dans les deux Etats : la négation des droits d’une partie de la population, la négation de soi, la violence.

La population mauritanienne est loin d’être majoritairement arabe. Au contraire les Arabes sont une minorité.

« Pour People Group (2007, le hassanya (dialecte qui résulte d’un mélange d’arabe, de berbère et des langues négro-africaines Ndlr)serait parlé par 76,9 % de la population, puis le poular par 14 % (275 888), le tamasheq par 4 % (78 287), le soninké par 2,8 % (56 323) et le wolof par 0,6 % (13 439). 1

Ethnie Langue Population Pourcentage
Bambara bamanankan 17 617 0,9 %
Maures (Noirs) hassanya 811 608 41,4 %
Fula Macina poular 6 333 0,3 %
Fulbe Futa Toro poular 26 096 1,3 %
Jola jola-fogny 3 000 0,1 %
Maures hassanya 696 631 35,5 %
Soninké soninké 56 323 2,8 %
Tamasheq tamasheq 78 287 4,0 %
Toucouleurs poular 243 482 12,4 %
Wolofs wolof 13 439 0,6 %
Zenaga zenaga 6 763 0,3 %
1 959 579
»

Il est difficile d’avoir des statistiques fiables en Mauritanie. Mais, ce tableau nous permet de confirmer nos propos. Les Arabes hassan sont une minorité. Dans le groupe dit Maure qui représente 35, 5% de la population totale qui parle l’Hassanya, une bonne majorité est d’origine berbère. Le calcul est donc vite fait. Le reste qui serait d’origine arabe est donc une minorité parmi la population mauritanienne. Certains avancent que le nombre personnes d’origine arabe au sein de la population maure ne dépasserait pas 20 %. Si cette hypothèse est vraie, les Mauritaniens d’origine arabe ne seraient qu’entre 7% et 8% de la population totale.

Il y a lieu d’analyser la volonté d’arabiser ou d’islamiser leur pays de ceux qui se disent arabes en Mauritanie et au Soudan.

Le regard méprisant de l’Arabe sur le Noir vient de temps très anciens. Mais il nous semble que le cas de la Mauritanie et du Soudan introduit une autre dimension. « Historiquement l’Arabe a toujours sous-estimé le Noir. […], il est impossible d'ignorer la dimension religieuse et raciste de la traite. Punir les mauvais musulmans ou les païens tenait lieu de justification idéologique à l'esclavagisme : les dirigeants musulmans d'Afrique du Nord, du Sahara et du Sahel lançaient des razzias pour persécuter les infidèles : au Moyen Âge, l'islamisation était en effet superficielle dans les régions rurales de l'Afrique. Les lettrés musulmans invoquaient la suprématie raciale des Blancs, qui se fondait sur le récit de la malédiction proférée par Noé dans l'Ancien Testament (Genèse 9:20-27). Selon eux, elle s'appliquait aux Noirs, descendants de Cham, le père de Canaan, qui avait vu Noé nu (une autre interprétation les rattache à Koush, voir l'article). Les Noirs étaient donc considérés comme « inférieurs » et « prédestinés » à être esclaves. Plusieurs auteurs arabes les comparaient à des animaux. Le poète Al-Mutanabbi méprisait le gouverneur égyptien Abu al-Misk Kafurau Xe siècle à cause de la couleur de sa peau. Le mot arabe abid qui signifiait esclave est devenu à partir du VIIIe siècle plus ou moins synonyme de « Noir ». Quant au mot arabe zanj, il désignait de façon péjorative les Noirs. Ces jugements racistes étaient récurrents dans les œuvres des historiens et des géographes arabes : ainsi, Ibn Khaldoun a pu écrire au XIVe siècle : « Les seuls peuples à accepter vraiment l'esclavage sans espoir de retour sont les nègres, en raison d'un degré inférieur d'humanité, leur place étant plus proche du stade de l'animal » À la même période, le lettré égyptien Al-Abshibi écrivait « Quand il [le Noir] a faim, il vole et lorsqu'il est rassasié, il fornique. ». Les Arabes présents sur la côte orientale de l'Afrique utilisaient le mot « cafre » pour désigner les Noirs de l'intérieur et du Sud. Ce mot vient de « kafir » qui signifie « infidèle » ou « mécréant. » 2

Si l’Arabe a toujours sous-estimé le Noir, on peut aussi se demander s’il n’y pas un autre problème en Mauritanie et au Soudan. La relation de l’ ‘‘Arabe’’ de Mauritanie et du Soudan au Noir ne serait-elle pas affectée d’une névrose liée au complexe de l’‘‘Arabe’’ de Mauritanie et du Soudan qui tient à prouver, à tout prix, son arabité, qu’il ressent, inconsciemment, parfois de second degré ou usurpée.

La plupart des ‘‘Arabes’’ du Soudan n’auraient-ils pas, au fond d’eux, un complexe lié à la noirceur de leur peau qui les pousserait à être aveugles dans leur relation à leur arabité. Ne tenteraient-ils pas de faire oublier de leur noirceur de peau, supposée « infériorisante».

Les Hassan sont des arabes chassés d’Arabie qui ont sillonné de nombreux territoires avant de se poser en Mauritanie. Ces expulsés de leur terre ont fini par dominer les Berbères qu’ils auraient trouvés sur place et à qui ils auraient imposé leur langue. Ayant étant chassés d’Arabie et pas trop souvent considérés par le monde arabe, ne seraient-ils pas, inconsciemment, dans le besoin de s’affirmer.

Tout acharnement à affirmer son identité doit faire l’objet d’examen. Comme le disait Wolé Soyinka, le tigre n'a pas besoin de proclamer sa tigritude, il bondit sur sa proie. Le prix Nobel ne comprenait pas « pourquoi fallait-il gaspiller notre énergie dans de vaines rhétoriques alors que notre continent se débattait dans des problèmes politiques et économiques insurmontables ? La situation nécessitait que l'on agisse avant tout. »

Mais il dira plus tard : « ma réflexion sur la question de la négritude a beaucoup évolué à partir du moment où j'ai compris que la libération des Africains francophones passait nécessairement par l'affirmation de l'identité noire. Les Senghor, les Césaire, les Damas étaient les produits typiques de la colonisation française, qui, en voulant faire de l'élite noire des Français à part entière, ont déclenché ce mouvement de rébellion intellectuelle et poétique. On a assisté à un phénomène similaire dans les colonies portugaises où l'assimilation des autochtones était la politique officielle. Les Anglais, pour leur part, s'étaient toujours gardés de s'immiscer dans la vie culturelle de leurs sujets africains tout simplement parce qu'ils les croyaient incapables de s'adapter à la culture britannique, nécessairement supérieure. » 3

Le mouvement de la Négritude est né à partir du poids du regard de l’autre (Français) sur le Noir. En effet, pour le Français, le Noir était, ou est encore pour un certains nombre de Français, considéré comme un être inférieur au Blanc. Le Noir éduqué, parfois complexé, parfois révolté, a donc eu besoin de s’affirmer pour dire qu’il valait autant que le Blanc.

Pour ce qui est du Soudan et de la Mauritanie, nous pouvons penser qu’il s’agit de la même problématique. Les ‘‘Arabes soudanais et mauritaniens’’ ont une immense soif d’être reconnus comme arabes car nombreux sont parmi eux, ceux qui sont complexés par rapport au reste du monde arabe. Ce qui peut expliquer leur passion et parfois leur maladresse, leur aveuglement, dans leur tentative d’affirmation de leur « arabité ».

C’est ce besoin d’être reconnus par le monde arabe qui pousse les dirigeants « arabes ou arabo-berbères » de ces deux pays, à remuer ciel et terre pour affirmer l’arabité de leur pays au mépris de l’identité plurielle réelle de celui-ci. En plus de cette quête de reconnaissance, l’idée sous-jacente qui guide de nombreux Arabes mauritaniens et soudanais est que, dans leur imaginaire, être arabe valorise et rend supérieur au Noir.

En Mauritanie, les Berbères qui se déclarent arabes ne le sont pas puisqu’ils sont berbères. Ce qui peut expliquer leurs comportements. En Algérie, les Kabyles sont fiers de leur identité et se battent depuis des siècles pour qu’on la leur laisse, qu’on la respecte. Ils refusent d'être assimilés à des Arabes. Au Maroc, Les Berbères se sont battus pour leur identité et ils sont reconnus dans leur spécifité.

Depuis que la Mauritanie est indépendante, ce sont essentiellement des présidents d’origine berbère qui ont mené les politiques d’arabisation et qui ont, avec acharnement, œuvré pour que la Mauritanie soit reconnue comme appartenant au monde arabe. Il s’agit donc de personnes qui souffrent d’une négation d’eux-mêmes, de leur réelle identité. Une arabité complexée, morbide, qui se sent de seconde zone, qui doute d’elle-même, usurpée, conduit facilement à la violence. Les personnes porteuses d’une telle identité peuvent être dangereuses pour elles-mêmes et pour les autres car dans le déni d’elles-mêmes, elles sont facilement portées vers la cruauté. Elles peuvent aisément tuer l’autre qui semble être l’obstacle à la réalisation de leur fantasme ou objet de réalisation de leur fantasme [Le Noir est un être inférieur et donc à ne pas respecter, à dominer].

Le débat en Mauritanie serait facilité, sil n’y avait pas cette part d’ombre névrotique, s’il y avait moins de passions et un peu plus de clairvoyance. Car il y a les faits. Il y a l’histoire.

La population mauritanienne est composée de Wolofs, Bambaras, Soninkés, Berbères, Pulaars et d’Arabes. Voilà quelque chose qui est là, qui se pose comme objet. A partir de là, pour celui qui cherche l’équité, il doit se demander comment toutes ces populations peuvent vivre ensemble dans le respect mutuel.

Pour que des personnes différentes vivent ensemble pacifiquement, il faut que les droits de chacune d’entre elles soient respectés par les autres. Reconnaître l’identité de chaque Mauritanien ne peut être que source d’apaisement, de rapprochement, d’ouverture vers l’autre, de coopération.

Une fois cette étape franchie, se posent alors des problèmes d’ordre pratique. Comment faire pour que des ethnies différences cohabitent et travaillent ensemble.

Par rapport à ce que nous venons de dire, il est donc du droit de chaque Mauritanien de préserver son identité, s’il en a envie, donc d’apprendre sa langue maternelle, et il faudra en même temps trouver une langue de travail commune.

Là aussi, il faut essayer d’être objectif, lucide. Pourquoi vouloir faire de l’arabe la langue de travail ?

La langue arabe n’est pas la langue de nombreux Mauritaniens. Nous faisons la différence entre hassanya et arabe. D’autre part, l’arabe n’est ni une langue technologique avancée, ni une langue avancée des sciences exactes ou humaines ou à la pointe des connaissances moderne, ni fondatrice de la démocratie avancée et moderne. Alors soyons pratique, choisissons une langue étrangère performante pour nous développer et démocratiser, moderniser, humaniser. Il faut sortir des sentiments et de la politique politicienne, névrotique, aveugle et regarder les choses en face.

En choisissant une langue étrangère, tous les Mauritaniens sont égaux devant leurs chances. On peut recourir au français, à l’anglais. Il faudra aussi penser au chinois car il s’agit d’une langue qui pourrait jouer un rôle important sous peu.

Pour ce qui des langues maternelles, des études ont montré que lorsque l’enfant commence sa scolarisation par sa langue maternelle, puis intègre une langue étrangère, il est plus performant. Donc en Mauritanie, chacun peut commencer par sa langue maternelle puis intégrer par la suite la langue officielle choisie, ce qui permet à chacun de préserver un élément essentiel de sa culture et de s’ouvrir au monde.

Un système éducatif adapté et performant en Mauritanie aura nécessairement un coût important, mais les objectifs de progrès et de paix en valent la peine.

Parallèlement, un travail d’enrichissement des langues nationales (hassanya, bambara, wolof, soninké, pulaar) doit être réalisé, ainsi qu’un travail sur les cultures africaines. Il faut cependant sortir de leur folklorisation, telle qu’elle est parfois pratiquée actuellement dans les milieux Pulaars, Soninké, etc. Il s’agit d’œuvrer en vue de la renaissance des cultures africaines.

Pour conclure, nous dirons que malheureusement, l’histoire ne repose pas sur la raison mais sur des rapports de force. Il est donc essentiel que les populations noires et les forces progressistes imposent un rapport de force positif. Nous ne parlons pas de violence, nous parlons de rapport de forces. Une fois ce rapport de force établi, le dialogue peut s'ouvrir entre forces qui se respectent. Ce rapport de forces dépendra du sérieux des communautés noires, souvent victimes d’elles-mêmes, de leurs pratiques et attitudes. Il dépendra aussi de l’émergence d’une classe de Mauritaniens soucieux de paix et de justice.

Oumar Diagne

1 Ce tableau a été obtenu à la page Internet http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/mauritanie.htm

2 Lire Traite arabe in http://fr.wikipedia.org/wiki/Traite_arabe

Lire Tigritude contre négritude in http://www.jeuneafrique.com/article.php?

 

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