TEMOIGNAGE 2:

A.H.M.E.

 

SIDI FALL, UN BOUC EMISSAIRE APPROPRIE :

 

 

 

 

Sidi FaII, un bouc émissaire approprié

      Ingénieur agronome, descendant d'esclaves, Sidi Fall est le modèle de ce que les

    universités occidentales savent faire des enfants doués des pauvres du Tiers-monde qui ont eu

    la chance (l'y accéder: moitié dieu, moitié diable, comme le personnage de Moustapha dans

    La Saison de la migration vers le Nord".

    II naquit, il y a une quarantaine d'années à Rosso, capitale du Trarza, pays du riz, de

    l'abondance et berceau de la culture et de la beauté.

    Au terme d'une ascension fulgurante, il fut nommé directeur de la Ferme d'Etat de

    M'Pourié, située à proximité de sa ville natale, et qui avait à charge de gérer des rizières, un

    centre pilote d'élevage intensif et des engins agricoles modernes. .

    Le mérite de cette promotion revenait beaucoup plus à l'influence de son frère,

    dirigeant d'un mouvement d'émancipation qui milite au sein du parti au pouvoir, qu'au

    diplôme de doctorat en agronomie qui a sanctionné de brillantes études effectuées dans les

    universités de Montpellier et d'Arizona où il était toujours premier.

    Marié et père de deux adolescentes pour lesquelles il voue une grande affection : Asta,

    sa propre fille et Ramla, la fille de son épouse.

    Parvenu rapidement au sommet, Sidi Fall acquit fortune, puissance et relations durant

    plusieurs années. Sa nouvelle situation tranchait nettement avec son passé marqué par

    l'individualisme et le repli sur soi. Le jeune homme toujours silencieux, toujours réservé et

    ayant pour seule passion la lecture des livres avait disparu : Sidi Fall s'était engagé dans

    l'action politique, au sein du parti au pouvoir, et s'y était révélé. Sous son impulsion, le

    mouvement d'émancipation sociale connaissait un essor prodigieux.

    Actif, ambitieux et charismatique, il incarnait maintenant par son intelligence, sa vaste

    culture et sa détermination, le libérateur, le messie tant attendu.

    Dans un Etat de droit, ayant adopté la démocratie, Sidi FaII aurait pu être utile à son

    pays et vivre en paix et en sécurité comme les autres.

    Hélas., ce ne fut pas le cas. Le 25 Janvier 1998, le superbe cavalier fut brusquement

    désarçonné, traîné dans la poussière et jeté en prison. II s'y trouve encore, malgré plusieurs

    décisions judiciaires de non-lieu.

"- Que lui reproche t-on? "

    "- Détournement de deniers publics! "

    "- Deniers publics? "

    "- Enfin! ils l'ont pris! Depuis longtemps il devait répondre de ses forfaits... recevoir la

    punition qu'il mérite... Même revêtu d'or, l'esclave reste esclave... "

    Certaines sociétés ont une tendance curieuse à la crédulité et prennent facilement à

    leur compte les accusations portées contre l'autre, au point de s'en délecter parfois.

    Et, dans une société comme la nôtre, marquée par le fanatisme et caractérisée par

    l'approfondissement effarant du fossé qui sépare la masse des pauvres de la coterie des

    nouveaux riches, il est bien rare que l'on s'interroge sur le bien-fondé de telle ou telle

    accusation ou de se rappeler le principe de la présomption d'innocence.

    Même la presse libre!

    Oui... comment peut-on ignorer, de bonne foi, devant pareille accusation:

  • que des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes ont commis des détournements
  • de deniers publics, sans être pour autant inquiétées, malgré l'existence de preuves accablantes,

    à tel point que les détournements sont devenus la règle et les poursuites l'exception'?

  • que dans le cadre des rivalités sourdes qui secouent chaque jour le parti au pouvoir, la
  • composition sociale de la tendance politique de Sidi Fall la rend particulièrement suspecte aux

    yeux du pouvoir et inquiétante au regard de la tendance ultra conservatrice dominante ?

1

 

 

  • que la montée de son principal adversaire politique, le député-maire de Rosso - qui se

trouve être aussi l'ancien maître de sa famille - et sa nomination à la tête d'un ministère qui

compte parmi les plus importants en termes de privilèges n'est pas fortuité?

  • que la juteuse ferme de M'Pourié est l'enjeu d'une lutte sans merci entre les "cadres", et
  • qu'elle est convoitée en outre par les lobbies influents qui rêvent de l'avaler dans la foulée de

    la libéralisation sauvage en cours?

    De surcroît, des indices suffisants prouvaient bien que Sidi Fall, ce fils de la Chemama

    (la vallée du fleuve Sénégal ), n'est pas homme à accepter une telle opération, et qu'il fallait

    par conséquent s'en débarrasser.

    Ainsi donc, plusieurs facteurs se sont conjugués pour aboutir à sa chute vertigineuse,

    tout comme l'influence de son frère avait été hier à l'origine de sa fulgurante ascension.

    Le compte à rebours avait commencé par l'application de la règle de l'alternance, tout

    au moins en ce qui concerne la gestion de la Ferme de M'Pourié qui revenait désormais à un

    cadre du clan adverse, tandis que Sidi Fall était exilé dans une administration centrale au

    Ministère du Développement Rural à Nouakchott.

    Il passa donc service à son remplaçant et s'en alla tranquillement, exempt de tout

    reproche, tandis que le nouveau directeur s'installait dans son nouveau domaine.

    ***

    Une année s'écoula.

    La Ferme de M'Pourié fut en bonne partie " régulièrement " cédée avec ses

    équipements contre un prix symbolique à un groupe représenté par une inoffensive société de

    prestations agricoles dénommée SI CA P.

    Les artisans de cette transaction ( le nouveau directeur et certains élus de Rosso)

    eurent leurs récompenses : la SICAP était généreuse. Et l'on savait récompenser les méritants

    en les laissant piller sans retenue les biens publics dont ils ont la charge.

    La situation de l'établissement se détériorait rapidement. La Ferme, naguère si riche, si

    prometteuse et qui avait trente années durant constitué un pôle d'attraction où convergeaient

    les prêts et les différentes formes d'assistance, avait aujourd'hui l'allure d'un hameau désert,

    sinistré, abandonné, après avoir été un instrument précieux qui a servi à rapprocher le pays de

    son objectif d'auto-suffisance céréalière.

    Les règles du jeu dictent aujourd'hui d'ouvrir une enquête et de porter des accusations

    (peu importe contre qui) chaque fois qu'un établissement de ce genre faisait l'objet d'un

    pillage ostentatoire. Une manière comme une autre de donner le change aux bailleurs de fonds

    lassés de voir dilapider l'argent du contribuable, qui n'aura eu aucune incidence sur le

    développement de ceux auxquels il était destiné.

    Une mission de la Cour des Comptes se rendit donc sur les lieux et effectua du i 3 au

    25 mai 1997 un contrôle sur la Ferme. Son état était lamentable : " inexistence totale de

    comptabilité, un endettement très élevé et la non maîtrise des recettes " (Page 15 du Rapport

    de la Mission - En Français dans le Rapport). .

    A qui incombe la responsabilité des dégâts? A l'administration naturellement ! Au

    Directeur et au Comptable ! Au Président du Conseil d'Administration!

    La mission adressa au Directeur 2 demandes d'explications : les demandes N° 34 et N°

    35, datées respectivement du 21 et 23 Juin 1997. Le premier responsable de la Ferme était

    sommé de fournir des explications sur le sort de quarante millions d'Ouguiya et sur les motifs

    d'un certain nombre d'agissements illégaux, dont notamment la cession à la SICAP du

    patrimoine de la Ferme à l'insu de son conseil d'administration.

    2

     

     

    Dans sa réponse, le Directeur reconnut franchement sa responsabilité dans certains

    faits, mais tenta par ailleurs de se justifier tant bien que mal en avançant des arguments qui se

    sont par la suite révélés faux. ( Pages 21 et 22 du Rapport).

    La Mission entendit également le Comptable et le Président du Conseil

    d'Administration. Ils reconnurent tous deux avoir manqué à leurs obligations légales et à leur

    devoir.

    La crédibilité de la Cour des Comptes était mise à l'épreuve. Les coupables devaient

    répondre de leurs actes, subir les sanctions prévues par la loi. D'autant plus que le slogan

    "Mains propres" venait d'être lancé.

    L'étau se resserrait inexorablement sur l'Administration. Il fallait trouver quelque

    chose pour sauver les amis. Vivement, une solution!

    C'est alors que les cafards de l'ombre se donnèrent le mot pour cacher la clarté du

    soleil : Tiens! Sidi Fall L'ancien directeur! Le bouc émissaire approprié! Parfaitement! Sidi

    Fall!

    Une solution où se mêleront la politique, l'argent et les règlements de comptes...

    Et soudain, poussée par une force toute puissante, la demande d'explication n°37

    atterrit. Autant elle était hâtive, puisqu'elle venait avant la demande d'explication n° 36 -.dont

    on a jamais d'ailleurs trouvé trace, autant elle était tardive, puisqu'elle était datée du 29 juin -

    soit un mois après la clôture du contrôle.... Enfin, elle était expédiée par la Commission de

    Contrôle sise à Nouakchott et adressée à Sidi Fall, ancien directeur de la Ferme d'Etat de

    M'Pourié, demeurant à Nouakchott.

    " Expliquer quoi? N'ai-je pas quitté propre la direction de la Ferme, il y a une année de

    cela? Et puis, je n'ai jamais été entendu par les contrôleurs. D'ailleurs, mon nom n'est

    mentionné sur aucune facture ni sur aucun contrat, et je n'ai plus de relation avec la Ferme

    depuis une année."

    - "Il y' avait de votre temps un programme de reboisement financé conjointement par le

    FIDA et l'OPEP. L'actuel directeur nous en a informé dans sa dernière réponse... "

    -" La Ferme a respecté ses engagements et le programme a

    - " Les documents comptables? "

    - " Adressez-vous au comité exécuté. D'ailleurs, ni

    L'OPEP ni le Fida n'ont exprimé de réserve à ce sujet... ",

      - " Il est mort. "

      - " II existe un autre, bien vivant! "

    - " Nous n'avons trouvé ni archives ni états... "

    - " Je .ne suis plus directeur de cet établissement; je n'en ai jamais été le comptable. "

      Vint la mise en demeure N° 1 datée du 22 Juillet 1997. Elle sommait Sidi Fall de

    restituer une somme strictement égale à celle qui fit naguère l'objet de la demande

    d'explication adressée à l'actuel directeur de la Ferme. Remarquable coïncidence!

    La mise en demeure numéro deux, de la même date, était adressée au Directeur, auquel

    on ne demandait plus que la restitution d'un dixième du montant initial.

    Au comptable, on ne demandait plus rien.

    Le programme de reboisement devenait peu à peu l'arbre qui cache toute la forêt de la

    gestion catastrophique de la Ferme.

    Ni Sidi Fall, ni le Directeur n'ont remboursé la somme réclamée par la Commission.

    Les élections présidentielles approchaient. Tout devait s'arrêter. Les résultats du

    scrutin sont certes connus d'avance, mais de telles occasions servent généralement à aplanir

    certains problèmes. La bataille électorale se déroula comme prévu. Peu importe de savoir si

    3

     

     

    Sidi Fall et les siens ont réellement voté en faveur du Président. Seul compte le contenu des

    rapports secrets; or, les clés de ces derniers se trouvent aux mains de leurs adversaires.

    Le rapport de la Commission de Contrôle prit enfin sa forme définitive: bouleversé de

    fond en comble ! Il était originellement intitulé : " Situation comptable et financière; actuelle

    de M'Pourié:". II prenait un nouveau titre et s'appelait désormais : " Vérification de certains

    aspects de la gestion des crédits FIDA - OPEP /Situation financière de la Penne". La période

    couverte par le contrôle faisait un grand bon en arrière, et les années 1994, 1995 et 1996 y

    étaient maintenant incluses.

    En revanche, l'année 1997 qui est pourtant située au coeur du problème et dont la

    gestion avait fait l'objet de plusieurs demandes d'explications, disparaissait à la faveur de cette

    profonde révision. Même l'ordre chronologique des correspondances n'était pas respecté : les

    numéros 34 et 35 venaient après le numéro 37 et les correspondances datées du 29 Juin avant

    celles du 21. Tout cela pour effacer le rôle de l'Administration et mettre au premier plan la

    responsabilité de Sidi Fall, créée de toutes pièces.

    Aucune proposition de poursuites ni de mesures disciplinaires à l'encontre des

    responsables de la Ferme.

    Cependant, voilà que le Ministre du Développement Rural adresse au Commissaire du

    Gouvernement près là Cour des Comptes une lettre par laquelle il lui demande d'engager des

    poursuites contre Sidi Fait, Le Directeur et le Comptable, suivant l'ordre nouveau adopté par

    l'édition revue et corrigée du Rapport.

    Les cafards de l'ombre se mettaient une fois de plus en campagne. Il fallait à tout prix

    sauver les amis.

    * * *

    C'est ainsi que tu fus poursuivi. Emprisonné. Seul. Les coupables, eux, ricanaient en

    toute liberté sur les vestiges de M'Pourié, loin des poursuites judiciaires et des sanctions

    disciplinaires. C'était ta première rencontre avec l'injustice. Face à face.

    " Mon Dieu! Comment peut-on me faire supporter la responsabilité des fautes commises par

    autrui, tandis que les vrais coupables demeurent en liberté! "

    Une larme avait coulé sur ta joue, mais rapidement tu la contins *et tu gardas toute ta

    sérénité, en espérant dans la justice de ton pays.

    Plusieurs avocats s'étaient constitués par différentes voies. Des marabouts aussi.

    Première comparution devant le juge instructeur. Ton dossier ne comportait même pas

    une enquête préliminaire. L'infraction n'avait pas été constatée. Le dossier contenait

    seulement un ordre de poursuite et un mandat de dépôt signé par le Procureur Général, en plus

    d'une partie du Rapport de la Mission de Contrôle commençant curieusement à la page 8 et se

    terminant à la page 12. Au bas de cette dernière page, avaient été apposés les sceaux des

    contrôleurs avec leurs signatures. Pourtant, tu n'as jamais été entendu par les contrôleurs. Or,

    le contrôle est contradictoire en vertu de l'article 23 de la loi 93/19 du 26/01/1993 portant

    organisation de la Cour des Comptes.

    Où se trouve donc l'autre partie du rapport? Tu retournes la question mille fois dans ta

    tête. Tes avocats aussi. La Justice n'a pas de réponse. C'est tout ce qu'on lui a transmis.

    La Justice aurait dû prendre toute sa responsabilité et poser la question. Elle ne l'a pas

    fait. L'amputation subie par le Rapport demeurait une énigme...

    L'instruction se poursuivait; deux expertises relatives à la comptabilité de la Ferme et au

    projet reboisement furent ordonnées. Toutes deux conclurent à ton innocence. Aussi, le Juge

    d'instruction rendit-il une ordonnance de non-lieu.

    Dans ces conditions, l'article 161 du Code de Procédure Pénale prévoit expressément

    ta libération: "Si le juge d'instruction estime que les faits ne constituent ni crime, ni délit, ni

    4

     

     

    contravention, ou si l'auteur est resté inconnu, ou s'il n'existe pas de charge suffisante contre

    l'inculpé, il déclare par une ordonnance qu'il n y a pas lieu à suivre. les inculpés

    préventivement détenus sont libérés".

    Qu'importe! Tu resteras en prison. La loi n'est pas pour toi.

    Le Parquet interjette appel, en violation de l'article 520 du Code de Procédure Pénale. Mais la

    Cour d'Appel confirmant le non-lieu, lui conférant ainsi une force supplémentaire. Cependant tu

    resteras en prison : la loi n'est pas pour toi.

    Le parquet introduisit aussitôt un pourvoi en cassation. Ce recours n est pas suspensif.

    l'article 504 du Code de Procédure Pénale dispose: "Est, nonobstant pourvoi, mis en liberté

    immédiatement après rendu, le prévenu détenu (qui a été acquitté ou condamné .voit (à

    l'emprisonnement assorti du sursis, soit à l'amende"

    Mais tu resteras toujours en prison: la loi n'est pas pour toi!

    La Chambre pénale de la Cour Suprême cassa, enfin, l'arrêt de confirmation du non-lieu.

    Motif invoqué : au moment où il a statué, le Président de la Cour d'Appel aurait dû être

    en permission... une permission dont le magistrat ignorait l'existence!

    L'affaire fut alors renvoyée devant une cour d'appel autrement composée. Cette

    juridiction confirma à son tour le non-lieu.

    Cependant, tu resteras en prison, car telle est la volonté de la loi.

    L'arrêt de non lieu fut une fois de plus cassé pour le motif d'un prétendu vice de forme:

    la Ferme, représentée par son directeur général - que nous connaissons bien - s'était

    constituée partie civile et aurait dû à ce titre être informée de la fin de l'instruction.

    Curieusement, la composition de la Cour Suprême qui a cassé l'arrêt ne figurait pas

    dans le texte de la décision rendue par cette haute juridiction. Une autre violation de loi : le

    Code de Procédure Pénale en son Article 201 dispose: "Les arrêts de la Cour Suprême sont

    signes par le Président et par le Greffier, il y est fait mention du nom des Conseillers... "

    Cette fois-ci, non seulement tu resteras en prison, mais en plus ton calvaire s'étendra

    par contagion à tes juges:

    Le juge d'instruction qui a rendu le non-lieu est radié.

    Le président de la Cour d'Appel qui l'a confirmé est suspendu pour une durée de 6

    mois et poursuivi par et devant le Conseil Supérieur de la Magistrature.

    Le Président de la Chambre pénale de la Cour Suprême est limogé (pour cause de

    renvoi).

    Exactement comme dans la triste histoire du " Serpent de Bint Staily ", qui la tua ainsi

    que ses médecins, ses parents, ses voisins et les voisins de ses voisins...

    Après une année de séquestration, ton procès se dessina. Le marabout avait prédit que

    tu serais acquitté. Avant d'aller au Tribunal, il t'avait fait revêtir un sous-vêtement induit d'une

    étrange substance. Tu en avais conservé des traces sombres et difformes, éparpillées sur ton

      corps. Guernica...

      Désagréable! Mais que faire? Quand la réalité devient impossible, quand tous les

      repaires s'estompent, on frappe à la porte de l'irrationnel.

      Ta famille et tes amis avaient reçu de personnages haut placés des assurances que tu

      auras un procès équitable et que tu seras libéré.

      Tout juste avant le procès, il advint que le texte intégral du Rapport de la Commission

      de Contrôle fut retrouvé, grâce à la persévérance d'un jeune procureur général. Le précieux

      document fut alors transmis à la Justice sous pli confidentiel. La clé de l'énigme était enfin

      trouvée. Maintenant tout devenait clair.

    5

     

     

    Le Rapport comportait 75 pages et, à l'exception des 5 pages qui servirent de base à ta

    poursuite, il concernait exclusivement le bradage du patrimoine de M'Pourié et les

    détournements commis - de leurs propres aveux - par le Directeur et le Comptable.

    Ainsi, par exemple, le Directeur reconnaît:

    - "Au sujet du chèque n°121041- BNM, d'un montant de 3 millions d'ouguiya en contrepartie

    des 35 (hectares loués à la ,SICAP et le chèque n° 440020 - BMCI, d'un montant de 700.000

    ouguiya au titre de la location des ateliers de la Ferme, j'attire votre attention sur l'existence

    de ces chèques (... ) Je reconnais que j'ai pris' personnellement cet argent de Nouakchott. II a

    été remis intégralement au Comptable en présence des délégués' du personnel... Le Comptable

    Comptable avoir reçu l'intégralité des montants de son directeur général. Que la somme a etc

    dépensée selon les règles de l'art ne fait pas l'ombre d'un doute. Si toutefois le comptable n'a

    pas enregistré le montant dans ses livres, cela ne peut être qu'une, faute du comptable" . (En

    français dans le Rapport - Lettre du directeur de la Ferme- Annexe n°8).

    Interrogé, le comptable, de son côté, s'explique:

    "Avant l'arrivée de la Mission de contrôle, le Directeur m'a remis ce montant sans rien

    m'expliquer, j'ai pensé que c'était son argent personnel. Pour cela, ,je ne l'ai pas porté sur mes

    états et n'en ai pas informé la Mission". (Page 21 du Rapport de Contrôle - En français dans le

    Rapport).

    Dans un autre procès-verbal de constat rédigé (en français) par la Mission, on peut lire

    le dialogue suivant:

    - " La Mission a constaté que vous ne tenez pas de comptabilité... "

    - " J'ignorais que sans ces journaux et documents, il n y a pas de comptabilité "

    - " Ne savez-vous pas que la loi impose la tenue d'un journal livre?"

    -  " Non!"

    - " Quels sont les textes sur la comptabilité que vous avez lus?"

    - "Je n'ai, jamais lu un texte quelconque réglementaire afférent à la comptabilité... "

    - " La Mission a estimé que la location des engins devrait générer au minimum pour 1996 et

      1997 : 32.850.000 (1M, alors que les réalisations effectuées ne dépassent pas 11.586.000 (UM

      soit une différence de 20. 724.000 (UM. Quelle explication avez-vous sur ce point?"

      - " Aucune explication... " (Procès-verbal annexe).

      Les éclaircissements de ce genre couvrent 70 pages. Ils ont été systématiquement

      sectionnés par le Commissaire du Gouvernement près la Cour des Comptes (le Procureur

    Général auprès de cette juridiction). L'opération terminée, on fit transmettre à la Justice ce qui

      put être assemblé contre toi. Le reste, tout le reste, on le cacha soigneusement.

      Dans le rapport initial, la partie te concernant se terminait au milieu de la page 12.

      Dans le rapport " traité ", le titre b qui commençait au bas de cette même page disparaissait,

      laissant la place... aux cachets et aux signatures des membres de la commission de contrôle! ...

      De toute évidence, on voulait induire la justice en erreur en lui faisant croire que le Rapport

      se terminait là.

      " Si autre chose qu'une gorgée d'eau s'était mis en travers de ma gorge,

      "Mon remède n'aurait été alors qu'une petite gorgée d'eau"

      Ce vers d'un ancien poète exprime bien le tragique de la situation...

    * * *

    Ton procès débuta.

    Les ténors de ta défense ne vinrent pas à l'audience ce jour là. Une question d'avances

      sur honoraires. Ou d'arriérés. Peu importe.

      Le représentant du Parquet fut, pour ainsi dire, éloquent:

    6

     

       

      "L'accusé qui se trouve devant vous, Monsieur le Président, a préféré fixer les siens au lieu

    de fixer les dunes. Et, au lieu de protéger du vent les sites reboisés, il s'est mis à se protéger

    lui-même de ses ennemis politiques en redoublant d'activisme et en étalant sa, force. Il s'est

    comporté comme lui prévaricateur irresponsable, mû par l'ambition politique, le désir de

    paraître, l'obsession .sexuelle et l'instinct du défi".(Réquisitoire - page 3).

    "... Tout le monde sait qu'il était habité par l'ambition politique et qu'il avait dans sa

    région des adversaires plus fortunés que lui, ce qui le poussa à redoubler de prodigalité pour

    s'affermir et renforcer son audience dans le seul but d'abattre ses adversaires et remporter

    l'enjeu". (Réquisitoire- Page 8).

    Dans ce réquisitoire long de 12 pages, aucune allusion au Rapport de la Mission de

    Contrôle, base de l'accusation.

    Calmement, tu remis les choses au clair. Les avocats restés à tes côtés firent

    admirablement le reste. Mais le verdict était déjà prêt. Le convaincu n'est plus à convaincre.

    Le texte du jugement s'étalait, lui aussi, sur 12 pages et traitait uniquement de la

    théorie de la confiance clans le fiqh malékite, sans la moindre référence à la loi en vigueur.

    Le verdict.: cinq ans de prison ferme et remboursement du montant objet de

    l'accusation.

    Pour ceux qui ont la chance de respirer l'air frais de la liberté, cinq ans

    d'emprisonnement peuvent paraître peu de chose, comparées à la peine capitale ou à la prison

      à perpétuité.

      En fait, elles équivalent à l'anéantissement de la dignité et des espérances d'un homme.

      Un homme instruit, possédant de hautes qualifications et dont le seul tort est d'avoir des

      ambitions politiques qui, en l'absence de la justice, ont suffi à lui faire endosser la

      responsabilité des crimes commis par ses ennemis, dans l'intention de causer sa perte.

      "Quel homme ont-il fait perdre... " dans les cachots de la sombre prison de Rosso, avec

      pour seuls compagnons les escadres de moustiques voraces et une chaleur atteignant parfois

      cinquante degrés

      La deuxième année de souffrances de cet homme touche à sa fin.

      Mais l'aube pointera.

      Dores et déjà, nous avons brisé dans notre pays le mur du silence, principal allié de

      l'injustice.

      La bataille du procès en appel approche, et ,nous comptons bien plaider avec la

      dernière énergie.

      Enfin, voilà que nous venons d'effectuer la traversée pour atteindre la Tribune de

      vérité à Caen.

     

    Maître Mohameden OuId Ichidou

    (Traduit de l'Arabe)

    7

     Retour