Administration
mauritanienne : D’où viennent les 5000 fonctionnaires fictifs ?
La vérification physique récente des données du recensement
des fonctionnaires et agents de l’Etat mauritanien réalisé en 2008 a donné les
résultats suivants : plus de cinq mille travailleurs fictifs (avec une marge
d’erreur encore inconnue). Par quelle gymnastique ces fonctionnaires sont-ils
devenus fictifs ? Qui profite de cette situation ?
Les fonctionnaires fictifs sont ceux dont le boulot se
limite à aller encaisser leurs paies chaque mois. Le ministère de la fonction
publique et de l’emploi a demandé à celui des finances de suspendre les
salaires des 5000 fonctionnaires concernés.
Il s’agit, selon le cite d’information AIRIM, citant une source officielle «
d’une opération qui rentre dans le cadre de la lutte contre la gabegie et qui
vise à démasquer les faux fonctionnaires et à contrôler plus strictement les
dépenses de l’Etat. »
Les fonctionnaires immigrés
Incapables de joindre les deux bouts du fait de la faiblesse des salaires,
des enseignants du secondaire et du fondamental, des instituteurs, des
infirmiers et autres agents de l’Administration mauritanienne ont abandonné
leur boulots. Direction l’Europe, l’Amérique ou les pays du golfe à la
recherche de conditions de vie meilleures. Ils ont abandonné leur boulot mais,
pour certains, pas leurs salaires. Le deal est très simple : le fonctionnaire
qui s’envole pour d’autres cieux se fait couvrir par son chef hiérarchique
direct qui s’abstient de signaler son absence. La contrepartie : ledit chef
encaisse une partie du salaire de son employé devenu fictif. Si le chef
n’accepte pas le deal, il y a une solution de rechange. Le fonctionnaire
immigré se fait couvrir par quelqu’un du budget qui fait obstruction à
l’application de la lettre de suspension envoyée par le service où travaillait
ce fonctionnaire. Les bulletins de salaires de certains enseignants continuent
d’être envoyés dans leurs établissements des années après leur départ du pays.
Les détachés
Autre source d’emplois fictifs : les détachements abusifs.
Un fonctionnaire d’un département ministériel, sur la demande d’un autre
département, peut être détaché. Un professeur de l’enseignement secondaire par
exemple, peut être détaché au ministère de la communication pour les besoins du
service public, pour y occuper une fonction précise. Ce système de
complémentarité entre ministères, au fil des ans, a été carrément détourné de
sa finalité. La majorité des détachements n’a aucun objet. Il s’agit seulement
de décharger quelqu’un de son boulot pour lui permettre d’aller faire
trafiquant de devises, boutiquier, ou d’aller simplement dormir. Dormir car le
ministère où il a été détaché n’a pas besoin de ses services.
Les cousins et les belles sœurs
Dans l’entendement collectif des mauritaniens, le bon ministre, le bon
directeur, le bon chef de service…c’est celui qui embauche le maximum de
cousins, de beaux frères, d’amis, de connaissances…Le copinage, le tribalisme,
le régionalisme…passant avant les nécessités de service, les effectifs des
directions sont gonflés à l’infini d’employés inutiles. N’ayant rien à faire au
bureau, ils finissent par devenir taximen en gardant bien entendu leurs
salaires.
Les «garagistes»
« Je suis diplomates de carrière. J’ai fait mes preuves. Actuellement, je suis
au garage. Je perçois mon salaire à ne rien faire. Je suis une charge inutile
pour l’Etat. Ce n’est pas de ma faute. Quand je vais au ministère, on ne me
donne même pas une chaise pour m’asseoir. Je veux bien travailler, être utile à
mon pays. J’en ai les compétences et l’expérience mais l’Etat ne m’en donne pas
la possibilité. » Témoignage d’un fonctionnaire du ministère des affaires
étrangères. A propos de certains fonctionnaires mauritaniens, on entend souvent
: « il est au garage au ministère de la justice, de l’éducation nationale, de
la santé… » Etre au garage, c’est être officiellement employé du service public
sans avoir de tâches particulières hormis aller boire du thé au bureau chaque
matin et tourner dans les couloirs. Dans la situation de « garagiste » on
trouve très souvent des hauts fonctionnaires qui ont perdu leurs postes ou
leurs responsabilités.
Les morts
Une dernière catégorie très spéciale de fonctionnaires fictifs : ceux qui, du
fond de leurs tombes, continuent à percevoir leurs salaires.
Pour échapper à leurs créanciers, il est cité des exemples de débiteurs qui se
sont fait faire des certificats de décès. De la même manière, il a été omis de
déclarer la mort de fonctionnaire pour continuer à profiter de leurs largesses
éternellement.
La gabegie, dans une administration, c’est « le désordre qui
a pour conséquence des dépenses exagérées, des pertes d’argent.» Dans
l’Administration mauritanienne, des décennies de mauvaise gouvernance, de
clientélisme, d’injustice…ont fait que la gabegie est devenue une mentalité. Le
désordre n’est pas dans les lois, il est dans les têtes.
Sur la liste des fonctionnaires à suspendre envoyée par le ministère de la
fonction publique et de l’emploi au ministère des finances, il y a des travailleurs
ponctuels, effectivement en exercice. Ils doivent y être enlevé avec diligence,
leur présenter des excuses s’il le faut. Pour ceux qui n’existent pas, il est
temps de faire comprendre qu’on ne peut plus indument profiter de l’Etat.
Khalilou Diagana
Le quotidien de Nouakchott
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