A.H.M.E.

ARTICLE 26 :

 

Mauritanie, la problèmatique du changement nov. 2006

 

 

Cet article a été écrit avant les élections législatives et municipales de novembre 2006. L’auteur de ce texte publiera  un autre après le second tour des élections.

 

Mauritanie, la problématique du changement après le coup d’Etat du 03 août 2005

 

En août 2005, il y a eu un ‘‘coup d’Etat’’ en Mauritanie. Malgré les contestations internationales, les Mauritaniens, dans leur écrasante majorité, ont accueilli l’action  des tombeurs de Ould Taya avec joie ou soulagement. Reste posée la question de savoir si, à partir de cet  événement, on peut espérer, pour la vie politique, sociale et culturelle mauritanienne, un tournant bénéfique.

De nombreux indices nous poussent à en douter. Si d’une manière générale, le processus suit son cours, il y a des faits qui sont sources d’inquiétude:

En premier lieu, les manœuvres des putschistes tendent à révéler leurs réelles intentions.

 Après le coup d’Etat, l’opinion internationale a fait pression sur les nouveaux dirigeants de Mauritanie pour exiger, d’eux, le respect  des règles de la démocratie. Alpha Oumar Konaré a été l’une  des personnalités plus déterminées à ce sujet.

Pour ne pas subir des sanctions, les nouveaux dirigeants du pays ont accepté de jouer, en façade, le jeu. Ils ont pris l’engagement de ne pas rester au pouvoir. Ils se sont donnés comme simple mission
d’assurer une transition, préparant la remise du pouvoir entre les mains des élus du peuple.
  Dans cette optique, ils ont élaboré une nouvelle Constitution qui, au moins d’un point de vue formelle, n’apporte pas de grands changements. D’un point de vue formel, car on sait que les Constitutions africaines ont très peu
d’influence sur la gestion quotidienne des Etats. Elles restent, dans la plupart des cas, des textes qui, sitôt adoptés, sont aussitôt rangés dans les tiroirs des oubliettes.

En dehors de la limitation du mandat du Président de la République  à cinq ans qui est un point positif, des questions fondamentales telles que celles relatives au racisme, à l’esclavage, la  liberté de conscience, au droit à l’éducation et au travail, à la condition de la femme, n’ont pas été traitées par la nouvelle Constitution.

En plus des problèmes  relatifs à la nouvelle Constitution, si la question du passif humanitaire, ayant trait  aux massacres des Noirs, à leur déportation, en 1989, et les années qui ont suivi et celle de la cohabitation des communautés mauritaniennes ont été abordées, dans les débats préparant les modalités de la  transition, la nouvelle équipe dirigeante n’a pas tenu compte de ces questions essentielles dans le cadre des réformes envisagées. Elle les remet à un incertain futur.

Pourquoi une telle attitude ?

Le coup d’Etat, d’août 2005, aurait pu être une occasion exceptionnelle pour tourner la page à un passé politique, marqué par la violence, la discrimination, l’injustice, etc., en vue de réconcilier tous les Mauritaniens et de bâtir une nation forte et moderne. Tel n’a pas été le cas.

On  peut, aisément, trouver des explications à ce qui a conduit à une telle situation.

En, effet, les causes sont à chercher dans la mentalité dominante en Mauritanie. Celle-ci marque autant les anciens dirigeants que ceux qui assurent la transition et l’actuelle opposition.

Au cours des mois de septembre et d’octobre 2006, les manœuvres des nouveaux hommes forts de Nouakchott, dont la presse a fait écho, ont dévoilé un aspect de leur état d’esprit. Celles-ci ont montré que, derrière leurs discours qui peuvent pousser les esprits naïfs à espérer et à rassurer l’opinion internationale, les membres du Comité militaire pour la justice et la démocratie masquent leur imbibition de la mentalité qui mine la vie politique mauritanienne depuis l’indépendance. Contrairement à ce que de nombreux mauritaniens ont pensé, ils ne sont guère les sauveurs tant attendus,  parce qu’eux-mêmes, s’inscrivent dans la même logique que celle de leurs devanciers : logique marquée par  des enjeux tribaux, ethniques, de féodalité, de castes, de pouvoir personnalisé, etc.

En effet, peu à peu, ils sont en train de montrer leur vrai visage. Des révélations ont permis de comprendre qu’ils travaillent  pour que leur succèdent des postiches. Dans l’ombre, ils manigancent pour que le changement ne soit que de façade. Concrètement, ils veulent que leur succèdent, au pouvoir, des acolytes.

Les rencontres avec certaines personnalités influentes, pour des raisons tribales ou autres, en vue de les inciter à ne pas à être du côté de l’opposition traditionnelle, révèlent leurs véritables desseins. Ces machinations témoignent qu’ils ne sont, en rien, différents de ceux qui les ont précédés et qu’ils s’enracinent dans la tradition politique mauritanienne.

Les putschistes reproduisent les mêmes schémas que ceux adoptés par tous les dirigeants du pays depuis son indépendance et la plupart de  ceux qui aspirent, un jour, diriger la Mauritanie. Dans la perspective des élections à venir, la nouvelle équipe tente de s’appuyer sur les barons de la féodalité et les réseaux traditionnels pour orienter le vote de ces deniers et celui de leurs acolytes vers des hommes qu’ils auront désignés. Leur but est de continuer à diriger le pays sans que leur puisse être reproché de ne pas avoir tenu parole.

En mettant, à la direction du pays, des hommes qui leur sont proches, ils donneront l’impression
d’avoir
  respecté leurs engagements sans pour autant cesser de tenir les rênes du pouvoir. Il s’agit là d’un compromis entre leurs réelles intentions et les exigences  internationales. Cette situation  est confortable,  pour eux, car ils ne courront pas le risque d’être poursuivis pour détournement de deniers publics ou pour crimes commis contre les Négro-mauritaniens. Ils  pourront aussi continuer à bénéficier du système. 

Les nouveaux dirigeants de  Mauritanie sont issus de l’élite traditionnelle. Ils sont ancrés dans le système féodalo-lettré mauritanien. Ils ne peuvent pas céder sur les questions essentielles. Ainsi, ils
n’aimeraient pas que la Mauritanie soit régie par un système basé sur les valeurs d’égalité et de justice, parce qu’ils sont profondément imprégnés du système tribalo-ethniciste, raciste, esclavagiste, inégalitaire mauritanien où l’Etat est personnalisé. Ils ne peuvent que faire semblant : jouer la comédie classique
  d’une ‘‘élite’’ africaine, souvent traître et sans idéal, manipulant un peuple analphabète et parfois lâche, constamment soucieuse de duper l’opinion internationale pour s’accorder les faveurs occidentales.

 Les personnes influentes du putsch sont des anciens collaborateurs du régime de Ould Taya. Elles frissonnent à l’idée de l’arrivée, au sommet de l’Etat, de dirigeants qu’ils ne  contrôlent pas. C’est la raison pour laquelle, elles feignent de respecter leurs engagements aux yeux de l’opinion nationale et internationale, tout en travaillant, dans le secret, les ‘‘personnalités influentes’’ du pays.

Du fait de leur passé, il n’est  pas surprenant qu’elles aient un tel comportement. Ce qui peut paraître, dans une certaine mesure, plus inattendu est l’attitude de l’opposition qui n’a pas profité de l’occasion qui lui a été offerte pour réclamer de véritables changements en vue de faire, de l’Etat mauritanien, un véritable Etat moderne.

Après le coup d’Etat, le fait que la Mauritanie ait été sous la surveillance internationale a été une  formidable occasion pour l’opposition. Il s’agissait là d’une exceptionnelle opportunité dont il fallait se saisir pour exiger un traitement de fond des questions relatives à la viabilité et à la modernité de la Mauritanie. Pourquoi alors tel n’a pas été le cas ?

L’opposition mauritanienne est, majoritairement, dans la même logique que la classe  politique dirigeante traditionnelle. Son souci n’est pas de faire entrer, au sens noble du terme,  la Mauritanie dans  la modernité, dans l’universalité, mais elle s’inscrit dans une logique de contentement du borgne au pays des aveugles. Elle est très imprégnée de toutes les valeurs qui font de la Mauritanie un des pays les plus attardés en matière de libertés individuelles, de reconnaissance de l’égalité de tous les êtres humains, en droits, quelle que soit leur origine sociale, de droits des femmes, etc. La Mauritanie souffre de l’absence d’une élite qui se démarque de ses valeurs culturelles anachroniques.

Dans ce pays, le groupe est encore très prégnant sur l’individu. L’être humain n’est pas encore perçu comme être de droits, comme individu particulier auxquels des droits sont attachés, même si on pourrait le penser à travers la lecture de certains articles de la Constitution qui ne sont qu’un plagiat du droit occidental. Droit occidental, résultat d’âpres luttes qui ont permis d’aboutir à placer l’être humain et les droits attachés à lui au cœur de la société et à accepter le principe de l’égalité des hommes.

Un des principes fondateurs de la société moderne qui a permis un formidable bon pour l’humanité est : ‘‘les hommes naissent et demeurent  libres et égaux en droits.’’

 C’est à cause de l’absence de l’intériorisation de ce principe, par les Mauritaniens, en général, et par la classe politique, en particulier, et l’emprise du groupe sur l’individu, que l’on pourrait comprendre que
l’esclavage ne soit pas révoltant, inadmissible et urgent à résoudre, au XXIème siècle, en Mauritanie. C’est parce que l’être est d’abord être de groupe
  que le massacre de Noirs ne scandalise pas l’écrasante majorité arabo-berbère. Tant que l’on tue un Négro-africain, le Maure, d’une manière générale, pour des raisons raciales, est content, puisque l’être assassiné n’est pas Maure mais Négro-mauritanien. Il n’est pas outré par la mort injuste d’un être humain, du fait d’un autre être humain. C’est pour la même raison que le mépris du Négro-mauritaniens  du Maure ou  du Hartani, en tant que Maure ou Hartani, n’est pas offusquant pour les autres  membres de sa communauté. C’est aussi pour les mêmes raisons  que des haratine ont tué des Négro-mauritaniens sur simple injonction de leurs maîtres. La culture de groupe, en Mauritanie, atrophie
l’esprit critique et entrave le bon en
  avant vers la modernité. L’Etat moderne repose sur l’esprit critique, la contestation et  la reconnaissance de l’égalité de tous les citoyens et le respect de leurs aspirations légitimes.

L’opposition mauritanienne, dans sa passivité, s’attendait à ce qu’un cadeau lui soit, aimablement, offert. Elle espérait parvenir au pouvoir en naviguant sur des eaux tranquilles. Elle découvre que tel n’est pas le cas. Son attitude ne s’explique que par le fait qu’elle n’a pas beaucoup d’ambition pour le pays et qu’elle est dans la même logique que ceux qui ont détenu le pouvoir depuis le départ des autorités coloniales.

Même si les putschistes respectaient leurs engagements, la Mauritanie ne sortirait guère de son retard par rapport à la modernité. L’arrivée de l’opposition au pouvoir ne signifie pas la solution des problèmes de fond auxquels le pays est confronté : racisme, ethnisme, esclavage, le droit à la liberté,
l’égalité des
  Mauritaniens, droit à l’éducation, au travail, la liberté d’opinion, de conscience, etc.
L’opposition, elle-même, n’est pas imprégnée des valeurs fondatrices du monde moderne, même si elle feigne d’y adhérer. La plupart des opposants mauritaniens tiennent à de nombreuses valeurs traditionnelles, archaïques du pays. Le tribalisme, l’esclavagisme, le racisme, le non-respect de la différence, etc., font partie de l’univers mental de
  l’opposition.

 Lors des élections présidentielles de 1992, Messaoud Ould Boulkheïr était un des prétendants les plus légitimes de l’Union des Forces Démocratiques (l’UFD) à la Présidence de République. Mais, le fait
qu’il soit d’origine esclave a poussé les membres de l’UFD à aller trouver Ahmed Daddah qui était un homme extérieur au parti.

On a cherché Ahmed Daddah parce qu’il est le frère du premier Président du pays, mais aussi parce qu’il est un dignitaire arabo-berbère. Les opposants, eux-mêmes, voient mal un Hartani (affranchi) à la tête de l’Etat. L’opposition mauritanienne raisonne, comme la plupart des Mauritaniens, selon les critères traditionnelles, non égalitaires.

Au lieu de profiter de la période de transition pour imposer des valeurs indispensables  pour sortir la Mauritanie de son retard, l’opposition est essentiellement soucieuse d’arriver au  pouvoir mais personne ne sait ce qu’elle propose, ce qu’elle veut faire de la Mauritanie. Dans le programme d’Ahmed Daddah ou de Messaoud, quels sont les moyens qu’ils pensent utiliser pour faire avancer le pays ? Que pensent-ils de la liberté d’opinion, de conscience, etc.?

Personne ne se soucie de cela. L’ignorance dominant la Mauritanie, le pays a encore un long chemin à parcourir pour s’arrimer sur les exigences de la modernité.

Si la chute de Maawiya, en elle-même, est déjà un pas important de l’histoire de la Mauritanie, il reste, en un immense champ à labourer pour léguer aux générations futures un Etat qui repose sur de solides fondements.

Un pays ne peut avoir une sérieuse assise sans que les citoyens ne soient effectivement reconnus  égaux, sans que  la liberté ne soit au cœur de la l’organisation sociale. Les nations fortes sont celles qui savent allier le collectif et l’individuel.

Oumar Diagne         

 

 

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