A.H.M.E.

ARTICLE 147 :

 

 

 

Le Marabout et les Généraux

 

    Nos généraux ont du mérite. C’est certain. Nous débarrasser de ould Taya, déboulonner sans coup férir et sans un seul jour de couvre-feu, celui qui traînait la forte réputation d’homme impitoyable et invincible, ce n’est pas rien. Certes, ils ont eu les faveurs des erreurs tactiques de Maaouiya qui, saisi d’urticaire face à l’échec de la traque des
    « commetteurs » des forfaits criminels de Limghaity, a négligé un détail. Celui de changer son équipe de traque des salafistes et de l’annoncer à la veille d’un voyage.

    Le calcul est presque mental. Il est bien plus facile de déboulonner un homme d’une vigilance en sommeil que de titiller les barbes de salafistes dans un désert qui cache ses secrets à lui-même. Enfin, c’est une lourde vérité, mais cela n’enlève rien au mérite de nos héros, tellement le départ de ould Taya était une œuvre de salut national. Nos généraux ont aussi du mérite, parce qu’il n’est pas rien non plus, d’imposer par les urnes un homme qui ne peut s’attribuer la légitimité historique de la revendication du changement et qui n’a pas derrière lui une riche tribu ou un passé glorieux. Mais, là aussi, subsiste un petit
    « mais », conjonction de coordination d’un calcul mental caporal. Imposer un tel homme par les urnes devrait, en toute logique, servir de monnaie d’échange dans ce que l’on appelle chez nous « tkhaliss vi
    la’qal ». Calcul mental vite et bien fait, cela revient à instaurer ce qu’on peut bien appeler «la régence démocratique».

    Seulement voilà. Notre président est un marabout du sud. Dans le subtil jeu du «tkhaliss vi la’qal», le marabout en fait une toute autre lecture. Si les généraux ont du mérite, eh bien lui aussi en a. Tout autre que lui n’aurait pas par exemple pu faire éviter l’inéluctable victoire
    d’Ahmed Ould Daddah. Une telle victoire serait d’ailleurs d’autant plus amère qu’elle aurait permis à ce dernier le cumul des trois sources de légitimité (la légitimité des urnes, la légitimité historique de revendication du changement et la légitimité sociale de gouvernance –étant issu des familles Ehel Daddah et Ehel Cheikh Sidiya-).

    Et là n’est pas le moindre des mérites du marabout-président. L’issue du second tour est largement déterminée par le ralliement de Messaoud Ould Boulkheir. Or, cet homme a été le plus critique vis-à-vis des militaires durant toute la période de la transition, et Sidi est pour beaucoup dans son ralliement au second tour. Comme quoi, il faut bien relativiser le poids des militaires dans la victoire finale de Sidioca. Suprême malentendu. Pour Siodioca, les rôles sont bien clairs. Il est élu pour gouverner et non pour inaugurer les chrysanthèmes. Les généraux sont là pour les choses pour lesquelles ils sont formés : la sécurité et les questions militaires et non pour les s’occuper des questions politiques.

    Sidioca est de suite allé de cette vision. Le premier gouvernement de Zein ould Zeidane est sans aucun doute largement déterminé par le président, les amis militaires simplement invités à proposer des noms et non à valider l’attelage gouvernement final. Et à Sidioca d’enchaîner les initiatives politiques sans l’aval des militaires : le dossier des réfugiés et du passif humanitaire et la question de l’esclavage sont traités malgré les réserves des militaires qui, contre mauvaise fortune, ont du se résoudre à faire bon cœur, en attendant….

    En attendant quoi ? En attendant d’asseoir leur autorité sur leur sphère d’influence naturelle à savoir l’armée. Un processus dans lequel la collaboration du marabout est nécessaire. En effet c’est lui qui doit signer le décret les portant aux grades de Généraux. C’est lui aussi qui doit bénir les affectations qu’ils doivent entreprendre au sein de la grande muette pour installer leur réseau de fidèles. Un processus dans lequel les traditionnelles règles de promotion internes de l’armée ont du ressentir quelques douleurs au coup. C’est dire que le moment aurait été mal choisi pour engager les hostilités avec Sidioca. La facture lui sera présentée plus tard. 

    Et c’est ce scénario qui semble se jouer.

    En effet, la démission du gouvernement Zein ould Zeidane et surtout le départ du jeune P.M les ont pris de court, tout comme d’ailleurs la nomination du nouveau premier ministre Yahya ould Ahmed Waghef, réputé homme du président et pour certains fidèle serviteur du Groupe MAOA. Certes, les Généraux seront reçus par le tout nouveau premier ministre avant la formation du gouvernement, mais c’était déjà une baisse en grade politique qui contraste si fortement avec leur hausse en grade militaire.Cerise sur le gâteau, les hommes qui sont réputés proches d’eux quittent le gouvernement. Et comme pour marquer définitivement son emprise exclusive sur la chose politique, Sidioca élargit ses soutiens à travers de nouveaux partenaires politiques : les anciens du PRDS (roumouz al-vessad) exclus du premier gouvernement, les islamistes et surtout l’UFP, hostiles à l’intrusion des militaires dans le jeu politique.

    Il ne restait plus aux Généraux qu’à déclencher le bras de fer avec le marabout. Pour cette fin, il fallait s’abord s’assurer, sinon du soutien, du moins de la compréhension des chancelleries occidentales. Or celles-ci sont très sensibles à la mollesse réelle ou supposée de Sidioca sur le dossier du terrorisme, mais ne sauraient accepter que des actions légales. Le deal est donc vite trouvé. C’est un oui mais.

    Se déclanchent alors les premières actions. Cheikhna ould Nenni et le Sénateur Mohcen ould El Hadj montent au créneau et dénoncent le retour des «roumouz al-vessad» et l’abandon de «l’esprit du changement du 3 août», comme si nos supers héros du changement sortaient tout droit du maquis de résistance au régime Taya. On l’aura compris, le message est dans le porteur du discours et non dans le discours lui-même. Il fallait comprendre que c’est un bras de fer Généraux - Marabout. La dynamique de la motion de censure est ainsi enclenchée et plus rien ne peut l’arrêter. Sidioca le réalise bien tout comme il prend toute la mesure de la contre-performance d’une hasardeuse dissolution de l’Assemblée à laquelle les chancelleries occidentales se montrent fondamentalement hostiles. Il était une fois Chirac, pouvait-il penser. Sa riposte sera surtout un discours de fermeté, pour le principe. Mais encore une fois, il profite de l’erreur tactique des Généraux. En effet, en réclamant la dissolution du gouvernement, les frondeurs n’en donnent aucun contenu concret, notamment en termes d’exigences et de revendications gouvernementales. Cette erreur permet à Sidioca de remplir la condition de forme (démission du gouvernement) en conservant les options de fonds (reconduction immédiate de Yahya au poste de premier ministre).

    Encore une bataille perdue par les militaires et la guerre continue. 

    Depuis quelques jours, les pièces d’un nouveau puzzle se mettent en place. Subrepticement, l’assise juridique d’une Haute Cour de Justice avait été mise en place, on ne sait trop ni pourquoi ni comment. Une telle institution ne figure en tout cas pas dans les recommandations des journées de concertation, principale source d’inspiration des modifications apportées à la constitution. Aujourd’hui, tout porte à croire que dans la confusion de la transition une main rusée était passée par là pour enterrer cette redoutable arme. On ne sait jamais !

    Au Sénat, on s’agite pour mettre dans le collimateur la Fondation Khatou Mint Boukhary. L’objectif est clair : Prendre Sidioca de revers en s’attaquant à ce qu’il lui reste (la fidélité de l’armée et du parlement
    n’est plus assurée) et de ce qu’il a de mieux, sa moralité. La logique voudrait que si biens publics ont été indûment versés à FKB, que la procédure visât d’abord l’administration responsable des versements. Et prouver dans une seconde phase que celle-ci a agi sous la pression présidentielle. Mais il est à craindre que l’on ne s’embrasserait pas de tout ce formalisme. Sachant que l’instruction de la Haute Cour est principalement parlementaire, on ne peut que constater sa redoutable efficacité.

    Ainsi, au bout du rouleau, peut être, un procès pour haute trahison pour Sidioca. A moins que, encore une fois, la tactique du Marabout ne prenne le dessus sur la stratégie des Généraux.

    Une chose est sûre : Le deuxième gouvernement que Ould Waghef vient de sortir de son chapeau a plus l’air d’être le fruit d’une pause dans le bras de fer Sidioca/Généraux qu’il n’est l’expression d’un sincère compromis où chacun a décidé de contribuer par les meilleurs de ses troupes.

    Le 22 juillet 2008

    Moussa Ould Abdou

    Source : SOS Abbère

     

 

 

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