Le
vrai défi
Par Cheikh Sidamine
Ould Babamine, ancien ministre, ancien ambassadeur, premier président
de la CENI (2005/2007) LE
CALAME
Conglomérat
ethnique et tribal, agrégé en entité politique et
administrative centralisée, à la faveur de la
pénétration coloniale, la population mauritanienne,
dans sa diversité raciale a la chance de partager la même
religion : l’islam. Cet atout majeur qui constitue le
meilleur ciment de son unité a malheureusement cohabité avec
des pratiques d’injustice et d’inégalité qu’il a
souvent été instrumentalisés pour justifier ou légaliser.
C’est
ainsi que, cinquante ans après l’ accession du pays à
la souveraineté internationale, notre société continue
de trainer, comme une tare congénitale, les stigmates d’
un système d’organisation traditionnel de castes, fortement
hiérarchisé, qui perpétue des formes de
rapports moyenâgeux au sein d’une population répartie en
nobles guerriers ou marabouts, anciens esclaves , tributaires ,
griots , forgerons etc. En
dépit des luttes que mènent depuis plus de quarante
ans, des mouvements politiques représentatifs des couches
sociales les plus défavorisées et d’autres
forces démocratiques du pays, cet anachronisme continue
de se nourrir, de nos jours , des pesanteurs de la
tradition, du rapport de forces, économiques en particulier,
du nombrilisme des uns, du fatalisme et de la lâcheté
des autres. Plusieurs fois séculaire ,
cette stratification a permis aux franges dites
nobles aussi bien parmi les arabes qu’au sein des
populations négro-africaines de dominer et d’
exploiter les autres castes pour les maintenir dans
un état de dénuement économique quasi total et
d’infériorité sociale et culturelle sourdement résignée.
Ce qui explique et continue d’ entretenir
nombre de préjugés, de cloisonnements et de
frustrations qui handicapent et interdisent à bien des
égards toute évolution vers l’édification d’ un
Etat et d’ une nation égalitaires et démocratiques ..
Aujourd’hui, à la croisée des chemins, en dépit de
quelques tentatives timides de démocratisation que le pays a
connues ces dernières années et malgré l’adoption de lois
qui criminalisent la pratique anachronique de l’esclavage,
notre société est plus que jamais menacée dans son
unité et notre Etat dans sa pérennité. En effet,
la persistance et l’aggravation de ces
disparités sociales, économiques et culturelles qui
ont fini par générer un discours politique cru et
violent, en particulier chez certains jeunes leaders de la
nouvelle génération, constituent une grave menace
qui peut dégénérer à tout moment. Dans son
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité,
J.J. Rousseau disait : ‘’la force a fait les premiers esclaves,
leur lâcheté les a perpétués’’. Chez nous, il faut être
en l’occurrence aveugle et sourd pour
ne pas voir et entendre les prémisses de l’orage. Cette
sombre perspective interpelle la conscience de tous
les patriotes pour prendre ce problème à bras le corps. Le
pays doit envisager d’ y faire face non plus
à travers des opérations ponctuelles d’assistanat et
de replâtrages insignifiants mais plutôt
par une adhésion collective à la nécessité d’un
plan stratégique destiné à éradiquer ce
fléau au moyen d’ une véritable politique de nivellement
de ces gaps partout où ces inégalités sont encore notoires
. Il s’git d’un véritable plan Marshall dont le pays doit
s’engager à faire bénéficier les
franges de sa population qui ont souffert le martyre des siècles
durant, au service des autres , en particulier les anciens
esclaves. Ce sacrifice est d’autant plus indispensable qu’il
constitue, désormais, la condition sine qua non de notre
survie en tant que pays. Dans
cet ordre d’idées, la société civile se doit de
s’investir au niveau de la réflexion, de l’élaboration et
plus tard, de l’accompagnement d’une telle stratégie. Il
revient aux plus hautes autorités du pays et à la
classe politique en général , après avoir publiquement
reconnu la pertinence de la lutte menée par les
pionniers de cette émancipation et le mérite de tous
ceux qui y ont participé jusqu’ici, de se
l’approprier, avec eux, et de la promouvoir en
vue de la mettre en œuvre sous forme d’une politique
prioritaire d’Etat. Les objectifs de ce plan, à
court, moyen et long termes ainsi que les ressources à
mobiliser pour leur réalisation devraient faire l’objet
d’un consensus au niveau national et être largement
vulgarisés auprès de nos partenaires extérieurs. En
tout état de cause, il doit être fondé sur la reconnaissance
ouverte des injustices endurées et la ferme détermination d’y
mettre fin sur la base des principes d’équité de l’Islam
authentique et des valeurs universelles auxquelles le pays a
souscrit. Il devra s’attaquer en priorité à l’esclavage et à
ses séquelles et se placer dans la perspective d’un effort global
en faveur de toutes les composantes de la société souffrant
d’iniquité et d’injustice. Je suis tenté, pour marquer
l’exceptionnelle importance du sujet et la solennité du
moment, de suggérer qu’une telle stratégie, une fois
élaborée et largement débattue au niveau national,
soit approuvée par la majorité de nos
concitoyens à la faveur d’un scrutin référendaire à
organiser à cet
effet.
Cheikh Sid’ Ahmed Ould Babamine
|