TEMOIGNAGE 22:

 

A.H.M.E.

Un nouveau discours pour l'impunité

 

 

L’IMPUNITE SE FORGE UN NOUVEAU DISCOURS

 

 

A la faveur d’une allocution radiotélévisée, le 3 juin 2006, dans la ville de Rosso, le Président du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie, tenait, sur l’esclavage, son abolition et les militants des droits de l’Homme, des propos d’une teneur qui déconcerte. En plus de leur similitude avec les thèses négationnistes du pouvoir déchu du Colonel Ould Taya, ceux-ci- contredisent, sur le même thème, la profession de foi du Chef de l’Etat, intervenue, le 27 mai à Akjoujt.

 

Par la même occasion, il s’est livré à une charge contre la religion en politique, pamphlet où domine la confusion entre terrorisme et islamisme d’opinion.

 SOS Esclaves ne souhaite pas polémiquer avec l’autorité transitoire, dont les volte-face rendent désormais difficile toute lisibilité d’une ligne de conduite officielle sur les deux sujets ; néanmoins, notre association rappelle l’enjeu du débat et ses perspectives :

 1 : A ce jour, aucune loi ne donne un contenu pénal aux pratiques de servitude les plus courantes dans l’espace mauritanien ; ici, il ne s’agit ni de traite ni de trafic d’organes comme le stipule le texte de 2003, mais bien d’un esclavage traditionnel, à vocation domestique et dont découlent des séquestrations de personnes – souvent des mineurs – des captations d’héritage, des travaux non rémunérés, des abus sexuels, etc. Le droit interne ne prend pas en charge cette réalité-là.

 2 : En dépit de l’inflation des textes d’interdiction, aucun cas du genre n’a été instruit par un juge mauritanien ; toutes les situations portées devant les forces de l’ordre, l’administration ou les tribunaux finissent par l’occultation pure et simple. Le problème, aujourd’hui, n’est pas un déficit de normes mais, plutôt, leur non application. Depuis 1995, date de création de SOS Esclaves, nous avons médiatisé des dizaines d’exemples de pratiques esclavagistes dans notre pays sans qu’un seul ne parvienne au stade de l’enquête judiciaire.

 3 : Quant le Chef de l’Etat se permet de défendre, avec colère, les thèses révisionnistes des milieux que l’évocation de l’esclavage embarrasse, il cesse de s’adresser à tous les mauritaniens. Ce faisant, il privilégie les intérêts des tribus et participe de cet esprit de corps où s’enracine l’impunité ethnique. Si les citoyens de ce pays sont égaux, alors, cela implique, pour les victimes de discriminations, la faculté, minimale, de dénoncer le crime et réclamer réparation. Le premier personnage de la Cité ne les blâme pas, il a le devoir de les entendre, de les soutenir, de les guider vers l’émancipation. La règle vaut pour les déportés et les survivants des massacres, à caractère raciste, contre les populations négro-africaines, entre 1989 et 1991.

4 : L’argument de la nuisance à l’image extérieur de la Mauritanie ne pèse rien, strictement rien devant le constat de l’injustice. Un Etat qui ne protège pas ses citoyens de l’iniquité ou s’en rend complice – serait-ce seulement par omission - ne mérite aucune déférence particulière. En conséquence, SOS Esclaves rejette toute exhortation patriotique, lorsque les droits élémentaires de la personne se trouvent en cause. Il est constant à nos yeux que la souveraineté nationale cesse de prévaloir devant l’impératif de préserver la dignité humaine. .

 5 : Nous demeurons ouverts au débat, avec le pouvoir de transition, cela dans le cadre des résultats des journées de concertation du mois d’octobre 2005 et du colloque du 24 mars 2006, deux moments forts dans le constat des pratiques esclavagistes en Mauritanie, deux initiatives des autorités qui s’engageaient, depuis, à appliquer les conclusions des travaux.   Nous réitérons notre disponibilité à discuter d’un plan national d’éradication de l’esclavage, dans le respect des recommandations, faites à la Mauritanie, par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (UA, Alger 2000) et le Comité pour l’Elimination de la Discrimination Raciale (ONU, Genève 2004).

 6 : Pour SOS Esclaves, association pourtant séculière, il n’existe pas de mouvement de terreur en Mauritanie, donc nulle raison, - empirique ou morale – d’interdire la reconnaissance d’un parti réformiste musulman. La démocratie se vérifie dans la régulation englobante de toutes les contradictions, point par la censure et le pluralisme sélectif. De surcroît, il est un motif d’irrationalité que de telles formations soient exclues, au moment où les groupes et personnes, responsables de népotisme, de corruption, de trafic d’influence, parfois de tortures, meurtres, déportations et sabotage de l’Etat participent, sans entraves, à la compétition électorale.

 le 11 juin 2006

 

  

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