ARTICLE 395:

  

Douaniers : Enrichissement à très grande vitesse !

Surprenant ! Il a suffit qu’une information non encore officielle, soit ébruitée au sujet d’un concours qui aurait lieu à la douane, pour que des milliers de jeunes chômeurs prennent d’assaut son administration en vue de tenter de faire enregistrer leurs dossiers de candidatures par des tiers ou des recommandations. Parce que, selon eux, les recrutements par voie de concours dans ce corps ne se font pas dans la transparence. Et pourtant ce corps qui avait bonne réputation, en manque cruellement aujourd’hui.

Cette mauvaise réputation est marquée par des affectations arbitraires. Dans le Guidimakha et le Brakna par exemple, un directeur régional qui cumulait ces deux wilayas, n’a pas hésité, une fois mutée à Kaédi, à placer à des postes stratégiques ses protégés (neveu, cousins et autres) qui venaient tout juste de sortir d’une formation en les bombardant chef de poste ici ou là. Des anciens plus gradés se sont vu affectés ailleurs sans autre forme de procès, quand ils ne sont pas commandés par les nouveaux arrivants. Manière sans doute de mieux contrôler les circuits. Mais alors, qu’est ce qui fait tant courir ces candidats dès lors que la douane n’inspire pas confiance dans l’organisation transparente de ce concours ? Disons-le, en vérité, une carrière dans les Douanes, même brève, fait rêver de nombreux jeunes mauritaniens tentés par l’ascenseur social. A la douane, c’est visible, on s’enrichit vite. Raison pour laquelle, même si la réputation de cette administration fiscale de la douane censée protéger l’économie nationale, contrôler les flux commerciaux et renflouer les caisses du Trésor est écornée, ils n’en ont cure. En tout cas l’opinion, elle, sait parfois se montrer intraitable dans ses jugements. « Les Douanes ? Un des milieux les plus corrompus que je connaisse. Je ne parle pas du simple douanier qui fait passer quelqu’un pour un savon ou un paquet de cigarettes, je parle des chefs qui brassent des milliards avec la bienveillance de l’Etat. Je parle des containers qui disparaissent des ports sans laisser de trace ». Ce tag au vitriol est un refrain de tous les jours dans la bouche du citoyen lambda et qui résume toute la charge négative que peut véhiculer l’administration des Douanes. Les douaniers, disent les citoyens, « n’aiment pas partir à la retraite ! ». L’enrichissement rapide de certains agents douaniers fait tache d’huile et a parfois valeur d’exemple. Après trois ans passés en prison, A.S, ancien brigadier des Douanes, la quarantaine, sort persuadé désormais de « mériter » de jouir des biens mal acquis durant sa courte carrière. Le douanier tirera plusieurs fois le « gros lot » grâce à son poste au niveau du Port Autonome de Nouakchott. Un poste « juteux », une « machine à cash ». Pour chaque container dédouané sans subir les vérifications d’usage, le douanier touche une mirobolante commission. « Mais avant de me faire prendre, j’ai eu largement le temps de mettre ma famille à l’abri du besoin pour plusieurs années ! », dit-il sans le moindre état d’âme. L’enrichissement fulgurant d’agents et de cadres, symptomatique du mal qui ronge l’institution douanière, fait scandale quelque part au moins. « Il est indécent, honteux que des agents qui entament à peine une carrière puissent mener, sans rendre de comptes, un fastueux train de vie, rouler carrosse et s’acheter des résidences haut standing », réagit un ancien haut responsable des douanes. La corruption étalée impunément au grand jour est-elle pour autant l’avatar exclusif de cette institution ?

Le silence, loi implacable du milieu

« La corruption est là, elle existe, mais pas avec les proportions qu’on lui prête. Il serait en effet erroné de se focaliser uniquement sur les Douanes et oublier des nids de corruption encore plus importants », avertit le haut responsable. « A des degrés variables, toutes les douanes du monde sont touchées par la corruption. Je ne dis pas que chez nous la corruption est moins importante, moins grave, je dis que les grosses commissions sont à chercher plutôt dans des secteurs comme l’énergie, les mines, les gros marchés de travaux publics, etc ». Secret de polichinelle, la corruption ne fait pas moins grincer des dents. Il est presque tabou d’en parler. L’omerta, la loi du silence, est dans le « milieu » une règle d’or. Une règle de survie. Le sort réservé aux rares « gorges profondes » des diwana aura valeur d’exemple. Gare à celui qui aura la témérité d’enfreindre la loi du milieu. Elle est implacable et sans pitié. Par exemple, un douanier qui fait des révélations sulfureuses sur les circuits de contrebande dans le pays et c’est la descente aux enfers qui le conduira droit dans le box des accusés pour faux et usage de faux, puis à l’exil. Ce qui est scandaleux c’est de constater qu’aucune des grandes affaires impliquant les Douanes ne sont suivies d’effets réels. « Dès qu’un scandale éclate, aussitôt se met en place une sorte de solidarité institutionnelle. Les dénonciateurs se retrouvent dans le box des accusés alors que les auteurs du crime sont maintenus à leurs postes, parfois promus par leur hiérarchie, et ce quand bien même ils pouvaient être sous le coup de condamnations comme c’est effectivement le cas pour certains », observe un inspecteur des douanes ayant requis l’anonymat.

Transitaires et commissionnaires en douane sont désarçonnés

La peur, la crainte des représailles, le bras long de la « mafia politico financière » étouffent toute velléité de porter sur la place publique des faits liés à la corruption. Suspicieux, nos différents interlocuteurs, des intervenants dans la sphère interlope du commerce extérieur, ravalent leur langue, pèsent chacun des mots qu’ils prononcent. « Mais c’est une maison de verre, les douanes ! Une institution de l’Etat qui ne peut admettre des corrompus dans ses rangs », répond, sarcastique un commissionnaire en douane. La simple évocation du mot « corruption » fait dresser les cheveux de certains. « Mais qu’avez-vous, vous la presse, à seriner à longueur de journée ces histoires de corruption ? Dites à ceux qui vous ont envoyé que nous n’avons pas de corruption chez nous ! », s’offusque un transitaire bien connu de la place. Les enquêtes de terrain montrent qu’au-delà des transactions occasionnelles, les partenaires - réseaux de corruption douanes - cherchent fréquemment à pérenniser les transactions corruptrices, autrement dit à les transformer en relations sociales stabilisées de type ”clientéliste”. C’est le cas des ’’couples” formés par les commerçants importateurs et les douaniers : la longue fréquentation, le partage des mêmes lieux de travail et la maîtrise des mêmes systèmes normatifs créent des espaces de collusion et favorisent le développement de véritables idées complémentaires de corruption où les relations monétaires sont noyées dans les relations de proximité (échange de faveurs, invitations réciproques. Les « réseaux de corruption » ne se contentent pas de recruter parmi les cadres et agents douaniers, ils ratissent large. Le transitaire, de par sa connaissance parfaite des « hommes-clés » au niveau des services douaniers, est une des pièces maîtresses du système. « C’est lui qui négocie, parfois règle, pour le compte du client, les marges à verser », affirme un transitaire. « Dans la sphère du commerce extérieur, la corruption est la règle et non l’exception. Elle est quasi institutionnalisée. Organisée en réseau, elle met à contribution douaniers, membres des services de sécurité et même de simples employés des ports et aéroports. Tout ce beau monde se sucre au passage, y compris parfois le gardien posté à la sortie du port ou le manutentionnaire à qui il faut ”graisser la patte” pour hâter le chargement d’un container », ajoute-t-il. « Cela ne fait pas de nous des corrupteurs en puissance, au contraire, nous sommes les dindons de la farce, les maillons faibles du système », conclut-il. La corruption est devenue systémique et généralisée, doublée d’une utilisation en quantité industrielle du « faux ». Transitaires et commissionnaires en douane ne savent où donner de la tête. Faux registres d’importation, fausses déclarations, fausses domiciliations bancaires, fausses procurations etc. ils se disent assaillis par les faux documents.
Pauvres candidats, comprenne qui pourra leur amour pour ce métier !

Nouakchott Info

Moussa Diop

 

 

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