ARTICLE 482:

  

Le vrai défi

Par Cheikh Sidamine Ould Babamine, ancien ministre, ancien ambassadeur, premier président de la CENI (2005/2007)
 
LE CALAME

Conglomérat ethnique et tribal, agrégé en  entité politique et administrative centralisée, à  la faveur  de la pénétration coloniale,   la population mauritanienne, dans sa diversité  raciale a la chance de partager la même religion : l’islam. Cet  atout majeur qui constitue le meilleur ciment de son unité a  malheureusement cohabité avec  des pratiques  d’injustice et d’inégalité qu’il a souvent été instrumentalisés pour justifier ou  légaliser. 
C’est ainsi que,  cinquante ans après l’ accession  du pays à la souveraineté internationale,  notre société  continue de trainer, comme une tare congénitale,  les stigmates  d’ un système d’organisation traditionnel de castes,  fortement hiérarchisé,  qui  perpétue  des formes de rapports  moyenâgeux au sein d’une population répartie en nobles  guerriers ou marabouts, anciens esclaves , tributaires , griots , forgerons etc.
En dépit des luttes que  mènent  depuis plus de quarante  ans, des mouvements politiques représentatifs des  couches sociales les plus défavorisées  et   d’autres forces démocratiques du pays,  cet anachronisme  continue de se  nourrir, de nos jours ,  des pesanteurs de la tradition, du rapport de forces,  économiques en particulier, du nombrilisme  des uns, du fatalisme et de la  lâcheté des autres.  
 Plusieurs fois  séculaire , cette stratification   a permis aux  franges dites nobles  aussi bien parmi  les arabes  qu’au sein des populations   négro-africaines de dominer et d’ exploiter les autres castes  pour   les maintenir dans un état de dénuement économique quasi  total et  d’infériorité sociale et culturelle sourdement  résignée. Ce qui explique   et  continue  d’ entretenir  nombre  de préjugés, de  cloisonnements et de frustrations  qui handicapent et interdisent  à bien des égards  toute  évolution vers l’édification d’ un Etat et d’ une nation  égalitaires et  démocratiques ..
Aujourd’hui, à  la croisée des chemins, en dépit de quelques tentatives timides de démocratisation que le pays a connues  ces dernières années et malgré l’adoption de lois qui criminalisent la pratique anachronique de l’esclavage,  notre société  est plus que jamais  menacée dans son unité et notre Etat dans sa  pérennité.
En effet,  la   persistance et l’aggravation   de ces  disparités sociales,  économiques et culturelles  qui  ont fini par générer un discours politique  cru et  violent,  en particulier chez certains jeunes leaders de la nouvelle génération,  constituent  une grave  menace qui peut dégénérer    à tout moment. Dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité,  J.J. Rousseau disait : ‘’la force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués’’. Chez nous,  il faut être en l’occurrence aveugle et   sourd  pour   ne  pas voir et entendre les prémisses  de l’orage.

Cette  sombre  perspective  interpelle la conscience de  tous les patriotes pour  prendre ce problème à bras le corps. Le pays  doit   envisager d’ y faire face non plus  à travers  des  opérations ponctuelles d’assistanat et de replâtrages  insignifiants   mais plutôt   par une adhésion collective   à la nécessité  d’un plan    stratégique destiné  à éradiquer ce fléau  au moyen d’ une véritable politique de nivellement  de ces gaps  partout où ces inégalités sont encore notoires .
Il s’git d’un véritable plan Marshall dont le pays doit s’engager   à faire bénéficier    les  franges de sa population qui ont souffert le martyre des siècles durant,  au service des autres , en particulier les anciens esclaves. Ce sacrifice est d’autant plus indispensable  qu’il constitue, désormais,   la condition sine qua non de notre survie en tant que pays.

Dans cet ordre d’idées,  la société civile  se doit de s’investir  au niveau de la réflexion, de l’élaboration et plus tard, de l’accompagnement  d’une telle stratégie.
Il revient  aux plus hautes autorités du pays   et à la classe politique en général ,  après avoir publiquement reconnu la pertinence de la  lutte  menée par les pionniers de cette  émancipation et le mérite de tous  ceux qui y ont participé  jusqu’ici,  de se l’approprier, avec eux,  et  de la  promouvoir en vue de la  mettre en œuvre sous forme d’une politique prioritaire d’Etat.
Les objectifs  de ce plan,  à court, moyen et long termes ainsi que les ressources  à mobiliser pour leur  réalisation devraient  faire l’objet d’un consensus au niveau national  et être largement vulgarisés auprès de  nos  partenaires extérieurs.

En tout état de cause, il doit être fondé sur la reconnaissance ouverte des injustices  endurées et la ferme détermination d’y mettre fin sur la base des principes d’équité de l’Islam authentique et des valeurs universelles auxquelles le pays a souscrit. Il devra s’attaquer en priorité à l’esclavage et à ses séquelles et se placer dans la perspective d’un effort global en faveur de toutes les composantes de la société souffrant d’iniquité et d’injustice.
Je suis tenté, pour marquer l’exceptionnelle importance du sujet  et la solennité du moment,  de suggérer qu’une telle stratégie, une fois élaborée  et largement débattue au niveau national,  soit  approuvée    par la majorité  de nos concitoyens à la faveur  d’un scrutin référendaire à organiser à cet effet.


                                                             Cheikh Sid’ Ahmed Ould Babamine

  

 

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