ARTICLE 422:

  

Communauté Maure : les dangers d’un nouveau discours d’extrême droite


15-02-2010

Pr El Ghassem Ould Ahmedou


Certains échanges formulés récemment dans le cadre du débat sur la Communauté Haratine m’ont poussé à publier cette modeste contribution afin de donner mon propre éclairage sur la question, en commençant par une approche analogique tirée de l’environnement des sociétés négro africaines qui sont, à l’image de la société maure, des sociétés à castes.
Avant tout, je proposerai la définition suivante de la caste, c’est celle qui m’a paru la plus simple : Une caste est un groupe social hiérarchisé, endogame et héréditaire. Le mot vient du portugais casta (« pur, non mélangé », à rapprocher du français « chaste »). (Définition de l’Encyclopédie Wikipedia)
Bréhima Béridogo, Sociologue malien rapporte ce qui suit au sujet de la genèse du phénomène des castes au Mali :
« L’histoire du XIIIème siècle, avec la formation des castes sous le grand empire du Mali, est bien différente de celle qui prévaut de nos jours, soit huit siècles et demi plus tard. Sous le règne de Soumangourou, les forgerons étaient initialement très respectés, l’empereur étant lui-même forgeron. La victoire et l’avènement de Soundjata Keita au pouvoir changent la donne avec l’institution de clans.
Le nouveau monarque appelle tous ses généraux et dignitaires à fonder une société divisée en trente clans dont celui des hommes libres, appelés "Tontigui", celui des griots, celui des artisans dont les cordonniers et les forgerons, les "guiégnos " ou encore, le clan des esclaves, les "wolosso".
Excepté pour les esclaves, l’organisation de la société en clans n’était pas une hiérarchisation mais un partage des responsabilités. A ce titre un "Tontigui" n’était pas supérieur à un griot. Il n’avait simplement pas les mêmes fonctions sociales. (Article publié en Juin 2002)
La Communauté maure formée sur un substrat arabo berbère est pratiquement l’une des rares sociétés arabophones qui a vite épousé le moule soudano malien en développant des ramifications claniques en plus de son maillage tribal initial. A cette division en castes héritée des autres communautés négro africaines (Bambara, Soninkés, Peulhs ) s’est ajoutée un autre lignage imposée par la nature du mouvement Almoravide qui a voulu scinder en deux grandes parties la couche dominante maure se trouvant ainsi divisée en deux nouvelles castes prépondérantes que sont les Guerriers et les Marabouts.
Dans l’ensemble des castes préconfigurées et quelle que soit l’ethnie considérée (Peulh, Soninké,Touareg, Maure) le souci semble avoir été principalement orienté vers une division du travail dictée par les contraintes de l’environnement socio économiques. La division sociale en castes répondait donc beaucoup plus à un besoin de division sociale du travail et à un mécanisme de reproduction sociale et de préservation du corps social qu’à un besoin de domination ou d’exploitation.

Ce n’est que par la suite que des rapports de domination ont fini par prévaloir au sein des différentes ethnies accentuant ainsi le phénomène de l’endogamie et du refus du mariage inter caste.
Plus même, Béridogo affirme que dans la société pré coloniale malienne, la division en castes voilait la contradiction principale de la société, c'est-à-dire, celle opposant les esclaves à l'ensemble de la société. Le maître d'esclave pouvait être de n'importe quelle caste. Et suite à la création des Etats, cette contradiction opposa l'aristocratie militaire au reste de la société. En effet, l'aristocratie militaire vivait du travail de la paysannerie et de celui des artisans et des esclaves, donc du labeur des castes supérieures et inférieures, des horonw et des nyamakalaw. (Même article cité plus haut)
Tout récemment au Sénégal, en 2009, un collectif des ONGs des droit de l’homme a organisé un colloque pour décrier la marginalisation et l’exclusion de certaines couches.
Au Sénégal, ce sont les " niégnos " équivalents des Haratines Maures (ceux qui exercent des métiers manuels ) et les griots - dont l’attribution est de chanter les louanges de leurs " Nguer " (nobles) au cours des cérémonies officielles -, qui souffrent le plus de cette discrimination.
C’est dire que par la force des choses les sociétés à castes ont une curieuse manie de perpétuer le régime de l’exclusion.
C’est cette sorte de « marginalisation durable » qui a fini par faire des Haratines Maures , anciens fils d’esclaves affranchis, une sorte de nouvelle caste qui se reconnaît en tant que telle dans le miroir de l’exclusion sociale.
Et pourtant cette couche n’a rien à envier aux autres couches similaires dans les autres ethnies (Hal poulaar, Soninké, Wolof).
Toutes ces ethnies adoptent le même comportement vis-à-vis des castes en fonction des liens lignagers historiques.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir pourquoi certains ténors du Mouvement Haratine brandissent un discours de culpabilisation outrageante vis-à-vis du reste de la société ?
Autant il est plausible de combattre la marginalisation et les inégalités qui, du reste sont le lot commun de la totalité des composantes du peuple mauritanien, autant il est intolérable de faire incomber la responsabilité des statuts sociaux à ceux qui n’en sont pas les réels auteurs.
Certes la communauté Maure Haratine est l’une des plus objectivement exposées à la marginalisation et doit faire l’objet de programmes de développement orientés vers une intégration réelle….
Dans cette optique il faut que l’aristocratie Haratine, à savoir ceux qui de nos jours jouent avec le discours d’extrême droite tendant à semer la division et la haine, fassent preuve de plus de retenue…
D’autre part il faut que l’Etat cesse de comptabiliser les faveurs accordées à ses différentes composantes ethniques…
Si Messoud Ould Belkheyr est de nos jours Président de l’Assemblée Nationale, çà doit être grâce à ses qualités d’homme politique ( dont je ne partage pas les idées) mais pour lequel j’ai une grande estime…
Et l’on pourra dire la même chose de toute autre personnalité politique ou cadre Haratine ayant accédé à tel ou tel poste ou restant encore dans l’exclusion (comme c’est le cas d’un grand nombre)
Il est temps que l’Etat arrête de se présenter en distributeur de faveurs accordées à telle ou telle ethnie, à telle ou telle couche.
C’est une telle politique de dosage potentiel qui fait que les chasseurs de postes et d’avantages se portent comme faux défenseurs de « bonnes causes » dont ils font leurs éternels fonds de commerce.
Autant il n’est plus tolérable d’accorder des droits de naissances à certains, autant on ne doit pas distribuer des faveurs à telle ou telle personne sur la base de son appartenance tribale, ethnique ou de caste.
Telle est d’ailleurs l’unique finalité de l’école républicaine que de mettre fin aux droits de naissance en leur substituant le droit selon la compétence…
Sur ce sujet on pourrait me dire que la scolarisation est plus développée dans certains milieux plutôt que dans d’autres.
C’est vrai. Mais c’est à de tels problèmes structurels que le pouvoir politique doit s’atteler.
Ce que je dis à propos de certains intellectuels et aristocrates Haratines Maures est aussi valable pour certains autres cadres et intellectuels de l’Aristocratie guerrière (Arabes) qui n’hésitent pas à développer certains fantasmes nostalgiques de la période hégémonique d’antan en se donnant le seul et unique droit de régner sur les autres…
Il est aussi valable pour tous ceux parmi les intellectuels Zawayas qui continuent à se reconnaître en tant que seuls dépositaires du savoir et de l’intelligence, seuls porteurs de la civilisation et de la culture musulmane, avec tout ce que cela pourrait avoir comme corollaire…
En définitive tous les discours d’extrême droite se valent dans leur tendance à l’affrontement et à l’anarchie…


source : http://ainrim.com/tribune-ainrim.php

 

 

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