ARTICLE 396:

  

 

Esclavage : Le monstre refuse de mourir

LE CALAME

 

«Des cas lourds d’esclavage, à la fois dans leur forme traditionnelle et moderne,  persistent, en Mauritanie», selon madame Gulnara Shahinian, rapporteur spécial de l’Organisation des Nations-Unies (ONU)  sur les formes contemporaines d’esclavage.
Ce constat figurera en lettres majuscules, dans le rapport de l’expert indépendant de l’organisation mondiale, qui a conduit une mission de dix jours dans notre pays, du 24 octobre au 4 novembre dernier. D’où une série de recommandations adressées au gouvernement et à toute la société mauritanienne, pour une élimination, définitive, du fléau, par une  stricte application de la loi et des mesures d’accompagnement, au plan économique et social.

Au cours de ce voyage, madame Shahinian a rencontré les autorités gouvernementales, la classe politique, la société civile, des universitaires, etc. Elle s’est, également, rendue à l’intérieur du pays, bouclant son activité par une conférence de presse, organisée le mardi 3 novembre, à la représentation du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), histoire de partager les conclusions d’une mission qui risquent de tomber comme cheveux dans la soupe d’une «nouvelle» Mauritanie prônant la rupture avec toutes les pratiques honteuses du passé.  Dans le rapport de l’expert indépendant, de  nombreux  passages argumentés, véritables interpellations à la conscience de tous, viennent attester de l’ampleur et de la persistance du phénomène, 28 ans après son abolition formelle et plus de 2 ans après l’adoption d’une loi stigmatisant et criminalisant la pratique. Un entêtement social dont les résultats,  désastreux, font que des hommes et des femmes continuent à vivre une condition humaine et une  situation de «marginalisation, inchangée depuis des centaines d’années»: travailleurs domestiques sans salaire, privés de tous les droits, bergers, garçons et filles à tout faire, parfois victimes de sévices physiques, descendance privée d’héritage, etc. Une manière de dire que, même si «les chaînes du Moyen-âge ont disparu, la pression subie, actuellement, produit les mêmes conséquences».
Ainsi, en ce début de 21ème siècle marqué par tous les progrès, nous avons, encore, sur nos terres, des hommes, des femmes et des enfants travailleurs «non libres et, généralement, non-rémunérés, qui seraient, juridiquement, la propriété d’une autre personne». Une pratique venue des profondeurs des temps, qui a, certes, fortement diminué, dans les grandes villes, mais qui persiste, dans certaines contrées reculées. La responsabilité de cette situation est imputable à tous. Les autorités mais aussi la classe politique, la société civile, les intellectuels et la presse. D’où l’obligation légale et morale, pour tous, d’apporter une contribution au combat, en vue de l’éradication définitive de cet archaïsme. Pour vaincre ce déni de liberté, venu de la nuit des temps, pis-aller en d’autres temps moins civilisés, et pratiqué par pratiquement toutes les sociétés humaines, à divers degrés, le chapelet de recommandations, soumis aux autorités mauritaniennes, par le rapporteur spécial de l’ONU, tourne sur la nécessité de traiter la question de manière transversale et dans toutes ses dimensions: judiciaire, juridique, économique et sociale. Les outils: rendre  l’éducation obligatoire, pour tous les enfants, en allant bien au-delà de l’adoption formelle d’une loi dont on ne se donne pas les moyens légaux et matériels d’application; interdire le travail des enfants; renforcer les programmes socio-économiques, en faveur de la promotion des victimes, avec l’appui de tous les partenaires au développement. 

Au-delà d’un désolant tableau, une  petite lueur d’espoir.  Madame Gulnara Shahinian note, avec satisfaction, la volonté des autorités gouvernementales d’aller dans le sens d’une éradication définitive du phénomène. Ce qui expliquerait le séjour de la mission en Mauritanie. Une thèse à laquelle ne semblent pas adhérer les ONGs de lutte contre l’esclavage, SOS Esclaves et IRA. Celles-ci relèvent, notamment, que, depuis l’adoption de la loi de 2007 et en dépit de nombreuses dénonciations de cas d’esclavage, «aucune jurisprudence condamnant les contrevenants n’existe, encore, au niveau des tribunaux». Ce qui pose le problème de l’impunité pour les présumés auteurs de ces pratiques. Estimant que les victimes sont «faibles et incapables de défendre leurs droits», ces associations réclament, en vain depuis plusieurs années – on se demande bien pourquoi ne leur reconnait-on pas ce droit d’assistance – une législation leur ouvrant la voix d’une constitution de partie civile, à chaque fois qu’une présomption d’esclavage est portée devant les juridictions.

En fait, la divergence fondamentale entre les autorités et les ONGs est d’ordre sémantique: pendant que le gouvernement parle d’éradication des séquelles, les associations exigent la fin de l’esclavage. Reste, alors, à savoir si les séquelles et la pratique encore actuelle, telles que développées dans les deux thèses, donnent des résultats similaires, dans le quotidien des victimes… En tout cas, l’argutie sémantique ne peut justifier la carence des tribunaux. La loi existe et c’est bien sa stricte application, fût-elle occasionnelle, qui prouvera la volonté politique.  Pas les discours.

A. Seck.

 

 

 

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