Un adepte de la franchise et du
franc-parler comme Birame Ould Dah Ould Abéid ne manque certainement pas
d’adversaires dans un pays comme la Mauritanie dirigée par des bonimenteurs,
des hypocrites, des tribalistes, des esclavagistes, des racistes, des
traditionalistes, des arrivistes, des ethnicistes et des exclusivistes de tout
genre. «C’est le prix de l’engagement à payer », explique-t-il.
Ces prises de position contre certaines injustices et pratiques sociales et
religieuses lui ont valu d’être considéré comme un élément subversif de la
société mauritanienne. «Très tôt, dans ma jeunesse, j’ai été fiché et mis en
quarantaine », raconte-t-il.
Cet agitateur n’a jamais été en odeur de sainteté auprès des pouvoirs publics.
Malgré ses diplômes et son parcours, on le privera de ses droits. En 2004, il
sort major du concours de l’ENA de Paris. A la place d’une
reconnaissance de la
République, il aura droit à une marginalisation.
Malgré ces crocs-en-jambe et ces anicroches, Birame Ould
Dah Ould Abéid, en bon musulman, ne faillit pas mais continue à croire en
son combat : celui de la justice et de l’égalité entre tous les citoyens
mauritaniens sans distinction de communauté. Aujourd’hui, il est l’une des
personnalités, dans le domaine des droits de l’homme, les plus en vue en
Mauritanie.
Contrairement à certains droits-de-l’hommistes de la place, au lieu de vivre
dans les quartiers chics de Nouakchott comme Tévragh-Zéina, Las
Palmas, E-Nord, il a préféré vivre à PK, à quelques mètres du carrefour
Bamako. «C’est dans les quartiers populaires qu’on retrouve les franges
les plus humbles de la société. Je suis issu de ce milieu. La grande partie de
mon combat est destiné à ce milieu », se justifie-t-il.
Descendant d’esclave, de par sa grand-mère maternelle qui a été capturée
pendant les guerres samoriennes au Soudan, l’actuel Mali, le cœur
de Birame Ould Dah Ould Abéid ne se gonfle pas pour autant d’amertume.
Au contraire, cette situation de descendant d’esclave, dit-il, il le vit comme
un stimulant à ne donner aucune concession à l’injustice sans faiblir en guise
de mémoire à sa grand-mère maternelle qui a été écoulée au Trarza comme
une marchandise puis achetée par un riche commerçant maure.
Mais Birame Ould Dah Ould Abéid est-il un esclave ? «Pour la société
dans laquelle je vis, répond-il en soupirant, je suis classé dans la catégorie
des esclaves et des anciens esclaves avec tout ce que cela découle comme
mépris, stigmatisation, préjugés et supériorité sur nous qu’ont les groupes
dominants dits nobles qu’ils soient arabo-berbères ou négro-africains. »
Né en 1965 à Dagana (en Mauritanie), l’actuel Jidrel Mohguen
où il a passé la totalité de sa jeunesse, Birame Ould Dah Ould Abéid est
issu d’une famille modeste. Propriétaire terrien et de bétail, son père faisait
parallèlement du commerce entre le Sénégal et la Mauritanie. Après
l’obtention de son baccalauréat, il entre dans l’administration judiciaire en
tant que greffier. Sa soif de découverte et de connaissance le pousseront plus
tard à s’inscrire à l’Université de Nouakchott où il y sortira avec une
maîtrise en droit.
Ensuite, direction : l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pour
faire un Diplôme d’Etudes Supérieures (D.E.A.) en droit. Actuellement, il est
doctorant. Ainsi donc, accumuler des diplômes, tel semble être parmi ses sports
favoris. «J’aime les études et surtout les études sociologiques et
historiques », dit-il en ajoutant : «C’est par rapport au combat contre l’esclavage
et les autres injustices (que je mène). J’ai embrassé ces études pour étoffer
encore ma connaissance sur ces phénomènes que je combats et pour pouvoir avoir
un avis d’expert en la matière. »
Grand sympathisant du mouvement El Hor, Birame Ould Dah Ould Abéid a
très tôt milité dans les mouvements d’élèves et étudiants avant de déposer ses
baluchons à l’UFD/Ere Nouvelle, dirigée à
l’époque par Ahmed Ould
Daddah. C’était le parti d’opposition qui était en vogue. Mais, son passage
dans ce parti ne sera que de courte durée. «Je l’ai quitté en 1993 lorsque
j’ai constaté
qu’elle était devenue un parti dans lequel s’est installé le
système social mauritanien que je décris », explique-t-il.
Pour la petite histoire, après avoir claqué la porte de l’UFD/Ere Nouvelle,
il se présente donc, pensant qu’il peut faire le poids devant le PRDS
(Parti Républicain Démocrate et Social, Ndlr), comme un candidat indépendant à
la mairie de Nouadhibou aux élections municipales de Janvier 1994. « (Ma)
candidature s’est terminée en échec », révèle-t-il. «Cela a raffermi ma
conviction à poursuivre la lutte (contre le système social mauritanien)»,
croit-il.
Déçu, il semble ne plus croire à l’efficacité et à l’action des partis
politiques. «Tous les partis politiques, affirme-t-il, portent en eux-mêmes
une dose d’héritage de notre système social et idéologique. Surtout, une dose
d’insanité propre à notre société à savoir l’hypocrisie, le culte de la
personnalité, les non-dits et les coups bas ». Difficile donc pour lui de
s’acclimater dans un tel environnement. Dans une société comme la nôtre
fortement caractérisée par les combats de positionnement et d’opportunisme,
lui, il préfère ne pas aliéner son indépendance et sa liberté d’esprit et de
pensée. «C’est à ce moment que je peux jouer mon véritable rôle »,
pense-t-il.
En politique, il ne dérobe pas son admiration et son soutien à Messaoud Ould
Boulkhéir, président de l’APP (Alliance Populaire Progressiste),
qu’il considère comme étant son père spirituel même s’il
n’a jamais eu la
chance de le côtoyer tout près. «Mais, j’ai appris à travers ses discours,
confie-t-il, ses positions et sa trajectoire, la manière dont un citoyen comme
moi descendant d’esclave devrait se comporter. »
Ce que la politique ne lui a pas donné, c’est les droits de l’Homme qui vont le
lui donner : la célébrité. A certaines langues déliées qui affirment qu’il est
plein aux as, il répond : «Je n’ai jamais été riche. Je n’ai jamais eu
d’argent ». C’est dans les droits de l’Homme qu’il va retrouver ses repères,
se faire découvrir aux yeux du monde. Désormais, lui qui a toujours refusé
l’aliénation et la domination, il va pouvoir agir sans contrainte
électoraliste, ethnisciste ou communautariste. L’Homme est désormais au cœur de
son combat.
Mais… «La culture des droits de l’Homme est extrêmement minoritaire pour ne
pas dire inexistante, s’indigne-t-il amèrement. L’idéologie qui gère la
mentalité des hommes et femmes de ce pays est réfractaire aux droits de l’Homme
autant dans ses interprétations religieuses que dans ses us et coutumes. Il y a
aussi la tradition des pratiques administratives, judiciaires et policières qui
laissent à désirer.
L’idéologie sociale perçoit les droits de l’Homme comme une vague d’invasion
civilisationnelle et culturelle de l’Occident qui vient éclabousser, déraciner
et mettre sous sa coupe la culture nationale. Certains mauritaniens ne savent
pas que les droits de l’Homme sont des valeurs universelles qui sont seules
capables de faire le bien être de tous et garantir la paix civile et l’Etat de
droit. »
Son activisme dans le combat des droits de l’Homme en Mauritanie absorbe
énormément son temps. Lui-même, il le reconnait. Il n’a pratiquement pas de vie
de famille. «Les plaintes sont tellement nombreuses. Nous sommes
régulièrement sollicités par les victimes, par les parents des victimes. Il n’y
a aucun répit. Nous n’avons aucune possibilité de pouvoir jouir d’un temps pour
la lecture et la famille. Les victimes sont souvent dans des conditions graves
et interpellantes », raconte-t-il.
Dans sa famille, chacun est devenu un militant des droits de l’Homme à force de
côtoyer les victimes. Sa maison se transforme souvent en foyer d’accueil et
d’écoute pour ces dernières. Sans l’appui de la Commission Nationale
des Droits de l’Homme et de S.O.S. Esclaves, Birame Ould Dah Ould Abéid
aurait certainement croulé comme un château de cartes depuis belle lurette.
Actuellement, il semble avoir le vent en poupe. Et rêve-t-il déjà la tête de
ces deux organisations ? «Pas du tout ! Boubacar Ould Messaoud comme Messaoud
Ould Boulkhéir sont des monuments indispensables vu leur qualité, leur
combativité, leur persévérance et leur courage. Autant, l’un est indispensable
au mouvement des droits de l’Homme et surtout à la lutte anti-esclavagiste;
autant,
l’autre l’est en politique (…) », pense-t-il.
En direction de Mohamed Saïd O. Homedi, président de la Commission Nationale
des Droits de
l’Homme (CNDH), il ne tarit pas d’éloges. «Mohamed Saïd
O. Homedi est un homme mûr, un démocrate et un homme de lettres. Je
ne prétends pas qu’il est militant parce qu’il ne l’est pas. C’est un homme
consensuel, un modérateur et un fédérateur des différentes mouvances de la CNDH qui
étaient à l’origine des mouvances très opposées et à couteaux tirés. Mais, son
prestige, son talent, sa capacité de modération et son tact à lui ont pu
rapprocher les gens », témoigne-t-il.
Birame Ould Dah Ould Abéid a mal lorsqu’il voit la communauté
arabo-berbère détenir seule les leviers de commande du pays en paraissant
insouciante et insensible aux dangers qui couvent au sein de la communauté
négro-africaine martyrisée et harratine populeuse et paupérisée. «Cela peut
nous amener dans des situations extrêmement graves et regrettables »,
craigne-t-il.
«Rien n’est fait par les pouvoirs publics pour essayer de garantir la
paix civile. Cela passe d’abord, cette paix civile, par l’édification d’un
système judiciaire fiable et équitable, par le partage des richesses d’une
manière juste, par le diagnostic clair et net, sans ambages ni tabou, des
phénomènes et anachronismes qui rongent la société (mauritanienne) »,
regrette-t-il tout en
s’indignant de la démission des pouvoirs publics sur cet
état de fait dangereux.
Aujourd’hui, Birame Ould Dah Ould Abéid ne rêve que d’une seule chose :
avoir des compagnons de lutte qui croient comme lui à la même cause et prêtent
à se sacrifier, à défier la société et le pouvoir pour imposer les droits de
l’Homme en Mauritanie. Mais aussi la disparition des bidonvilles de Nouakchott,
la fin des pratiques esclavagistes, la mémorialisation des victimes du génocide
effectué entre 1986 et 1991 en leur dressant des sépultures décentes.
Son discours radical lui vaut
de temps en temps des menaces à travers le net, des violences verbales. «Ceci
ne m’intimide pas », lâche-t-il. «J’ai décidé depuis que j’ai eu l’âge
de 35 ans, en faisant un sermon, que je ne me tairai jamais face aux injustices
», rappelle-t-il.
Ce qu’il ne compte pas refaire non plus, c’est se réengager en politique. Comme
tout le monde, Birame Ould Dah Ould Abéid suit avec beaucoup d’attention
particulière et d’intérêt les élections présidentielles américaines de novembre
2008. Il soutient Barack Obama donné favori. Déjà, il pense que la Mauritanie aura
un jour un président noir. «Cela va se réaliser après des secousses.
L’histoire va ainsi », croit-il.
Babacar Baye Ndiaye
Source
: Le
Rénovateur Quotidien (Mauritanie)