ARTICLE 439:

  

 

Le Droit d'allégeance

 

Après les générations spontanées, le droit d’allégeance 

C’est au moment où l’opinion publique avait cessé de le prévoir qu’il est arrivé : le premier remaniement du gouvernement de l’après-élection présidentielle. Pour surprendre, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a surpris. 

D’abord en conservant «son» Premier ministre, Docteur (?) Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, pourtant coupable de nombreuses défaillances. L’absence de visibilité dans l’action du gouvernement est imputable à l’incapacité d’Ould Mohamed Laghdaf à jouer son rôle de coordinateur et d’inspirateur de l’action gouvernementale. Si bien que de nombreux ministres se plaignent de ne pas pouvoir le trouver pour discuter des problèmes de leurs départements. C’est certainement ce manque de pouvoir coordonner et organiser qui est à l’origine de l’échec, désormais prévisible, de la table-ronde de Bruxelles. 

Initialement prévue en mars, cette réunion avec les bailleurs a été reportée à plusieurs reprises : pour avril, mai et enfin juin. On parle aujourd’hui d’un nouveau report pour octobre. Cette réunion peut ne jamais se tenir quand on sait l’appréhension des partenaires, premiers concernés. Appréhensions exprimées au moins par l’Union Européenne qui n’en comprend pas l’objet. S’il s’agit de présenter une panoplie de projets devant les partenaires à la manière d’un Groupe Consultatif, la Mauritanie risque d’essuyer un échec politique grave. Rien que parce que la tendance sera de comparer avec le dernier GC de Paris où la Mauritanie a pu avoir un peu plus de trois milliards dollars d’engagements. Aléatoire, d’autant plus que l’équipe n’est pas la même (euphémisme), que la situation ne joue pas en faveur du pays ni pour les bailleurs qui vivent encore les retombées de la crise économique et financière. 

Mais le Premier ministre, quatre fois reconduit par le Président Ould Abdel Aziz, est aussi à l’origine de deux crises sociales qui ont menacé la cohésion et la paix sociales. C’est bien parce que le projet d’indemnisations (transport et logement) a été mal présenté devant l’Assemblée nationale, que les syndicats ont menacé de grève. C’est bien parce qu’il a préféré traiter avec les moins représentatifs des syndicats, que le mot d’ordre de grève a été maintenu. Le gouvernement, et la présidence, ont dû par la suite déployer énormément d’efforts pour faire échouer le mouvement. 

Deuxième menace, celle qu’il a fait peser sur le tissu social à la suite de ses déclarations malheureuses sur la question de l’arabisation totale de l’administration et la présence du français en Mauritanie. Ce qu’il avait dit lors des festivités marquant la célébration de la journée de la langue arabe (1er mars) n’aurait pas été retenu, s’il n’avait pas réagi publiquement à la demande de traduction de ses propos lors de sa première sortie devant la presse. «Débrouillez-vous pour comprendre, nous sommes dans un pays arabe et vous devez parler arabe…» Grèves et menaces dans les établissements universitaires… 

Rien de tout cela ne semble affecter l’image du «Docteur», du plus impopulaire des Premiers ministres de Mauritanie. «Est-ce que nous n’assistons pas à la naissance d’un nouveau Docteur Louleid Ould Weddad ?» se demande un observateur tout en feignant d’oublier qu’il s’agit d’une autre époque, d’autres hommes, d’autres circonstances qui ne sont pas celles que nous vivons. Sauf si le Président Mohamed Ould Abdel Aziz avait décidé de commencer là où avait fini Ould Taya. 

Docteur Ould Mohamed Laghdaf ne sauvera pas seulement son fauteuil, il sauvera aussi ceux de l’éducation, coupables de … incapacité à donner espoir que le système éducatif est une priorité… de celui de la santé avec tous ses problèmes… Mais «Docteur» aura la peau de ses adversaires au sein du gouvernement. Le premier d’entre eux, Ousmane Kane jusque-là ministre des finances et son directeur du budget, Sidi Mohamed Ould Abd Eddayim. Ousmane Kane cède sa place à Ahmed Ould Moulaye Ahmed, autre rebelle à l’autorité du «Docteur». Celui-ci quitte le pétrole où il empêchait la machine des micmacs de tourner. Il est remplacé par un ancien responsable des mines qui a quand même visé (presque) toutes les autorisations de prospection et d’exploitation de ces dernières années. Sa grande expérience dans le domaine, pourra-t-elle faire oublier les chantiers ouverts par Ould Moulaye Ahmed ? Le départ de ce dernier du secteur du pétrole peut sérieusement inquiéter quant à ce qui attend la gestion de cette ressource. 

Ousmane Kane quant à lui, laisse derrière lui un ministère des finances où il avait pu «insérer» - ou maintenir – quelques compétences incontestables : le directeur du trésor, Mohamed Lemine Ould Dhehbi qui a pu maintenir le cap de la transparence contre vents et marées ; Sidi Mohamed Ould Abd Eddayim qui a malheureusement quitté la direction du budget sans raison… Des changements comme celui-là peuvent inquiéter pour la valeur des partants. Ould Abd Eddayim est unanimement apprécié pour sa rectitude et sa compétence, pourquoi l’enlever ? Kane Ousmane est l’un des meilleurs cadres du pays, il l’a prouvé (BCM, SNIM et ministère), pourquoi s’en débarrasser de façon aussi désinvolte ? Ould Moulaye Ahmed était très bien là où il était, pourquoi ne pas le laisser terminer l’entreprise d’assainissement qu’il avait commencée ? 

Au ministère de la justice, un inconnu remplace un illustre inconnu. Tous deux haratines, tous deux des professionnels du secteur. Mais que fera Me Abidine Ould Khairi que n’a pu faire Baha Ould Meida et avant lui Me Bal Amadou Tijane ? Rien. Alors ? Tout simplement la preuve que la volonté de reformer la justice n’est plus évidente. Pourquoi ne pas envoyer ici Me Hamdi Ould Mahjoub, ancien Bâtonnier de l’Ordre national des avocats, bénéficiant de plusieurs préjugés favorables, ayant la compétence sociale de pouvoir prendre tout le monde avec lui dans une éventuelle démarche de réformes ? Non. Il atterrit à la communication où l’on se prépare, il est vrai, à libéraliser. La communication ne mérite pas qu’on sacrifie les compétences d’un avocat qui a eu ses heures de gloire devant les tribunaux. 

Il est clair que le Président Ould Abdel Aziz perçoit le malaise qui existe au niveau de la communication. Avec le besoin pressant pour lui et son gouvernement de communiquer, avec la libéralisation annoncée de l’audiovisuel, avec les retards des médias publics… Mais a-t-il fait les bons choix ? Comme ministre, Cheikhna Ould Nenni aurait pu faire l’affaire. Comme directeur de l’AMI, il suffisait de faire une promotion interne. Tout comme à la Radio. Il n’y a pas mieux qu’un chevronné de l’AMI ou de la Radio pour redresser ces deux boîtes. 

Mati Mint Hammadi au ministère de la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration. Oui. Il s’agit bien de l’une de ces femmes de grandes qualités dont justement le sérieux et le sens d’écoute. Elle arrive dans un ministère – heureusement – restructuré. Mais qui vient de subir un véritable tsunami après le passage de Docteur Coumba Ba. Les meilleures compétences ont été remerciées, les plans d’action remis en cause, les réformes bâclées dans leur mise en œuvre. Avec, en toile de fond, tous les mécontentements nés des dernières mesures qui ont transgressé les textes en vigueur. 

Coumba Ba qui n’est pas comptable de son bilan – tout comme le Premier ministre et bien d’autres – se taille un nouveau ministère dit «des affaires africaines». Avec lui disparaît le département dédié au Maghreb Arabe. Est-ce une manière d’épouser les schémas Kadafiens ? Peut-être. En tout cas, cela occasionne la «dissolution» du Maghreb Arabe, poste qu’occupait Ikebrou Ould Mohamed, diplomate chevronné. 

Comme ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de l’Environnement et du Développement Durable, c’est Ba Housseinou, précédemment Secrétaire général du Ministère délégué auprès du Premier ministre chargé  de la modernisation de l'Administration et des Tic. Il remplace Dr Idrissa Diarra. Personnalité au milieu de toutes les controverses, Ba Housseinou a sévi aux technologies nouvelles où on l’accuse de nombreuses «infractions». Dont la dernière est l’octroi du marché du centre d’appel. Dans quelles conditions ? Pour le BCI, le secrétariat général des nouvelles technologies a consommé à hauteur de 95% le programme dit Programme de Modernisation de l'Administration en excluant les directions concernées de la mise en œuvre des projets. Au niveau de l’ancien ministère, on n’hésite pas à vous parler d’expertises «fictives», de contrats «fictifs», de dépenses «fictives»… Pour le visiteur, il est aisé de constater qu’il n’y a là aucune action utile, aucun impact sur la modernisation de l’administration ou sur le citoyen. 

Comme ministre de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et des Technologies Nouvelles, Mohamed Ould Khouna est maintenu. 

«C’est comme si le Président a voulu nous rappeler que nous sommes encore dans la phase des récompenses à ceux qui l’ont soutenu», affirme un observateur pour lequel les nominations de ces dernières semaines «répondent toutes à un souci d’approcher ceux en qui on a confiance». Et d’en conclure : «En période de quiétude, le gouvernant fait appel aux compétences, en période d’incertitudes, il fait appel à la confiance». 

Si l’on fait la somme des changements ces trois dernières semaines, on ne trouve aucune explication aux choix, aucun fil conducteur. Depuis le mouvement des ambassadeurs jusqu’au remaniement, en passant par la commission des Droits de l’Homme, l’IGE et les Conseils de ministres. 

Comment comprendre le déplacement de Sidi Mohamed Ould Boubacar de Madrid au Caire, au moment où le pouvoir cherche à avoir l’Espagne de son côté dans la perspective de la table-ronde de Bruxelles ? Aujourd’hui l’ambassade à Madrid n’a pas encore eu de locataire. Que fait Ould Boubacar au Caire ? Mais que diantre fait Me Mohamed Lemine Ould Haysen aux Etats-Unis ? Ne prend-on pas au sérieux notre relation avec ce pays ? … 

La Commission nationale des Droits de l’Homme, à cause des choix, a tout perdu. Elle est désormais dirigée par un fonctionnaire qui s’est occupé, il est vrai, de la question depuis quinze ans, même plus. Mais du mauvais côté. Parmi les membres figurent des noms liés à la torture, aux renseignements, à l‘exercice de l’arbitraire, à la pratique esclavagiste… assez pour décrédibiliser cette institution. 

Redéploiement du dispositif, restructuration du système, redistribution des rôles… on aurait bien voulu trouver la formule pour qualifier les derniers choix. Mais rien de tout cela ne convient. Parce qu’il n’y a pas de fil conducteur. Pas de logique. Ce qui ajoute au manque de visibilité de l’action du pouvoir, à l’illisibilité de son exercice. 

Ould Oumeir  

 Source : La Tribune n°495

 

 

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