A.H.M.E.

ARTICLE 152 :

 

 

 

Décompte macabre: Petite histoire de coups d’Etat

 

    Encore une fois, la Mauritanie vient de connaître, en ce jour du 6 août 2008, un énième coup
    d’Etat contre les institutions de la république qu’incarnait, cette fois, le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, démocratiquement élu, il y a 15 mois. Avec cet acte, le pays du million de poètes est en passe de devenir celui du million de putschistes. Pourtant, il ya quelques mois, le monde entier saluait,  avec beaucoup d’espoir, l’expérience démocratique de la Mauritanie. Aujourd’hui, suite à la révocation de quatre officiers supérieurs de l’armée, devenus gênants, après avoir été les principaux artisans de la victoire du président Sidi,
    l’armée a, une fois de plus, intervenu, pour occuper les devants de la scène et redessiner les contours de la donne politique, dont elle ne veut, décidément pas, être exclue. En un demi-siècle d’existence, la République Islamique de Mauritanie (RIM) occupe une place «honorable» dans le peloton de tête des pays secoués par les coups de force. Régulièrement, depuis 1978, date du premier coup d’Etat contre le père fondateur du pays, feu Moktar Ould Daddah, c’est, en moyenne, tous les 5 ans qu’un coup d’Etat, ou une tentative de déstabilisation du régime en place, est organisé, avec une tendance singulière à
    l’accélération, les cinq dernières années…

    Lundi 10 juillet 1978 : Premier coup d’Etat en Mauritanie
    Il y a 30 ans, presque jour pour jour, les militaires opéraient leur premier coup d’Etat contre le régime civil de Moktar Ould Daddah. Un comité de redressement national, présidé par le lieutenant-colonel Moustapha Ould Mohamed Salek, prend en main les affaires du pays, en promettant, dans son premier communiqué, de remettre «incessamment» le pouvoir aux civils, suite à un processus démocratique. La raison fondamentale invoquée par les putschistes d’alors était que le pays vivait dans une précarité dramatique, occasionnée par une ‘’guerre injuste’’ dont l’effort ne pouvait plus être soutenu par les caisses de l’Etat. Moins d’un an après, le 5 avril 1979, le colonel Bouceif devient l’homme fort du pays. Il disparaîtra, dans un crash d’avion, deux mois plus tard (mai 79), dans des conditions non encore élucidées. Successivement, les colonels Mohamed Mahmoud Ould Louly et Mohamed Khouna Ould Haidalla prendront les rênes du pouvoir. Si le premier n’a été qu’un président très éphémère, le second aura marqué les esprits, par ses sorties intempestives. Du 4 janvier 1980 au 12 décembre 1984, le colonel Haidalla refuse de se soumettre aux injonctions des institutions monétaires internationales. De son règne, les Mauritaniens retiendront une grande rigueur, une volonté ferme d’appliquer la Charia, l’organisation des structures
    d’éducation de masses, chargées de suivre les populations dans leurs derniers retranchements et le début de construction d’un «palais du peuple», dont les fonds prirent, rapidement, les chemins de la dilapidation…

    Le «douze- douze» 84 : Encore un colonel
    Six ans après le débarquement du premier président de la Mauritanie, un nouveau coup de force eut lieu, le 12 décembre 1984, à Nouakchott. Une nouvelle junte militaire, avec, à sa tête, le colonel Maaouya, profite de l’absence de Haidalla, en voyage à Bujumbura, pour s’accaparer du pouvoir. Une puissance étrangère amie se serait fortement mobilisée pour la réussite de ce changement, car le président sortant était «difficilement gérable». Aussitôt aux affaires, les nouveaux patrons du pays promettent de mettre en place un processus qui aboutira à doter le pays d’institutions démocratiques. Pendant vingt et un ans, de décembre 84 à août 2005, le pays connaîtra un bouillonnement politique, variablement coloré. Plusieurs élections municipales, législatives et présidentielles. Toutes ces consultations électorales, à
    l’exception de celles de 2001, ont été un véritable fiasco au cours duquel toutes les irrégularités, des plus banales aux plus inédites, ont été observées. Par trois fois, en 1992, en 1997 et en 2003, le colonel Taya remporte, non sans graves contestations, les scrutins présidentiels. Durant ces trois législatures, les libertés fondamentales et les droits de
    l’homme ont été dangereusement bafoués : emprisonnements, tueries, restrictions de la presse et dissolution des formations politiques. D’un officier supérieur timide, qu’on pensait pouvoir manipuler aisément, le colonel Maaouya s’est mué en homme très fort, qui a su, grâce à un dispositif «vigilant», asseoir une «démocratie» taillée sur mesure, où tous les pouvoirs étaient centralisés sur sa personne.

    Des tentatives avortées
    Plusieurs tentatives de déstabilisation des régimes en place furent entreprises, de 1981 à 2003. Il y eut, d’abord, celle des commandos, dirigée par les colonels Kader et Ahmed Salem Ould Sidi, soutenue par le Maroc pour mettre fin au pouvoir de Ould Haidalla, allié naturel du Front Polisario. À l’issue de cette tentative avortée, les commanditaires furent passés par les armes, pour haute trahison, sans autre forme de procès. Il y eut, ensuite, celle du jeudi 22 octobre 1987, menée par des négro-africains mauritaniens, qui voulaient, selon les rapports des services de renseignement de l’époque, prendre le pouvoir pour instituer un Etat où les africains noirs de Mauritanie auront leur mot à dire. Toujours selon cette source, les instigateurs de cette tentative auraient prévu une épuration du pays de toute la composante arabe.  Comme les autres, les responsables de ce «plan» seront liquidés, suite à un simulacre de procès  d’assises militaire, tenues à la base de Jreida, à quelques dizaines de kilomètres de Nouakchott. Enfin, en juin 2003, l’ancien commandant radié Salah Ould Hannena et quelques officiers audacieux égratignent, en fait mortellement, on le comprendra un peu plus tard, le système de Maaouya. Celui-ci échappe, de justesse, à la trappe, à cause de l’inexpérience des meneurs. Après une cavale de quelques mois, Salah Ould Hannena et ses amis sont arrêtés et jugés, lapidairement, à Ouad Naga. Leur audace aura quand même servi à faire comprendre que le système Taya était certes puissant, mais pas indéboulonnable.

    3 août 2005 : Le roi est mort, vive le roi
    Tranquillement, sans aucun bruit, les hommes de confiance de Maaouya profitent de son voyage en Arabie Saoudite pour le destituer. Contrairement à Haidalla, le président déchu préfère l’exil à la prison. Ses tombeurs, qui l’accusent de tous les maux, fondent le Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD), composé de 19 officiers supérieurs et présidé par le colonel Ely Ould Mohamed Vall. Cet organe promet, dans ses premiers communiqués, qu’en deux ans, au maximum, des élections libres et transparentes permettront, d’une part, le retour des civils aux affaires et, d’autre part, le retrait de l’armée dans ses casernes. Effectivement, c’est au bout de dix-neuf mois qu’un président issu du peuple est élu, suite à des élections, unanimement saluées dans le monde.

    6 août 2008 : «pour sauver la constitution»?
    Selon l’avis de certains observateurs autorisés, ce n’est, hélas, probablement pas le dernier coup de force que celui qui vient de renverser le premier président démocratiquement élu de la Mauritanie. Les instigateurs de ce coup, après la diffusion d’un décret les limogeant, auraient agi, selon leurs dires, «pour sauver la démocratie et les institutions démocratiques». Ils promettent d’organiser, rapidement, une élection présidentielle sans dire quand ni si l’un
    d’eux va s’y présenter. En attendant, un haut conseil d’Etat, avec, à sa tête, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, ancien chef d’état-major particulier du président déchu, se chargera de la gestion des affaires du pays, jusqu’au rétablissement de la ‘’normalité’’. Comme toujours, le peuple mauritanien se rend à l’évidence : depuis que la grande Muette a pris goût au pouvoir, il est difficile de la priver des délices que celui-ci confère. Pourtant le rôle d’une armée républicaine est, fondamentalement, de veiller à la défense et à l’intégrité territoriale du pays, loin des choses politiques. Malheureusement, en Mauritanie, l’institution militaire est devenue, à cause de plusieurs facteurs, au centre de la vie politique. Le haut Conseil d’État qui vient de naître promet, comme ses prédécesseurs, de sortir définitivement
    l’armée des choses politiques, après l’organisation d’élections transparentes. Des propos maintes fois réitérés par tous les comités de salut, de redressement et autres conseils militaires et qui s’avèrent n’être que des calmants, destinés à tromper l’opinion nationale et internationale  sur les véritables desseins des nouveaux maîtres de céans…
    Voilà : la Mauritanie renoue avec une presque traditionnelle situation, toute empreinte
    d’expectatives et d’incertitudes. Mais comme elle est résistante cette Mauritanie que plus de six coups d’Etat militaires et presque autant de tentatives n’ont pas réussi à ébranler! Et qu’il est grand et déterminé ce peuple, qui continue, encore, à espérer et à croire, vaille que vaille, qu’un jour, une véritable démocratie démilitarisée prévaudra sur cette terre aux habitants naïfs… et calculateurs.

    Le 10/08/2008

    Sneiba Elkory

    Source : Le Calame, Journal mauritanien

 

 

 

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