TEMOIGNAGE 127 :

 

A.H.M.E.

 

 

REPUBLIQUE ISLAMIQUE DE MAURITANIE

 

 

           SAMORY OULD BEYE                         

                                           

- Membre dirigeant du mouvement <ELHOR> : Organisation pour l’Emancipation et la        

                                                                                 Libération des Harratines ;

- Membre dirigeant du parti APP                       :   Alliance Populaire Progressiste ;

- Président de la CLTM                                      : Confédération Libre des Travailleurs de                             

                                                                                   Mauritanie                                                                          

- Membre de la plate-forme des Organisations non Etatiques ;

- Membre de la <CNDH>                                     : Commission Nationale des Droits de           

                                                                                    L’Homme ;

- Ancien secrétaire général de L’Observatoire National des Elections (ONE) de 2007 ;

 - Auteur de plusieurs initiatives

                                                                          A

 

Monsieur BAN KI- MOON

Secrétaire Général des Nations Unies

                                                                                NEW-YORK

 

 

OBJET : Lettre ouverte  relative au calvaire et à la discrimination dont sont victimes les  harratines de Mauritanie

 

                                              Monsieur le secrétaire général,

 

Permettez moi, de venir par la présente lettre vous saisir de la situation grave et le calvaire que vivent les harratines de Mauritanie, situation qui ne cesse de s’empirer de jour en jour poussant ainsi à l’imprévisible.

Monsieur le secrétaire général, en tant que membre de cette communauté , faisant partie de son élite et de sa  conscience de première heure, je me trouve dans l’obligation morale, devant les pratiques de l’arbitraire et de l’injustice multiformes dont sont l’objet chaque jour les membres de ma communauté d’adresser un appel de détresse pressant aux  Nations Unies à travers votre éminente personnalité pour intervenir en vue de protéger la communauté harratine des graves bavures, sévisses et  pratiques du système chauviniste, discriminatoire esclavagiste, exclusiviste… des maures au commande de l’Etat mauritanien depuis l’indépendance.

En effet, Monsieur le secrétaire général, la communauté harratine est une population qui a peuplé  ce qu’on appelle aujourd’hui la Mauritanie, depuis des siècles, avant même l’arrivée  des arabes pour conquérir le territoire, assujettir sa peuplade à l’esclavage, au servage et à la soumission.

Il s’agissait d’hommes prestigieux, paisibles, libres  qui vivaient principalement de l’agriculture. Ils étaient sédentaires et avaient  une culture, une histoire et des valeurs spécifiques qu’on a détruit et enterrer dans les méandres de l’histoire lointaine par un  conditionnement affiné.

Avec l’arrivée des arabes, d’autres populations furent emmenées de l’Afrique noire par les razzias, rapts, kidnappings, échanges de l’or et du sel contre des personnes nées libres qu’on assujettira au fil des temps à l’esclavage, à l’acculturation et à l’assimilation .

C’est ce qui constitue aujourd’hui les HARATINES qui parlaient leur propre dialecte avant de subir l’acculturation tout au long des ages ayant été condamnés à vivre éternellement sous le joug des maîtres esclavagistes, sans aspiration ni droit civique ou moral..

Cette communauté reléguée malgré elle en une composante subalterne de la communauté maure compte néanmoins plus de 48 % de la population globale de tout le pays.

 Mais, le paradoxe est que cette majorité presque absolue est non seulement omise du pouvoir mais également totalement exclue de tout.

                                                                                                                                                        les traitements dégradants, indignes et indécents auxquels ils ont été soumis feront les distinctions caractéristiques marquantes chez eux dans la société maure, prenant la forme d’une couche sociale maudite. .

Monsieur le secrétaire général,

 Pour vous donner une image sur la situation qui nous bouleverse aujourd’hui comme hier j’évoquerai entre autres questions ou problèmes majeurs ce qui suit :

 

1)-Au plan Social et Economique

 

Les harratines sont exclus, marginalisés, méprisés, privés de l’éducation et des sources de revenus.

 Leurs spécificités culturelles détruites et leur personnalité propre aliénée, vivant de souffrance en souffrance, de calvaire en calvaire tout au long de l’histoire, sans espoir ni recours, dans un environnement hostile.

 

 Ils restent confinés dans des conditions  inhumaines terrifiantes, condamnés par un système chauviniste et exclusiviste à vivre éternellement la misère, la précarité  et la pauvreté extrêmes dans l’objectif de les maintenir dans le besoin et la dépendance de leurs maîtres qui contrôlent sans partage l’ensemble des institutions de l’état mauritanien et s’accaparent de l’économie et de ses sources.

 

Plus de 99% des harratines sont analphabètes, plus de 90% pauvres et sans abris vivant dans des « ghettos » appelés communément Adwabas où des milliers de leurs enfants n’ont pas accès à l’école par défaut des infrastructures scolaires, le taux de mortalité est plus élevé à cause de la malnutrition, de la précarité et du manque de soins sachant que la libéralisation à outrance instaurée ne permet plus aux pauvres et aux sans revenus de pouvoir bénéficier des services de santé publique.

 L’eau potable constitue aussi un problème aigue qui pèse lourdement sur la vie de ces populations laissées pour compte.

Au plan de l’emploi : les harratines sont discriminés sauf pour les travaux avilissants ou dégradants ; l’essentiel des postes ou fonctions  sont réservés aux autres, le recrutement ou les nominations dans la fonction publique obéissent à la même logique.

Au plan économique : les harratines sont exclus et privés des financements de micros et petites entreprises ainsi que le crédit bancaire et agricole.

Dans le cadre de la politique de l’Etat de répandre et repartir les richesses, l’état a, depuis les années « 80 » procédé à la distribution massive des licences de pêches et dons matériels ainsi que des licences de sous-traitance des sociétés et Etablissements publics ou semi-publics permettant aux maures de manière particulière de s’enrichir à une vitesse  croisière et aux harratines de s’appauvrir, de rester dépendants à vie et au bas de l’échelle.

Depuis cette période jusqu’à nos jours et dans le même objectif, l’état mauritanien a procédé à une expropriation de grande envergure des terres des harratines et des négro-africains du Sud les réduisant à des ouvriers à main d’œuvre bon marché instaurant ainsi une forme d'esclavage moderne. Tout cela dans une volonté affichée d’avantager les maures au détriment des autres composantes du pays.

Cette politique s’est gravement accentuée depuis l’adoption en 2007 de la loi discriminant l’esclavage. Partout, dans les différentes régions c’est le harcèlement  pour exproprier les harratines de leurs terres, palmeraies dattiers, puits ou barrages pourtant hérités de père en fils.

Dans certains cas il y a eu usage d’arme entre harratines et maures, comme le cas de DEMBET EL ATCHANE aux environs de KIFFA en 2007 où les autorités ont intervenu en faveur des maures, l’armée dépêchée sur le lieu a endommagé les champs des harratines, détruit leurs puits, emprisonné plusieurs parmi eux et ce durant plusieurs semaines.

A ECHRAM au TAGANT pour exproprier des palmeraies avec la complicité des cadis et des administrateurs territoriaux, les maures ont pour la deuxième fois et dans le même lieu fait usage d’armes sur les harratines qui travaillent dans leur domaine faisant deux blessés graves.

  Il y a de cela plus de cinq mois et à ce jour les autorités n’ont  procédé à  aucune action pour inquiéter l’auteur du crime qui se promène librement. Les cas similaires sont nombreux, flagrants mais malheureusement banalisés par les autorités

 Il s’agit là d’une politique visant à fragiliser et à asphyxier économiquement les harratines, à les traumatiser, et à les terroriser pour mieux les dominer en vue de maintenir cet ordre déséquilibré préétabli, les contraignant à l’abdication.

 

2)-Au plan Politique

A- Au niveau des Institutions :

Les harratines sont éloignés des centres de décision et de la gestion des affaires de l’état c’est ainsi que l’on peut retrouver :

- Au niveau du Gouvernement 03 ministres sur plus d’une trentaine ;

- Les conseillers à la Présidence et à la Primature, les secrétaires généraux des ministères, les directeurs centraux et autres fonctions multiples la présence des harratines arrive à peine à 0,01 % ;

- Dans le Corps Diplomatique, un seul hartanie ;

- Dans le Corps des Gouverneurs ou Wali, aucun hartanie sur treize ;

- Dans le Corps des préfets ou hakems deux sur  53 ;

- Au niveau du corps des Officiers de police on trouve un blocage systématique très rigoureux.

 Seulement des agents de police harratines qu’on voit à  longueur des journées sur les carrefours pour régler la circulation dans des conditions humiliantes ;

- Au niveau de l’armée la situation est plus pire, ici la discrimination et le blocage systématique sont bien scellés et, où des mesures restrictives  sont instituées afin d’empêcher l’avancement au grade supérieur des harratines, à défaut les éliminer au niveau de recrutement de départ.

.Cette humiliation et cette injustice de grande envergure qui frappe de plein fouet sont plus que provocatrices et doivent pouvoir cesser.

B- Au niveau des medias :

Les harratines n’ont pas cette chance comme les autres communautés pour développer et promouvoir leur culture spécifique qui est très riche et profonde.

Leurs enfants sont discriminés des émissions à la radio et la télévision ce qui développe chez eux l’esprit d’infériorité et de complexité.

.Monsieur le secrétaire général,

Cette situation d’ensemble que j’ai essayé de résumer et qui est très inquiétante pour nous, constitue une agression sévère, organisée, systématisée et dirigée contre une communauté paisible qui aspire à  vivre dignement, librement, à jouir de ses droits, de tous ses  droits dans le respect réciproque et la reconnaissance de l’autre.

 Il s’agit d’un préalable fondamental pour la cohésion nationale, pour une cohabitation sereine durable dans un environnement propice au progrès social, à l’équité, à l’égalité des chances, à l’harmonie,loin du statut  d’éternels maudits méprisés et réduits à l’indécence, situation désormais inacceptable.

.Monsieur le secrétaire général,

Vu ce qui précède, je vous demande de ne rien ménager afin que votre institution assume toute sa responsabilité morale pour éviter une mort lente  collective des harratines de Mauritanie, et ce en leur assurant toute la protection requise et adéquate .

 Mais également pour prévenir l’imprévisible en Mauritanie sachant que l’Afrique en a déjà assez de plaies, encore béantes, et les défis du développement qui l’attendent sont complexes et posent suffisamment de problèmes.

Avant de terminer permettez moi, Monsieur le secrétaire général de vous livrer certaines idées fruits d’une réflexion et qui peuvent entre autres constituer éventuellement la base d’une solution :

1 - Le partage du pouvoir et des richesses de manière raisonnable qui tient compte des réalités démographiques des groupes communautaires ;

2- l’adoption d’une politique de discrimination positive à même de permettre aux harratines de récupérer un peu du temps perdu et de panser leurs plaies ;

3- La révision de la constitution de l’état mauritanien en vue d’inclure de nouvelles clauses reconnaissant les harratines comme communauté distincte de celle des maures sur la base de ce qui est actuellement institué reconnaissant à la communauté negro-africaine trois entités ayant des spécificités distinctives propres à chacun des groupes.

 

4- L’organisation du recensement des populations sous l’égide des Nations Unies afin de déterminer les statistiques réelles sur les différents groupes communautaires dans la transparence et l’impartialité.

Enfin, veuillez agréer, Excellence Monsieur le Secrétaire General l’expression de mes sentiments distingués.

                                                                                                 SAMORY OULD BEYE

 

Nouakchott, le 25 Janvier 2010

 

 

 

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