A.H.M.E.

ARTICLE 233 :

 

  

 

La Mauritanie

Quand les conquérants ont pris pied sur le littoral, ils ne se sont guère hasardés à l'intérieur . Les seuls à avoir réussi sont venus du nord-est ou du sud.

Noirs, Berbères, Arabes, Européens

Au début de notre ère, cet espace était peuplé de Noirs: les Bafours, créateurs des premières palmeraies de l'Adrar, et les Sarakollé. Ils seront progressivement refoulés par les tribus berbères des Lemtouna et des Sanhadja, venues du Maghreb. Ces derniers fondent au IX e siècle l'empire d'Aoughost (régions du Hodh et du Tagant) que l'empire du Ghana à son apogée, au Xe siècle, réussira à vassaliser et à faire payer tribut. L'islamisation de la région a progressé lentement entre ces deux dates. Elle s'intensifie au XIe siècle lorsque Yahia Ben Ibrahim, un Sanhadja, entreprend au retour d'un pèlerinage à la Mecque de parachever la conversion de ses compatriotes de l'Adrar. Vers 1050, son compagnon, Abdellah Ibn Yacine, prend la relève, s'empare d'Aoughost, étend son autorité des rives du Sénégal aux confins du Tafilalet (Maroc) et lance le mouvement des Almoravides.

Tué dans une expédition contre les hérétiques, Ibn Yacine est remplacé par Abou Bakr qui installe un camp sur l'empla­cement de la future Marrakech (1069). Deux ans plus tard, il regagne le Sahara pour mater des rébellions, pousse plus au sud, et conquiert Koumbi Saleh. Son frère ou cousin, Ibn Tachfin, à qui il a confié le gouvernement du Nord en son absence, s'impose aussitôt. Il sera le véritable fondateur de la dynastie et de Marrakech où il construit une mosquée-cathé­drale, avant de conquérir le nord du Maroc puis les principau­tés musulmanes d'Espagne. Épopée prestigieuse à laquelle ne cessent de se référer, de nos jours encore, Mauritaniens, Sahraouis et Marocains pour faire valoir leurs droits sur le Sahara occidental.

 

A partir du XIIIe siècle, les Berbères seront submergés par de nouvelle vague: les Arabes. En effet, arrivés au XIe siècle Ifrikiya, les Beni Hilal et les Ben Soleim ont mis près de deux siècles avant de venir buter sur l'AtlantIque, dans le cul-de-sac saharo-mauritanien, précédant la tribu des Hassanes qui imposera son dialecte, le hassania. Descendants de ces tribus arabes et berbères, les Maures organisent aux XVII e et XVIII e siècles des émirats dans l'Adrar, le Tagant, le Brakna, le Trarza, et opposent une vive résistance aux français qui s'installent à Saint-Louis en 1638. En 1854, Faidherbe est nommé gouverneur du Sénégal; c'est lui qui contraindra les maures à abandonner la rive gauche du fleuve, ouvrant ainsi la voie à la colonisation de la Mauritanie , à la fin du Siècle.

La pénétration se précise au début du XX e lorsque la France e en 1903, un «Protectorat des pays maures», transformé, en octobre 1904, en « territoire civil » contrôlé par un commissaire du gouvernement général de l'Afrique occidentale française (AOF) puis, en 1920, en colonie. Pionnier de la pénétration le commandant Xavier Coppolani avait espéré pouvoir, avec l'accord des marabouts i du Sud rallier tous les chefs maures par des actions diplomatiques. S'étant rapidement heurté aux tribus guerrières du Nord, Il tombait dans un guet-apens à Tidjikja, en 1905. Peu avant son assassinat, Il ecrivait: « La Mauritanie est un tout et il faut en occuper l'ensemble sous peine de n'en rien contrôler ». Et ce « tout» globe, comme on l'a vu, le nord du Sahara occidental où Ma El Aïnin résistera jusqu'à sa mort, le 28 octobre 1910, sa ville de Smara ne tombant qu'en 1913. La « pacification» ne sera d'ailleurs achevée qu'en 1934 par Madrid au Sahara devenu espagnol et en 1936 par la France en Mauritanie.

Les transformations d'une société complexe

Indépendantes les unes des autres, souvent rivales, on peut estimer que les tribus maures ont pâti de l'absence de pouvoir central. Il n'en demeure pas moins qu'elles partagent la même civilisation nomade, différente de celle des sédentaires du Nord; qu'elles ont une identité ethnique et une base historique, Sociale et culturelle commune. De Smara à Néma, d'El Aïoun à Nouakchott, de Dakhla à Tindouf, les ressemblances sont frappantes: mêmes visages basanés qui rappellent ceux des Yéménites, même derraa (boubou) blanche ou bleue, même allure altière, même coutumes - entre autres, celle du thé qui rythme la journée et qu'on sert rituellement trois fois de suite2 -, même dialecte, le hassania, si différent des autres parlers maghrébins, mêmes femmes au visage dévoilé et à la robe ample, même goût pour la poésie, même tendance à s'exprimer de façon allusive.

Ce n'est pas parce qu'une société ne répond pas aux critères européens de l'Etat ou de la nation qu'elle n'a pas sa spécificité et ne constitue pas un peuple. Société complexe au demeurant, divisée en deux ethnies: les Maures arabo-berbères ou bidanes (blancs) et les Négro-Africains, et subdivisée en tribus et castes. Depuis quatre ou cinq siècles, elle est restée figée au stade qu'Ibn Khaldoun appelle «al oumrane al badawi» («la civilisation bédouine»), stade tribal qui répond aux besoins fondamentaux de l'homme définis par le Coran - se nourrir, se vêtir, se loger, se reproduire - mais qui ne se préoccupe pas de l'accumulation de la plus-value propice à l'édification de riches et puissants Etats, en Islam comme ailleurs.

La société traditionnelle était formée de castes hiérarchisées mais également imbriquées et interdépendantes. Au sommet, la noblesse d'épée et celle de la pensée: les Hassanis (guerriers d'origine arabe), les Tiyab (Hassanis devenus marabouts), les Mrabtin (anciens Zwaya berbères guerriers), les Zanaga (anciens Lahma berbères adonnés à l'étude); viennent ensuite les Maallemin (forgerons), les Igiawen (griots), les Aabid (Noirs captifs), les Haratine (esclaves affranchis), les Imragen (pêcheurs captifs non affranchis), les Nemadi (chasseurs tribu­taires). Les castes sont abolies à l'indépendance mais se main­tiennent dans la réalité et, le 5 juillet 1980, une nouvelle loi devra être adoptée pour Supprimer officiellement l'esclavage 3

La communauté négro-africaine comprend plusieurs ethnies: Toucouleurs, Peuhls, Soninké et Ouolofs 4 , divisées en tes aussi rigides que celles des Maures; elles aussi - ce qu'on ignore le plus souvent - pratiquaient l'esclavage 6 . Jusqu'à la colonisation, les uns et les autres ont vécu sans monnaie ou presque, pratiquant l'autoconsommation et le troc.

L'économie reposait sur l'élevage, l'agriculture, la pêche artisanale, l'exploitation des salines, la collecte de la gomme, commerce des caravanes. Les Maures, pasteurs nomades, tenaient le commerce et l'élevage des chameaux, les Négro­fricains, sédentaires le long du fleuve, étaient agriculteurs, les Peuhls pratiquant la transhumance bovine. Le troupeau camelin, estimé à un demi-million de têtes, était prospère dans le nord 5 , tandis que le sud demeurait le royaume des bovidés: chèvres et moutons (plus d'un demi-millions de têtes) répartis sur l'ensemble du territoire.

La colonisation va secouer ces structures en affaiblissant les tribus guerrières, qui protégeaient les autres groupes, au profit des tribus maraboutiques, et en introduisant des Négro-Africains, rapidement francisés, dans les circuits administratifs et les secteurs naissants des techniques modernes, telle la mécanique. Néanmoins, la société n'en est pas profondément boule­versée, les militaires et fonctionnaires français ayant surtout pratiqué, selon deux clichés en honneur à l'époque,  l' »administration du vide » et la « politique du verre de thé ».

0. Anglais, Français et Hollandais se sont livré une lutte sans merci pour le contrôle des comptoirs d'Arguin et de Portendick, Les Européens recherchent l'or, les esclaves, l'ambre gris et la gomme arabique; pour obtenir la vente exclusive de cette dernière, ils versent aux chefs maures des « coutumes ». A la suite des traités de La Haye (1727) et de Paris (1814), Hollandais et Anglais renoncent à Arguin et ne contestent plus la présence française. Les Français, installés au Sénégal, se serviront des" coutumes» comme prétexte pour intervenir en Mauritanie; la conquête sera réalisée à partir du Sénégal.

1. La dynastie almoravide (des mourabitoune) a édifié des ribat (forteresses) fendues par ces" templiers musulmans ». Mourabitoune (sing. Mrabu) est à l'origine du mot marabout qui a changé de sens et a désigné les sages et les lettrés après avoir désigné les guerriers.

2. Selon la tradition, « le premier est fort comme la vie, le deuxième doux comme l'amour et le troisième suave comme la mort ».

3. Cette loi a tenu compte de la déstructuration de la société tribale. de l'urbanisation croissante et de l'impérieuse nécessité de moderniser le pays. Toutefois, les haratine, analphabètes dans leur quasi-totalité (98 %) et sans formation professionnelle, restent le plus souvent dans la dépendance de leurs maîtres qui leur assurent gîte, nourriture et protection. Bien que d'origine négro-africaine (certains sont, il est vrai. les enfants d'un maître maure et d'une esclave noire), ils sont arabophones dans leur très grande majorité.

4. Selon une enquête de l'INSEE, en 1957-1958 ils se répartissent ainsi: Toucouleurs, 55 % ; Peuhls, 16 % ; Sarakollé ou Soninké, 27 % ; Ouolofs, 2 %. Les résultats du recensement effectué en 1976 n'ont pas été publiés; on estimait toutefois que les Maures, y compris les haratine, représentaient 75 à 80 % de la population totale et les Négro-Africains 20 à 25 %. Certains dirigeants négro­fricains contestent ces chiffres; assimilant les haratine à leurs ethnies, ils affir­ment constituer 50 à 60 % de la population. A la fin de 1989, les résultats du recensement de 1988 n'avaient pas encore été publiés; le président Ould Sid Ahmed Taya m'a assuré qu'ils « le seront et ne seront pas falsifiés ». Cf. Arabies, n° 36, décembre 1989, Paris.

5. Il a périclité à la suite de la sécheresse des années soixante-dix. du conflit du Sahara occidental et de l'exode vers Nouakchott.

6. Les discriminations chez les Négro-Africains sont souvent plus accentuées que chez les Maures, contrairement à une opinion répandue; à titre d'exemple, les esclaves des Noirs n'étaient pas enterrés dans les mêmes cimetières que ceux de leurs maîtres.

Paul Balta, Le grand maghreb des indépendances à l'an 2000

Source : www.amazighworld.org  

 

 

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