ARTICLE 386:

  

L’esclavage moderne - II

Dans le blogue précédent, j’ai abordé l’esclavage moderne, me référant surtout aux conditions rencontrées en Mauritanie, au Mali, au Niger et dans plusieurs autres pays de l’Afrique de l’Ouest et du Nord.

Sans aucun doute, les conditions vécues par ces esclaves modernes – il y aurait quelque chose comme 1,5 million d’esclaves dans ces trois pays seulement – sont éprouvantes. Mais en visitant ces pays à titre de journaliste, j’ai été confronté à des limitations importantes.

En tant que Canadien, j’ai tendance à percevoir les choses en termes de catégories simples. Ou bien il y a des esclaves, ou bien il n’y en a pas, et tout le monde devrait s’entendre là-dessus. Sauf que dans le cas des esclaves modernes en Afrique de l’Ouest, je ne suis pas sûr que de telles catégories s’imposent.

Dans le Sahara, il est difficile pour les étrangers de retirer le voile et de comprendre ce qui s’y passe réellement (j’ai pris cette photo de ma file Myriam en Mauritanie)

Dans le Sahara, il est difficile pour les étrangers de retirer le voile et de comprendre ce qui s’y passe réellement (j’ai pris cette photo de ma fille Myriam en Mauritanie)

1) Le Sahara est une vaste région sauvage, où les choses sont rarement ce qu’elles semblent être à premier abord. Il est difficile pour les étrangers de retirer le voile et de percevoir ce qui s’y passe réellement. Par exemple, en tant que Canadien, je m’attendrais à ce qu’un contrôle gouvernemental effectif s’exerce sur l’ensemble du territoire national. Toutefois, en Mauritanie et au Mali, pour ne parler que de ces deux pays, les régions sahariennes que j’ai parcourues constituent à toutes fins pratiques un genre de « no man’s land », duquel le gouvernement est absent, et où le banditisme a libre cours, sans oublier les agents ou alliés d’Al Qaéda qui seraient derrière une série de disparitions, d’enlèvements et de prises d’otages récents, en particulier au nord de Tombouctou. Lorsque j’ai rencontré des Touaregs près de Tombouctou, leur attitude envers moi semblait changer continuellement, à l’image des dunes qui se déplacent et se reconstituent continuellement sous l’effet du vent, ou encore à l’image des taguelmoust ou foulards bleus que les Touaregs eux-mêmes n’arrêtaient pas d’ajuster devant leurs visages, comme pour me cacher leur intentions. Comment un gouvernement national peut-il faire appliquer la loi en plein désert, où de vieilles coutumes tribales continuent de prévaloir? Comment un Canadien peut-il se faire une bonne idée de ce qui se passe dans un contexte culturel où les gens ont tendance à dire ce qu’ils pensent que vous voulez entendre, en particulier pendant des entrevues enregistrées? L’esclavage est un sujet fort délicat. Certains esclaves noirs mâles se font castrer dans le nord du Mali, afin que leurs maîtres puissent les laisser seuls au camp avec des femmes touaregs. D’autres esclaves de font battre, abuser sexuellement, manipuler et exploiter jusqu’à la mort. En Mauritanie et au Mali, j’ai été consterné de voir qu’on faisait tout pour me cacher des pratiques courantes, telles l’esclavage et le système des castes, des pratiques généralement admises comme honteuses ailleurs dans le monde.

En entrevue, je trouvais que les Mauritaniens me disaient souvent ce qu’ils pensaient que je voulais entendre

En entrevue, je trouvais que les Mauritaniens me disaient souvent ce qu’ils pensaient que je voulais entendre

2) En Mauritanie, l’esclavage a été officiellement aboli à trois reprises. Pourtant, l’esclavage persiste encore de nos jours. Cela veut-il dire que la première abolition a été ratée, nécessitant deux tentatives ultérieures pour enrayer cette pratique inhumaine? Cela veut-il dire plutôt que l’abolition formelle de l’esclavage en Mauritanie a été une abolition pour la galerie seulement – serait-elle une stratégie de relations publiques bénéficiant surtout à la politique extérieure du pays, de sorte que le gouvernement se donne l’air d’avoir fait des progrès en termes de droits de l’homme, tout en continuant secrètement à cautionner le fait que de très nombreux Maures blancs continuent à exploiter des centaines de milliers d’esclaves noirs? Il m’a fallu une semaine de négociations avec le Ministère des communications de la Mauritanie, à Nouakchott, avant de pouvoir quitter la capitale et partir en expédition dans les régions désertiques du pays. Les fonctionnaires au ministère ont été très clairs sur la volonté de leur gouvernement d’obtenir de l’aide internationale occidentale, y compris canadienne, et sur leur crainte que des reportages sur les violations des droits de l’homme au pays puissent menacer l’obtention d’une telle aide. Enfin, je me demande si la triple abolition de l’esclavage en Mauritanie ne sert pas plutôt à illustrer mon point précédent – à savoir qu’il n’existe aucun contrôle gouvernemental effectif dans la plus grande partie du pays?

J’ai enregistré cette chanson traditionnelle haratine, Mariam, dans le Sahara

3) En Mauritanie, 20% de la population doit se débrouiller avec l’équivalent d’un dollar de revenus par jour. Si des esclaves haratine étaient soudainement libérés par des Maures blancs, dans les régions désertiques éloignées du pays, comment y survivraient-ils, à moins de rester au service de leurs maîtres? D’après ce que j’ai vu, même les Maures blancs vivant dans le désert sont pauvres, selon les normes canadiennes. Ils marchent pieds nus dans le désert brûlant; à l’aide d’une pelle ils creusent des puits de 65 mètres de profondeur afin d’y trouver de l’eau pour leurs troupeaux; ils possèdent peu de biens en dehors de leurs chameaux, chèvres, dattes, tentes, vêtements … et esclaves.

Les oasis dans le désert mauritanien restent sous le contrôle es Maures blancs

Les oasis dans le désert mauritanien restent sous le contrôle des Maures blancs

4) Les oasis en Mauritanie sont contrôlés par des Maures blancs. Privés  de capital et d’accès à l’eau – la ressource la plus précieuse dans le désert – comment les esclaves haratine affranchis survivraient-ils, à moins de migrer vers la ville?

5) J’ai été frappé par un commentaire fait par Romana Cacchioli, d’Anti-Slavery International à Londres, que j’ai interviewée pour mon blogue précédent. Elle a déclaré: «En Mauritanie, l’esclavage est renforcé par des interprétations erronées de l’Islam. On dit aux esclaves que c’est ce qu’Allah a ordonné. Le Paradis de l’esclave est donc de se retrouver aux pieds de son maître, et de lui obéir. Si l’esclave s’évade de son maître, l’esclave s’éloigne  de l’Islam». Or, ce n’est pas vraiment le rôle d’un ONG séculier de préciser quelle position doctrinale il est convenable de prendre dans une religion donnée. D’ailleurs, contrairement à l’Église catholique romaine, il n’existe en Islam aucune autorité doctrinale hiérarchique et centrale. La Mauritanie est tout de même une république islamique. En effet, il est courant dans le monde islamique et ce depuis très longtemps, de faire une distinction très nette entre les droits légaux des musulmans et ceux des non-croyants. Depuis des siècles, il existe un débat dans le monde islamique quant à savoir si les musulmans de langue arabe devraient réduire en esclavage des Africains noirs, surtout si ces derniers sont eux aussi musulmans. Je pense par exemple à Ahmed Baba, ce savant noir de Tombouctou qui a écrit sur ce sujet aux 16e et 17e siècles, suite à l’invasion et à l’anéantissement marocains de Tombouctou. Sans doute serait-il plus approprié de dire que les interprétations coraniques faites en Mauritanie et qui justifient l’esclavage sont «obscurantistes» ou «condamnables».

Je reviendrai sur ce sujet.

Lorsque j’ai rencontré des Touaregs (comme ce marabout) près de Tombouctou, leur attitude envers moi semblait changer continuellement, à l’image des taguelmoust ou foulards bleus qu’ils n’arrêtaient pas d’ajuster continuellement devant leurs visages

Lorsque j’ai rencontré des Touaregs près de Tombouctou au Mali (comme ce marabout), leur attitude envers moi semblait changer continuellement, à l’image des taguelmoust ou foulards bleus qu’ils n’arrêtaient pas d’ajuster devant leurs visages

Source :  http://www.evidentia.net/fr/2009/09/justice/contemporary-slavery-ii.html

 

Contemporary slavery - II

In the previous blog, I wrote about contemporary slavery, referring to conditions in Mauritania, Mali, Niger and several other West/North African countries.

I have no doubt that the conditions of these contemporary slaves – there may be something like 1.5 million slaves in these three countries alone – are difficult. But in visiting these countries as a journalist, I faced several important limitations.

As a Canadian, I tend to see things in either-or categories. Either there are slaves, or there are not, and everyone should agree about that. Except that in the case of contemporary West African slaves, I am not sure the categories are quite the same.

It is hard to remove the veil, and understand what is really happening in the Sahara (I actually took this photograph in Mauritania of my daughter Myriam

It is hard to remove the veil, and understand what is really happening in the Sahara (I actually took this photograph in Mauritania of my daughter Myriam)

1)    The Sahara is a vast, uncontrolled region, where things are seldom what they seem. It is hard for foreigners to pull back the veil and perceive what is really happening. For example, as a Canadian, I would expect effective government control to be exercised over the entire national territory. However, in Mauritania and Mali, at least, the Saharan regions I toured were a virtual no-man’s-land, with no effective government presence, and actually a lot of active banditry not to mention so-called Al Qaeda operatives or allies, who may be behind a series of recent disappearances, kidnappings and hostage-takings, particularly north of Timbuktu. When I met Tuaregs near Timbuktu, their attitude towards me was constantly shifting – much like the sand dunes moving along and recreating themselves under the effect of the wind, or the taguelmoust or head scarves of the Tuaregs themselves, which were being continually shifted and readjusted over their faces, as if to hide their intentions. How can a national government enforce the law in a context of open desert, where ancient tribal customs still prevail? How can a Canadian get a good grasp of what is happening in a cultural context where people tend to say what they think you want to hear, especially when being interviewed? Slavery is a touchy subject. Some black male slaves are castrated in northern Mali, so they can safely be left alone with Tuareg women. Others are beaten, sexually abused, manipulated, or worked to death. Mauritania and Mali struck me as countries where people did their utmost to conceal practices from me, which the world generally considers shameful, such as slavery and the caste system.

In interviews, I found people in Mauritania often said what they thought I wanted to hear

In interviews, I found people in Mauritania often said what they thought I wanted to hear

2)    In Mauritania, slavery has been officially abolished three times. Yet slavery persists, even today. Does this mean that abolition didn’t work the first time, so subsequent government initiatives were needed to eradicate this inhumane practice? Does it mean that formal abolition has turned out to be a kind of window-dressing, mainly in service of Mauritania’s foreign policy, so that the government can appear to be making progress in terms of human rights, while continuing secretly to allow the country’s White Moors to hold hundreds of thousands of black slaves? It took me one week of negotiations with Mauritania’s communications ministry, in Nouakchott, before I was allowed out of the capital and into desert regions of the country. The ministry officials I spoke to were very clear about their government’s desire to obtain international development aid from Western countries, including Canada, and their concern that my reporting about human rights violations in the country would threaten their government’s chance of obtaining this aid. Or does the triple abolition of slavery in Mauritania actually serve to illustrate my previous point – namely, that there is no effective government control over large regions of the country?

I recorded this traditional Haratin song, Mariam, in the Sahara

3)    In Mauritania, 20% of the population seems to get by on the equivalent of one dollar a day. If Haratin slaves were suddenly freed by White Moors, in remote desert regions of the country, how would they survive, unless they remained in service to their masters? I found even the White Moors of the desert were poor, by Canadian standards. They walked barefoot in the scorching desert; they dug 65-metre deep wells with a hand shovel in order to find water for their herds; they had few possessions beyond their camels, goats, dates, tents, clothes … and slaves.

Desert oases in Mauritania are controlled by White Moors

Desert oases in Mauritania are controlled by White Moors

4)    Oases in Mauritania are controlled by White Moors. Lacking any capital, lacking access to water, the most precious resource in the desert, how could freed Haratin slaves survive, unless they migrated to the city?

5)    I am struck by a comment by Romana Cacchioli, of Anti-Slavery International in London, whom I interviewed in my previous blog. She said “In Mauritania [Haratin slavery] is underpinned by erroneous interpretations of Islam. Slaves are told this is what Allah has ordained. The Paradise of the slave is at the feet of his master, by being obedient. If the slave runs away from the master, the slave runs away from Islam.” It is not really the role of a secular NGO to say what is the correct doctrinal positition to take in a religion. Besides, in Islam, there is no central hierarchical doctrinal authority the way there is in the Roman Catholic Church. And Mauritania is officially an Islamic Republic. There is a long-standing tradition in the Islamic world of according more legal rights to Muslims than to non-believers. There has been a debate in the Islamic world for many centuries about whether Arabic-speaking Muslims should enslave black Africans or not, especially if these latter are Muslim. I am thinking for example of Ahmed Baba, the black scholar of Timbuktu, who wrote about this subject in the 16th and 17th centuries, following Morocco’s invasion and destruction of Timbuktu. Doubtless a better way of describing Mauritanian interpretations of the Qu’ran which justify slavery is to say that these interpretations are “obscurantist” or “worth condemning”.

I will return to this subject.

I found that the attitudes towads me of Tuaregs were constantly shifting, like the taguelmoust or carf they wore over their faces, like this marabout near Timbuktu

I found that the attitudes towards me of Tuaregs (like this marabout) near Timbuktu, Mali were constantly shifting, like the taguelmoust or scarves they wore over their faces

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September 29, 2009 | Tags: appearance and reality, eslavage, Haratine, Maures blancs, semblance et réalité, slavery, Touaregs, Tuaregs, White Moors | Category: Justice | 1 comment

 

Traduit par George Tombs

Source : www.evidentia.net

 

 

 

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