Par Yahya ould
Beiba
Le système scolaire hérité de la colonisation, nous l'avons vu, était
constitué “d'écoles modernes” françaises doublées d'un système inspiré de
l'éducation locale. Le français occupait une place prépondérante dans
l'administration. Il était la clé d'accès aux nouveaux emplois et aux postes à
responsabilité.
Les populations qui avaient adhéré au système éducatif francisé, comme
les ethnies négro-africaines, étaient munies d'un capital scolaire plus
compétitif que les autres. Au cours des années 1960, Mokhtar Ould Daddah allait
s'engager dans une politique d'arabisation de l'administration et de
l'enseignement, afin de faire de l'arabe la langue officielle. La réforme du
système scolaire et l'introduction de la langue arabe allaient devenir les
enjeux centraux de la vie politique mauritanienne et les principales
motivations du communautarisme. Les réformes allaient par ailleurs engendrer d'autres
problèmes, relatifs notamment à la qualité des enseignants arabisants. Il
allait toutefois s'avérer difficile de maintenir à un niveau satisfaisant
l'enseignement en arabe, surtout dans un contexte de massification de
l'enseignement national. L'appel aux enseignants religieux traditionnels et à
quelques coopérations extérieures avec des pays arabes ne permettra pas de
résoudre réellement ces difficultés. La “querelle linguistique” naît au milieu
des années 1960, opposant les Maures, très attachés à leur culture arabe et à
leur langue et peu scolarisés en français, aux négro-africains, pour qui la
maîtrise du français était l'un des rares avantages acquis dans un pays dominé
politiquement et économiquement par les Maures. Le principe du bilinguisme franco-arabe
introduisait donc une modification dans le partage des tâches. Les
négro-africains manifestaient violemment leur opposition à toute réforme allant
dans le sens de l' arabisation dès 1966, déclarant que la promotion de l'arabe
les feraient devenir, presque mécaniquement, des citoyens de seconde zone.
Néanmoins, les réformes allaient se succéder dans ce sens. Le 30 janvier 1965,
une loi rendait obligatoire l'apprentissage de l'arabe dans le second cycle du
fondamental. En 1967, la langue arabe était enseignée dans l'ensemble du
fondamental, mais n'était encore enseigné que comme une matière à part. Par
contre, en 1973, la réforme appliquée arabisait entièrement les deux premières
années du primaire, le français n'étant plus enseigné que comme langue étrangère.
Dans l'enseignement
secondaire, une nette séparation existait entre la matière appelée “Instruction
Civique, Morale et Religieuse” (Histoire, Géographie, etc.) enseignée en arabe,
et les disciplines scientifiques (sciences physiques, mathématiques, etc.)
enseignées en français. Ce n'est qu'à la fin des années 1990 que le pouvoir en
place à Nouakchott allait revenir sur cette réforme en réintroduisant du
français dans le cycle fondamental (primaire). Les méfaits de ces réformes
furent multiples. Elles sont à l'origine des tensions communautaires qui
aboutirent aux évènements de 1989, durant lesquels le pouvoir se livra à des
exactions sur la population négro-africaine qui conduirent 80 000 personnes à
fuir vers le Mali et le Sénégal. Par ailleurs, État étant incapable de former
un nombre suffisant d'enseignants en arabe, il dut recourir à des professeurs
sous-qualifiés. Manquant de formateurs, l'État allait puiser des
enseignants mis à disposition par des pays arabes (en très petit nombre) mais
surtout dans l'enseignement religieux traditionnel mauritanien. Ces réformes
contribuèrent à abaisser le niveau scolaire, à introduire dans le système
scolaire des enseignants religieux sans grande formation ni parfois grande
connaissance des matières enseignées et enfin ne disposant que d'une pédagogie
archaïque privilégiant l'apprentissage par cœur à la réflexion et l'analyse.
Les réformes créèrent ce que les Mauritaniens appelèrent des “analphabètes dans
les deux langues”. L'échec de la massification de l'enseignement public,
conjugué à l'arabisation de l'enseignement, allait former des élèves avec un
niveau de français médiocre, ce qui constituait un facteur handicapant sur le
marché de l'emploi, même quand ces élèves poursuivaient leur cursus dans le supérieur.
Les emplois de cadres étaient alors réservés aux enfants des classes aisées
ayant pu poursuivre des études dans un pays francophone. Ces réformes ont formé
des élèves ou des étudiants arabisants dont certains poursuivaient leur cursus
supérieur dans les pays du Golfe où les bourses et les conditions d'admission
étaient plus attirantes que dans les pays maghrébins, et à fortiori, européens.
C'est dans cette couche d'anciens élèves du secondaire, des écoles religieuses
et des étudiants du supérieur, que l'on retrouve de nombreux cadres et
militants des mouvements islamistes. Il en allait de même pour les élèves qui
poursuivaient un cycle supérieur à l'ISERI ou dans l'Institut saoudien des
études islamiques. Financé entièrement par des fonds saoudiens, cette véritable
université islamique, où la bourse d'un étudiant de premier cycle correspondait
au salaire d'un professeur de l'enseignement public, formait, au même titre que
l'ISERI, des jeunes gens qui se destinaient à embrasser une carrière religieuse
(imam, qadi, etc.). Mais bien peu pouvaient accéder à ces postes à la sortie de
l'école et se retrouvaient avec une formation théologique quasi-inutilisable
sur le marché de l'emploi. En 1994, le gouvernement mauritanien créait un
centre d'insertion professionnelle destiné aux étudiants sortants des écoles
religieuses, financé par la Banque Islamique de Développement. Dans ce centre,
les élèves, habitués à écouter les interprétations du Coran et de la Sunna,
apprennent pendant deux années la mécanique, la menuiserie, le bâtiment,
l'électromécanique. Les résultats sont peu probants: les élèves sont peu
motivés et peinent à s'adapter à des métiers manuels, socialement très
dévalorisants en Mauritanie, alors qu'ils ambitionnaient d'être des imams ou
des qadis. Ces réformes de l'enseignement, qui ont conduit à l'arabisation
progressive du système éducatif, ont produit une classe d'étudiants chômeurs,
coupé de tous liens avec l'occident, qui constituent l'un des viviers de
recrutement des islamistes en Mauritanie. Ce retour à l'arabe conduisait
également à la promotion d'une nouvelle élite, beaucoup moins ouverte à
l'Occident.
Le
13/06/08
Source : http://donrim.unblog.fr/
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