ARTICLE 462:

  

Du prix à l’aide sociale : chronique d’une exaltation de la médiocrité à l’Université de Nouakchott 


La semaine dernière j’ai eu l’honneur de m’adresser à l’opinion mauritanienne et aux autorités qui nous gouvernent pour tirer la sonnette d’alarme quant à ce qui fait l’actualité dans mon lieu de travail, en l’occurrence, l’Université de Nouakchott. Dans ce très court article, je faisais état d’une manœuvre calamiteuse en préparation liée au choix des lauréats du prix de l’enseignant-chercheur ayant eu le meilleur rendement académique de l’année écoulée. J’avais notamment souligné que les administrations des Facultés (Lettres et Sciences humaines pour ce qui est de celle où j’officie) réunies avaient unilatéralement décidé d’appliquer des critères (non écrits) qui vidaient totalement le « prix » de sa substance : les lauréats de la première édition ne pouvaient, selon eux, être candidat cette année.

Pour ce qui est du cas de la faculté des lettres, cette décision qui a été prise à l’occasion dune réunion regroupant les chefs de départements et chapeautée par le décanat (Doyen) et le service académique, montre toute la carence d’une administration universitaire qui a tout le mal d’assumer les responsabilités qui l’incombent. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on sait que le doyen, ainsi que les chefs de département d’ailleurs sont élus uniquement par leurs collègues sur la base de considérations purement raciales, politiques, syndicales et/ou de « camaraderie » ? Comment voulez-vous que ceux qui sont à la tête de nos établissements universitaires (Doyens – qui nomme les chefs des services académiques et de la scolarité – vice-doyen, chefs de départements) mettent en avant les critères d’excellence dans l’attribution des prix lorsqu’eux même savent pertinemment qu’ils ne doivent point leurs postes à l’excellence mais à une certaine camaraderie et autre accointance des intérêts du même ordre ?

C’est l’occasion de révéler que l’université de Nouakchott est la seule au monde où un Maître de conférence peut entrer en lisse avec des professeurs habilités ou des professeurs titulaire et se faire élire doyen ; où un Maître assistant (A1) peut entrer en lisse avec ses collègues plus gradés et réussir à se faire élire chef de département. Il suffit pour cela de s’assurer une majorité parmi ses collègues électeurs. La plupart du temps les votes se font sur des bases raciales, ou d’affiliation politique et/ou syndicale. Certains seraient bien tentés de me contredire, mais alors je leur demanderai de m’expliquer pourquoi, sur 7 départements de la seule Faculté des Lettres et Sciences Humaines il n y a qu’un seul Négro-africain ? Encore que pour que ce soit possible, il a fallu qu’ils ne soient que 2 enseignants tous négro-africains ! Pourquoi sur les 4 Facultés que comptent l’Université il n’y a pas un seul Doyen noir (Peuls Soninké et Haratin compris) ! Qu’on ne me dise surtout pas que c’est un hasard, car il n’y aura que les sots pour croire une telle allégation.

Mais ce n’est pas cet aspect du problème qui m’intéresse – même s’il est aussi révoltant – du moins dans le présent article. Dès lors, il devient logique et certainement facile à comprendre que lorsque l’on confie à de tels élus (Doyens et chef de service par lui nommés, chefs de département…) la tâche de déterminer des critères objectifs permettant de déterminer l’excellence, ils finissent par proposer des critères correspondant plus à l’octroie d’une allocation à tour de rôle. Voila comment une somme d’argent déboursée par l’Etat qui était destinée à promouvoir l’excellence en honorant les meilleurs enseignant-chercheurs va être distribuée comme une vulgaire aide sociale. Ce détournement d’objectif – car il s’agit bien d’un détournement qui de facto interpelle l’inspection d’Etat – loin d’être un fait isolé, traduit en réalité à une véritable crise institutionnelle qui, si elle n’est pas résorbée, conduira l’Université à la déchéance. En effet, il nous est impossible de souligner ici toutes les causes de cette crise institutionnelle, mais il y’en a une qui est fondamentale : la transposition du jeu démocratique de la scène nationale au sein de l’Université sans aucune considération pour les critères d’excellence. De sorte qu’aujourd’hui, à l’Université de Nouakchott, on peut être titulaire de DEA et être chef de département ; de même on peut être Maître de conférence (A2) et se faire élire Doyen ou Président de l’Université devant des enseignants de grade supérieur. Aussi, vous aurez beau publier (ouvrages et articles), franchir tous les grades, mais vous ne serez jamais chef de département, doyen ou Président si vous n’avez pas derrière vous un lobby solide pour négocier, et au besoin acheter les voix des électeurs qui n’ont de chercheurs que leur fiche budgétaire de l’Université ! Dans cet établissement la plupart de mes collègues n’a pas publié le moindre article dans une revue à comité de lecture. Cette situation de médiocrité se traduit d’ailleurs assez clairement dans les revendications des deux syndicats de l’enseignement du supérieur. En effet, jamais personne n’a entendu que les enseignant de l’Université sont entrés en grève parce qu’ils n’ont pas une bibliothèque équipée, des bureaux pour travailler ou une revue pour publier leurs recherches ! Leurs revendications sont toujours d’ordre pécuniaire ! La même rengaine : augmentation des salaires et sollicitation de terrains. Ils savent tellement demander des terrains que la plupart d’entre eux s’apprêtent à acquérir leur deuxième, si ce n’est leurs troisièmes lots pendant que de bien nombreux fonctionnaires de l’Etat à Nouakchott n’en ont jamais bénéficié ! Il est vrai que ceux-là n’ont pas la finesse de flouer les autorités en demandant plus de 600 lots pendant que seuls moins d’une centaine de professeurs n’avait pas encore bénéficié de terrains. Il s’agit là sans aucun doute d’un véritable complot ourdi par les syndicats du supérieur et l’administration de l’Université sur le dos de l’Etat et du contribuable mauritanien. Sur ce fait aussi l’inspection d’Etat a le devoir d’aller y voir clair ! Car existe-t-il un détournement aussi flagrant ? Mais pour que ce soit possible il faudrait que les autres institutions de la république fonctionnent, mais cela, ce sera peut être pour la Mauritanie de demain!

Nouakchott le 24/07/2010

Mamadou Kalidou BA,

Maître de conférences, Faculté des L. S. H., Université de Nouakchott



 

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