A.H.M.E.

ARTICLE 327:

  

Quoi après les élections du 18 juillet: sortie de crise républicaine ou
poursuite du Coup d’Etat ?

 
Par Lô Gourmo Abdoul

L a part la plus dure du règlement de notre invraisemblable crise
politique a porté sur le sort du HCE, l’instance militaire qui s’était
emparée de la souveraineté du peuple, sous la direction du Général Aziz
le 6 Août 2008. En vérité, tout, depuis le début, c'est-à-dire la «
fronde militaro-parlementa ire», prenait appui sur cette question
centrale du rôle à donner dans nos institutions démocratiques, à
l’Armée, plus précisément à ses cadres les plus « politiques », les
plus décidés à conserver un pouvoir conquis et exercé sans
discontinuité depuis 1978.
L’expérience de la plupart des Etats qui vécurent la situation de
l’ingérence militaire en politique montre clairement que la tâche la
plus ardue pour jeter les bases d’une saine et sereine démocratie
pluraliste et l’enraciner durablement est d’abord et avant tout de
faire accepter et respecter le principe élémentaire de la soumission de
l’institution militaire à la volonté et aux choix du peuple, de faire
accepter et respecter le principe que la politique commande les fusils,
de faire accepter et respecter le principe que les militaires qui se
destinent à la carrière politique doivent quitter l’uniforme et non en
faire un argument d’autorité pour la spoliation de la volonté du seul
souverain légitime : le peuple. C’est le sens même de l’esprit
républicain, universellement partagé, indépendamment de toutes autres
considérations idéologiques ou politiques.
Surtout depuis la transition de 2005, cette question très sensible de
l’armée et de la démocratie est posée, notamment au gré des principales
crises qui l’émaillèrent : celles dites des « Indépendants », du « vote
blanc » et de la « fronde ». M. Ahmed Baba Miské, doctrinalement acquis
au putschisme, avait clairement jeté un pavé dans la mare en appelant
de ses vœux une mise sous tutelle constitutionnelle par l’armée, des
institutions politiques démocratiques, un peu à l’exemple de certains
pays comme la Turquie.. Il ne lui fut répondu, à ma connaissance, que
par le silence désinvolte d’une classe politique qui néglige souvent,
sous nos cieux, l’importance des débats publics, fussent-ils non
polémiques et préfère se concentrer sur les contradictions politiques
du moment et les urgences tactiques de l’instant.
Au plus fort de la fronde, et à la veille du coup d’Etat du 6 août, un
autre partisan des autorités putschistes, M. Moustapha Ould
Abeidarahmane, reconnaîtra ouvertement l’existence d’un « camp »
politique formé par les parlementaires frondeurs et les « militaires »
des FAS (Forces Armées et de Sécurité comme il l’écrit), suggérant que
fût entériné le principe d’une supervision « molle » de la vie
politique par ces FAS : « Dans le contexte du mandat présent du
Président de la République (SIDIOCA), il est d’une nécessité absolue
que les deux pôles institutionnels de la majorité (l’exécutif et le
parlementaire) consultent et écoutent les dirigeants des FAS avec
lesquels une concertation sérieuse doit être assurée de manière
permanente sur toutes les questions d’intérêt national et sur toutes
les évolutions souhaitées ou souhaitables du système démocratique pour
son assise permanente et consensuelle dans notre pays » écrira t-il
benoîtement, dans le Quotidien de Nouakchott, immédiatement avant le
Coup d’Etat d’Août 2008…
Ex post facto, il apparaît clairement que de telles prises de position
d’intellectuels et hommes politiques éminents du clan des putschistes
étaient surtout destinées à agiter les esprits et à les préparer à
accepter l’inacceptable : une prise de pouvoir plus franche, moins
invisible d’une fraction de l’armée au détriment des civils, même élus,
voués à la soumission et à l’obéissance aux hommes en armes.
Aussi, dès le départ, la lutte contre le coup d’Etat en Mauritanie
avait-elle eu pour enjeu et finalité de ramener définitivement et pour
de bon, l’armée dans les casernes en mettant fin au mélange des genres
qui, depuis une trentaine d’années avait fini par rendre impossible
toute vie politique et institutionnelle normale, et même toute vie
économique et sociale cohérente, c'est-à-dire libre et démocratique
suivant les nouvelles exigences de ce bas monde.
Cette échéance seule pouvait et devait valoir le geste proprement
historique de l’unique Président de la république démocratiquement élu
en Mauritanie depuis 1960 : la renonciation volontaire à son mandat en
contrepartie du retour à la constitution, y compris pour les officiers
supérieurs qui l’avaient bafoué.
Le pôle militariste avait voulu, à Dakar, que fût passée sous silence
cette donne fondamentale dans l’architecture de la solution globale
consensuelle de sortie de crise que la communauté internationale avait
parrainée. D’abord par des manœuvres filandreuses puis par le forcing.
Ce fut peine perdue : tout compromis véritable supposait que, par
définition, le coup d’Etat soit enterré et que l’esprit et la lettre de
la constitution soient respectés. Ce fut chose faite, clairement, à
Dakar II.
Mais tout le monde a vu comment, après avoir pris auprès des médiateurs
du Sénégal et du Groupe de contact international (GCI) des engagements
fermes d’inscrire l’ACD (l’Accord-cadre) dans le socle de la
constitution nationale et, en conséquence, de mettre fin à la diversité
surréaliste des pouvoirs à Nouakchott ( celui du HCE, de « plein
exercice » malgré le faux semblant de la démission de son président
effectif, celui du président « intérimaire » qui n’avait même pas de
chrysanthèmes à inaugurer et, enfin, celui du Président légitime
entravé et reclus à Lemden), le pôle putschiste a voulu faire
légaliser, par force, sa mainmise sur l’ensemble du processus de sortie
de crise, en consacrant le HCE comme structure indépendante, hors
constitution et hors contrôle du Gouvernement d’union nationale en
charge de la transition et des élections prévues. Et en opérant de
facto, comme réserve stratégique du candidat Aziz aussi pesant et
invisible dans le jeu politique que l’anti-matière dans la balance
générale des forces de l’Univers.
Ce camp putschiste, il est vrai, n’a cessé depuis de longs mois, de
profiter de l’opportunisme sécuritaire de certains de nos plus proches
partenaires européens, davantage préoccupés de disposer à Nouakchott
d’une machine de guerre « anti-terroriste » et anti immigration
clandestine que d’aider notre pays à rétablir son ordre constitutionnel
bafoué. N’eût-été la détermination des africains, et sûrement aussi des
américains, à soumettre les parties à une forte pression pour respecter
l’ensemble des engagements contractés à Dakar I (y compris le principe
de dissolution du HCE ou, pour le moins, sa soumission à la direction
politique consensuelle du pays (le GUN), il est clair que la crise
aurait continué, voir revêtu sa forme ultime, antagonique : la
confrontation pure et simple.
Le Président Wade et le GCI ont fait accepter, cette fois à Nouakchott
même, comme solution de compromis, non la dissolution mais
l’acceptation de soumission du HCE au GUN, se conformant ainsi à la
constitution légitime, comme l’exigeait le Président Sidi Mohamed Ould
Cheikh Abdallahi, avant de signer l’acte de sa propre démission comme
Président de la République et permettre une vraie transition consensuelle.

La question qui se pose maintenant est celle de savoir ce que signifie
cet « engagement » du pôle putchiste par rapport à l’évolution que
pourrait connaître le pays au terme de cette présidentielle réellement
historique.
Pour ce camp, seule une victoire du général Aziz pourrait permettre de
faire l’impasse sur la question. Les choses reprendraient alors le
cours qu’elles empruntaient depuis août et que juin n’a pu permettre de
conforter définitivement. Ce serait alors la pire régression politique
que le pays connaîtrait dans son histoire depuis la fin de la
colonisation. Toutes les forces rétrogrades se déchaîneraient pour
mener à son terme, à visage découvert et en toute légalité, la
révolution conservatrice antidémocratique qui a été, au fond, à
l’origine du Coup d’Etat d’août, sous l’œil vigilant d’un commandement
militaire suprême ouvertement confirmé (probablement par reforme
constitutionnelle) dans son rôle de parrainage de la république.
Cette aspiration transparaît clairement dans le dernier communiqué de
l’ex HCE, transformé en Conseil National de défense, prenant acte des
conclusions de la dernière médiation du Président Wade à Nouakchott.
Si cette instance y déclare vouloir agir conformément à la constitution
(sans jamais faire réellement acte d’allégeance aux autorités civiles
seules légitimes désormais, à savoir le président de la république par
intérim et, surtout, le Gouvernement d´union nationale représentatif
des trois pôles politiques ), elle tente en même temps de justifier
l’injustifiable à savoir sa prise de pouvoir et la destitution du
Président légitime pour « sauver le pays et défendre les acquis
démocratiques », par sa seule volonté unilatérale et subjective. Il n’y
a nul engagement de la part de ces officiers supérieurs de renoncer,
dans le présent autant qu’au futur, à toute intrusion dans la vie
politique, pour quelque motif que ce soit et suivant leur seule
appréciation personnelle. Nulle part, ils ne proclament leur soumission
pure et simple aux seules autorités légitimes, élues par le peuple et
leur détermination à agir selon les règles qui découlent de leur
serment de fidélité à la constitution et à la nation. En fait, comme le
montre clairement la réalité tangible depuis la démission du Général
Aziz du HCE et de l’armée, cette institution a continué à lui obéir, à
n’agir que suivant ses instructions, certains de ses membres se
comportant comme des militants politiques armés, battant campagne pour
le Généralissime, jusqu’au dernier jour de l’ultime négociation de
Nouakchott et l’adoption de ce fameux communiqué de mutation en Conseil
national de Défense, de l’institution putschiste.
Si la nouvelle mouture de l’institution militaire se dit «
conscient(e) de ses responsabilité s envers la nation (et) entend
accomplir ses tâches conformément à la constitution et aux lois de la
République », elle n’en semble pas moins persister dans la voie
inquiétante de l’interprétation unilatérale et politique des conditions
d’exercice de sa mission lorsqu’elle proclame sans ambages qu’elle «
restera toutefois vigilant(e)vis-à -vis de toute action tendant à porter
préjudice au climat de paix et de sécurité dans le pays » comme si
cette vigilance pouvait se faire en dehors des directives et
instructions formelles des autorités civiles légitimes …
Au vu de ce qui précède, on peut sérieusement s’interroger sur ce que
sera l’attitude collective de ce haut commandement militaire en cas de
défaite électorale de leur ancien compagnon d’armes démissionnaire,
comme on peut s’y attendre raisonnablement.
Si, comme on peut l’espérer, ces officiers supérieurs -dont nul ne
conteste la compétence technique et la valeur personnelle, respectent
leur statut formel et s’en tiennent au consensus entre les pôles
accrédité par la communauté internationale dans son ensemble, alors
l’honneur de l’Armée sera sauf et notre pays se sera engagé réellement
dans la voie de la réconciliation nationale « gagnant-gagnant » pour
les acteurs.

Le futur Président de la république, issu du pôle démocratique élargi (
Messaoud Ould Boulkheir , Ahmed Ould Daddah ou Ely ould Mohamed Vall)
tiendra forcément compte de cette donne dans l’ attribution de
fonctions des membres du Haut commandement de l’armée et de la
sécurité, sans règlement de comptes ni favoritisme, chacun suivant sa
seule expérience, son grade et ses mérites personnels, en tenant compte
des besoins de cohésion des rangs de nos forces de défense et de
sécurité. Il n’y aura à coup sûr, ni disgrâce ni promotion de faveur,
motivés par des considérations politiciennes. Les choses rentreraient
dans l’ordre et notre pays aura alors définitivement tourné la page de
l’interventionnisme militaire dans la paix et la concorde et chacun y
trouvera en définitive son compte avec la bénédiction et la
reconnaissance jubilatoire du reste du monde.
Dans le cas contraire, si le verdict des urnes n’était pas respecté ou
si l’élection devait être interrompu par des actes de provocation
télécommandés, les auteurs prendraient un risque immense de mettre
notre pays dans un état de crise ouverte sans précédent, aux
conséquences incalculables qu’aucun démocrate de quelque bord que ce
soit ne pourrait accepter et que la communauté internationale dans son
ensemble condamnera et combattra avec plus de vigueur et de lucidité
encore qu’elle ne l’avait fait après le coup d’Etat d’août. Nous
vivrions alors le scenario catastrophe que tout le monde redoute et
dont il ne sera pas facile de sortir.
Dans l’hypothèse d’une victoire du candidat Ould Abdel Aziz, le pôle
démocratique dans son ensemble n ’aura de choix que d’en prendre acte,
de féliciter le vainqueur et de se préparer à engager sur le terrain
exclusivement politique, et dans le respect de la légalité, une
opposition ferme et déterminée, le temps qu’il faudra, pour extirper le
militarisme de nos mœurs politiques et ancrer la démocratie véritable
dans notre pays. Dans la paix civile et l’unité nationale.
Telles sont les deux options possibles du scrutin du 18 juillet et son
enjeu véritable.
Puisse notre démocratie en sortir vainqueur et s’ouvrir toute grande,
dans tous les cas de figure, la voie de la réconciliation nationale et
de la concorde républicaine.


Lô Gourmo Abdoul

 

 

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