ARTICLE 356:

  

Crise de l’AJD/MR :
Comment Sarr a perdu 4 ministères et 10 députés

 
TAQADOUMY

Le président de l’Alliance pour la justice et la démocratie /mouvement pour la rénovation (AJD/MR) a été l’un des premiers hommes politiques mauritaniens à soutenir le putsch mené, le 6 août 2008, par le Général Ould Abdel Aziz. Ibrahima Moktar Sarr rêvait de devenir le premier vice-président de la Mauritanie mais l’illusion s’éloigne, à mesure que le pouvoir de Ould Abdel Aziz se consolide.

 

Tout a commencé par l’idée, selon l'AJD/MR, de créer le poste de vice-président qui échoit à une ethnie différente de celle dont un membre a remporté la présidentielle. Ainsi,  une fois la magistrature suprême remportée par un arabo-berbère, le second personnage de l’Etat serait, de facto, un négro-mauritanien.

Fin tacticien, Aziz laissera Sarr y croire, sans rien lui promettre. De plus, la majorité favorable au putsch fera miroiter, aux partisans de Sarr, un probable désistement mutuel, dans les circonscriptions qu’il est susceptible de gagner.

A Nouakchott l'AJD/MR possède deux places fortes (Sebkha et El Mina) ainsi que la Mouqataa de Riadh où elle peut obtenir un ballottage favorable. Dans la Wilaya du Guidimakha,  Seïlibaby figure parmi les places fortes, tout comme M'bagne, Bababé et Boghé dans le Brakna. Au Gorgol, le Parti peut compter sur Maghama. S'ajoutent à cela deux capitales régionales, Kaédi et Nouadhibou où Sarr escompte faire au moins jeu égal avec la majorité.

Dès lors, le calcul de l’AJD/MR se simplifiait : améliorer le score de 2007, l’objectif étant de dépasser la barre psychologique des 10%, si possible arriver 4ème, c'est-à-dire après Aziz, Messaoud et Ahmed, mais devant Ely (que tout le monde à l’époque voyait parmi le quatuor de tête) et Jemil.

Fort d’un tel score, Sarr imposerait alors le poste de vice-président à Aziz et lui arracherait au moins 4 portefeuilles ministériels. Après tout, avec ses 8% en 2007, Messaoud obtenait 4 maroquins et la présidence de l’assemblée nationale. Si l’on ajoute au profit le désistement mutuel, Sarr eût obtenu, en sus, 10 députés, dans le meilleur des cas. Dans le pire, l’AJD/MR comptait négocier, proportionnellement à son score.

Même au fil de ses pires cauchemars, le président de l’AJD/MR ne prévoyait la possibilité d’une victoire d’Aziz au premier tour, victoire d’autant plus précieuse pour ce dernier qu’il ne la doit à personne.

Or, avant cet évènement surprenant, Sarr a été contraint d’avaler couleuvre sur couleuvre, de passer pour un soutien des putschistes, d’accepter de jouer le rôle de lièvre dans la présidentielle différée du 6 juin 2009 ; ensuite, il se retrouve obligé de porter plainte contre le journaliste Hanevi Ould Dehah, afin de permettre, à Aziz, de frapper, en pleine campagne, l’un des organes de presse les plus hostiles au putsch.

Une fois qu’il a tout sacrifié afin de garantir le succès d’Aziz, il récolte une série de revers : d’abord son score à la présidentielle diminue de moitié, par rapport à celui de 2007, ensuite le deuxième tour n’aura pas lieu ; donc la négociation pour la vice-présidence de la République s’annule dans une caducité sans appel.

Puis arrive la formation du gouvernement. Pas le moindre coup de fil, ni la moindre invitation pour une audience présidentielle et ce alors que Sarr (énième couleuvre) s’empressait de reconnaître l’élection d’Aziz, avant même que le Conseil Constitutionnel – pourtant auteur d’une célérité suspecte – ne se prononçât.

Et à la fin, tombe
le jugement : alors que Sarr réclamait 5 ans de prison et 30 millions d’UM d’amende à l’encontre de Hanevi, le voilà débouté par la justice qui relaxe le Directeur de publication de Taqadoumy, des chefs d’accusation de diffamation et le condamne, à 6 mois de prison et 30.000 UM pour "atteinte aux bonnes mœurs" ; la justice sanctionne ainsi un l’article d’une jeune anonyme, sur le forum de Taqadoumy et intitulé "je suis libre, alors laissez-moi faire l’amour".

Hanevi appartient à un courant de pensée qui a toujours partagé et défendu les préoccupations de Sarr. De plus, comme Sarr, Hanevi est journaliste et poète de talent ; les deux sont liés par le souvenir partagé de l’amitié de feu Saïdou Kane, président de Conscience et Résistance à laquelle Hanevi appartient, mais aussi l’un des fondateurs des FLAM, dont Sarr était membre. Et enfin, Sarr lui-même est ancien détenu politique, donc, toutes proportions gardées, comme Hanevi aujourd’hui.

Après avoir rêvé du poste de vice-présidence pour lui, de 10% à la présidentielle, de 4 ministères et 10 sièges de député, Sarr se retrouve avec un peu plus de 4% des votes, et toujours le même nombre d’élu, c'est-à-dire pas un conseiller municipal. Il s’agit d’une régression à la fois arithmétique et morale, d’ailleurs non dénuée d’injustice tant l’homme, par sa stature et son engagement, méritait peut-être plus que son ambition du moment.

Ould Abdel Aziz est élu président. Après avoir réussi à brouiller les raisons de la détention de Hanevi, grâce au concours précieux de Sarr, Aziz laisse faire la justice et celle-ci condamne Hanevi pour une raison idéologique, sans lien avec Sarr et sa plainte. Hanevi est aujourd’hui un détenu politique et l’histoire retiendra qu’il aura été le premier, sous Ould Abdel Aziz.

Considéré comme membre de la majorité ayant soutenu le putsch, Sarr, ultime couleuvre, ne sera pas non plus invité à la réunion de l'Institution de l'opposition démocratique qui se tiendra aujourd'hui, pour la première fois avec la participation des leaders du Front national pour la défense de la démocratie (FNDD).

Même si chaque jour la presse rapporte la démission d’un cadre de l’AJD/MR, Sarr rebondira peut être ; il réussira probablement à dépasser la crise car, au fond, la vie d’un homme politique se forge par la succession des épreuves et des revers mais les chroniqueurs retiendront, à jamais, son inclination lucide à accepter de servir de bâton avec quoi un Général-putschiste a pu frapper la presse qui lui résistait.

Sarr a été l’instrument consentant du musèlement de la presse, sans la moindre contrepartie, ni pour lui, ni pour son parti. Dès lors, après ce chapelet d’échec, sa colère, ainsi que celle des cadres de son parti, son parfaitement compréhensibles : alors que chacun d’eux se voyait ministre ou député, les voilà qui se réveillent, au même point de départ.

La lutte est longue et sans aucune garantie de résultat. Les plus sincères continuent malgré les échecs. Les autres se cherchent des excuses puis finissent par abandonner, ou aller à la soupe, c’est selon le degré de patience et cupidité.

 

 

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